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IV se retrouvent partout répétés à Persépolis, Hamadan, etc.; aussi M. Renan accepte, comme nous, le sens de cette inscription. Quelquefois la suite de la rédaction est un peu différente; par exemple, on lit aussi « qui a créé la terre, qui a créé le ciel ; » la fin du premier paragraphe est souvent ainsi conçu : « seul roi de beaucoup de rois, seul gouverneur de beaucoup de gouverneurs. >>

Le premier qui ait analysé le texte assyrien de cette inscription, est M. de Saulcy. Il y a bientôt dix ans, c'est-à-dire avant la publication du texte capital de Bisoutoun, que ce savant, induit en erreur par la rédaction perse, assimila le groupe ciel à la terre, et terre au ciel. M. Renan s'est servi de l'erreur surannée de son confrère pour parler des «< incertitudes de ces recherches; » mais on pourrait lui prouver d'autre part que ces études ne sont pas tellement incertaines, puisque cette confusion est dans ce genre la seule que M. de Saulcy ait commise, même à cette époque-là. Au lieu de rappeler gratuitement l'erreur de M. de Saulcy, M. Renan aurait peut-être mieux fait de montrer en quoi mes lectures, tout en faisant << honneur à ma sagacité, sont loin d'emporter la conviction ». J'ai prouvé par les inscriptions trilingues où le mot terre se trouve seul, lequel des deux groupes signifiait ciel, et lequel dénote terre; j'ai ensuite démontré que chez les Assyriens ciel se disait samí, et terre irsit; et j'ai cité pour cela huit passages des inscriptions, que l'on retrouve plus de trente fois. La véritable raison de ces incertitudes est le caractère sémitique de ces mots, car si j'avais obtenu un mot non sémitique, M. Renan douterait moins de ma transcription.

« Des doutes (lesquels?) restent également sur l'expression que M. Oppert traduit par terre; elle devrait se lire ki-tiv très-souvent. » Mais elle se lit fréquemment ki-tiv, par exemple, sur le caillou de Michaux (cité: Études assyriennes, p. 24) seulement trois fois.

<< Cela amène le savant auteur à une théorie de la déclinaison assyrienne, singulière au premier coup, non impossible cependant. >>

Il était bon de dire que cette déclinaison assyrienne confirme les vues de M. Munk sur la déclinaison hébraïque et que j'ai citées. Je vois avec plaisir que M. Renan ne repousse pas cette idée, comme l'a fait un savant allemand que, quoi qu'en disent M. Renan et lui-même, peu de

personnes en Allemagne considèrent comme une autorité dans les recherches de déchiffrement sémitique.

Je passe sous silence la plupart des remarques de M. Renan sur la suite, qui se résument, comme réponse à une interprétation de trente pages in-quarto, dans les mots assez probable ou peu probable; je parlerai seulement du mot iddina, où la forme babylonienne de na (signalée pourtant comme telle p. 109, no 59) lui fait dire à tort, que cette forme parle contre mon principe de l'absence de l'homophonie. Il aurait dû, je crois, également prendre connaissance de mon déchiffrement du signe li (p. 38) qui se lit des milliers de fois, avant de douter de la lecture du mot lisan langue. Le doute est également, à cette occasion, déterminé par le sémitisme incontestable de ce mot.

Je ne puis pourtant passer sous silence sa remarque vers la fin du Ier S. « Je n'insisterai pas sur la hardiesse des corrections que M. Oppert est obligé de faire à son texte, en cet endroit, pour obtenir la lecture qu'il désire. Supposons que le membre de phrase que nous discutons

שעדששו אן נבחר מתת גבי יעתימא : en ce moment doive se lire en effet

« cujus servi orbi terrarum imperant » ; je demande à ceux qui connaissent les langues sémitiques, si une telle phrase est acceptable. >>

Je demande d'abord à M. Renan pourquoi il n'insiste pas sur la hardiesse de mes corrections. Je n'insisterai pas sur une réponse que je puis me donner à moi-même: Il n'y a pas de corrections! Mais c'est un oubli, et il faut passer outre. Ceux qui connaissent les langues sémitiques demanderont à leur tour à M. Renan, comment il traduirait cette phrase, en arabe et en hébreu ; en bon sémitiste, M. Renan sera obligé de leur offrir justement la construction qu'il repousse et qui est la seule possible :

:

En arabe elladzi khadamuh fi djumleth-el-mamālik yahkumun. En hébreu asher 'abadav 'al kol-gebulōth eres yimlěku.

On rend, dans toutes les langues sémitiques, cujus servi par qui servi ejus 2. Donc l'objection de M. Renan au sujet de la construction est écar

1 Voir Expéd. en Mésopot., II, p. 152.

2 Ce qui me frappe surtout dans les appréciations de M. Renan, c'est qu'il tient trop peu compte, selon moi, de la langue comme forme de la pensée. Certainement les grammaires de l'hébreu, de l'assyrien et de l'arabe se ressemblent beaucoup en théorie; mais

tée; reste l'analyse des mots. Nous commençons par le mot gabbi, qui veut dire «< tout ». Le savant critique n'en conteste ni la signification, ni la lecture, car aussi, il faut l'avouer, jusqu'ici nous n'avons pas trouvé un mot analogue dans les langues sémitiques. Mais nous ne savons pas non plus citer un mot hébreu parent à l'arabe djumleth et qui veuille dire << totalité ».

Quant au mot idis « minister », c'est bien plus grave. En arabe il existe une racine 'adas « ministrare ». M. Renan me reproche d'avoir cité l'arabe; mais l'arabe est pourtant une langue sémitique, et s'il faut s'en servir avec prudence, il ne faut pas l'exclure. M. Renan, qui est si sévère pour les nombreuses étymologies qui se trouvent dans mon livre, a presque toujours employé l'arabe pour les explications qu'il a proposées dans ses écrits. Je partage, du reste, pleinement les vues de M. Renan sur le danger qu'offre le dictionnaire arabe ; car j'ai dit, page 298:

«<< On s'étonnera sans doute que nous nous soyons si longtemps arrêté à démontrer et l'identité et la coexistence de deux racines dont ni l'une ni l'autre ne sera contestée par personne; mais nous dirons ici, une fois pour toutes, qu'on ne doit accepter ces identités dans l'interprétation qu'après s'en être préalablement assuré; car sans cela on pourrait, dans la même phrase, défendre deux significations diametralement opposées, tant est considérable la quantité de racines qu'on peut produire pour faire accepter son explication, surtout quand on se fourvoie dans le dictionnaire arabe. >>

Mais ici je ne me suis point fourvoyé. Mon rapprochement de l'assyrien << serviteur >> avec l'arabe << servir» est confirmé par les inscriptions; car, postérieurement à la rédaction des pages 132 à 135 dans lesquelles j'établis très-longuement mon interprétation, mais antérieurement à la rédaction de l'article de M. Renan, j'ai montré à ce savant, à la Bibliothèque impériale, sur une photographie des syllabaires qu'il a entre les mains, l'explication du verbe idis par samas. Or ce mot assyrien rap

ces règles, dans l'application, produisent des phrases très-différentes. La langue, dans la bouche du peuple, se conforme au génie de ce dernier, et ne se soucie pas des affinités étroites que les philologues peuvent trouver entre elle et l'idiome d'une nation congé nère. Mais, pour se pénétrer de ce fait, il faut avoir écrit ou parlé les langues différentes.

pelle la racine samas araméenne et néo-judaïque, qui veut dire servir. M. Renan a dû oublier ce fait quand il dit que le Kamous « présente comme des sens ordinaires et habituels, des applications indirectes et passagères, à peu près comme si, de ce passage, Epicuri de grege porcus, un glossateur maladroit concluait, sans autre explication, que porcus, entre autres sens, a celui de discipulus. »

D'abord, le Kamous n'a pas commis de ces hévues - là: l'auteur savait l'arabe mieux que ne saurait le latin le glossateur maladroit qui expliquerait porcus par discipulus, et qui prouverait par cela même qu'il n'aurait pas lu la quatrième épître d'Horace. Nous dirons à M. Renan : « Nostrorum sermonum candide judex, puisque le glossateur maladroit peut objecter que les pourceaux de Poissy sont bien des élèves, est-ce que nous serions si maladroits en faisant venir « serviteur » de servir?

La lecture phonétique étant sûre de tous points; le sens étant connu et accepté par M. Renan; M. Renan étant versé dans les langues sémitiques; je lui demande d'expliquer la phrase autrement que je l'ai fait.

Ainsi le perse maná pitâ veut dire « mon père »; on le trouve traduit abua. M. Renan « ne me contredira pas »>, mais il trouve mon interprétation attaquable sur beaucoup de points. Qu'il attaque donc les deux mots et ", et qu'il renverse les preuves que j'ai données à plusieurs endroits 1; qu'il détruise donc la formule kima abu u ummu «< comme père et mère ». Mais les points nombreux se réduisent à un seul le sémitisme du mot abu.

:

Il y a un fait dont M. Renan ne doute pas : c'est que de deux signes idéographiques, l'un signifie dieu, l'autre roi; le sens seul est certain. C'est à peu près ce que Grotéfend a vu, il y a bientôt cinquante ans. Estce qu'on n'aurait rien acquis depuis lors? Il est pourtant assez probable qu'il y ait encore quelque chose de découvert, et ces découvertes doivent se trouver parmi les nombreux faits sur lesquels M. Renan garde un silence trop discret. Sans compter les mots que contient l'inscription et les autres auxquels s'arrête le savant critique, il est, dans les trente pages de 121 à 154, question de cent quarante formes assyriennes dont

1 Exp. Més. II, p. 44, 263, 361; Él. assyr., p. 147, 180, 182; Journ. As., 1856, VII,

p. 439.

M. Renan ne dit pas un mot. « Dans quelle proportion se mêle », pour ces cent quarante mots, « le certain, le probable et l'incertain? » Combien y en a-t-il d'assez probables, et combien de peu probables?

J'aurais préféré, dans l'intérêt de ces recherches nouvelles, où l'on a besoin du contrôle d'autrui, un examen plus net, plus décisif. Qu'on relève hardiment mes erreurs, mais qu'on reconnaisse franchement mes découvertes. Car aucun fait de la critique de M. Renan n'a réformé un iota de ce que j'ai avancé, et même toutes les erreurs qui s'y trouvent sont encore debout. M. Renan a pu soulever des préventions mal fondées contre ces études dans l'esprit de ceux qui sont étrangers à ces recherches: néanmoins, mon amour de la vérité aurait de tout cœur passé sur le ton peu bienveillant de ses objections, si l'acerbité de la forme était excusée par la puissance de la critique.

JULES OPPERT.

BIBLIOGRAPHIE.

Introduction a L'ÉTUDE DE LA LANGUE JAPONAISE, par Léon de Rosny. Paris (Maisonneuve et Cie, éditeurs), 1856; un vol. in-4o avec 7 planches.

Malgré deux siècles de prédication active du christianisme au Japon, malgré les relations commerciales avec cet empire que les Hollandais n'ont cessé d'entretenir depuis la fin du seizième siècle jusqu'à nos jours, les moyens de nous occuper de l'étude de la langue et surtout de l'écriture japonaise, sont demeurés à peu près nuls en Europe. Les grammaires des PP. Rodriguez et Collado, soigneusement calquées sur la grammaire latine, et dans lesquelles le génie propre de la langue japonaise est presque toujours méconnu, ont été jusqu'à présent les seules ressources dont on ait pu disposer en Europe pour connaître un des plus curieux idiomes de l'Asie. Encore ces grammaires n'étaientelles bonnes tout au plus que pour apprendre la langue parlée; l'écriture et la littérature nous restaient inaccessibles, aucun caractère ja

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