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tion d'un texte, nous en connaissons mot par mot le sens, de l'autre le texte assyrien que nous sommes en mesure de transcrire, de manière à ce que M. Renan lui-même est forcé à accepter les résultats. Nous prenons le texte de Van, dans lequel se trouvent quarante-trois mots; de ce nombre, vingt-huit se retrouvent avec la même signification dans les autres idiomes sémitiques; des quinze autres, dix sont formés de mots qui s'y trouvent, mais avec une autre signification; cinq enfin ne s'observent pas dans les autres langues. Toutes les formations verbales qui s'y trouvent sont faites selon le génie du sémitisme. Dans les inscriptions trilingues, les mots ciel, terre, dieu, roi, grand, homme, langue, père, frère, mère, maison, porle, et beaucoup d'autres sont purement sémitiques. Les notions pour lesquelles il existe en assyrien une expression spéciale, présentent justement le même phénomène dans toutes les autres langues sémitiques. Prenons la première phrase de la Bible, et traduisons-la dans ces langues :

En hébreu : berēshit bara elōhim eth hashshamaïm weeth kaares '.
En arabe bilibtidā khalaq allāh ussamawāt walardh.
En chaldaïque beqadmin bera elaha shemaïa wear'ā.
En syriaque brishit bre aloho yot shmayo weyot ar'o.

En éthiopien beqadāmi gabra ecziabher (!) semāya wamedra (!).
En assyrien in qadmi bana iluhu shamí au irsit.

Cela montre que si l'assyrien s'éloigne dans les mots abstraits des autres dialectes, il n'en est pas de même pour les mots fondamentaux. Voyons le mot arabe qui veut dire créer : c'est en arabe seul que khalaq a cette acception, car en hébreu i veut dire « être lisse, différer »>, et en assyrien « détruire ». Faire se dit en arabe 'amal, en hébreu 'asa, en chaldaïque 'abad, en éthiopien gabar, en assyrien 'abash.

M. Renan déplore « que les habitudes de la grammaire générale des langues sémitiques y (c'est-à-dire, dans les inscriptions assyriennes) sont souvent violées. » Quelles sont ces habitudes-là? « Pour comprendre l'étonnement que cause ce fait, il faut se rappeler le grand caractère d'unité des langues sémitiques. » Encore ici, c'est une erreur:

1 Les romain transcrit le Y.

cette unité n'existe que dans la similitude de la flexion, le même principe d'altération des racines trilitères. Or ce principe existe en assyrien. Tous les préfixes y sont les mêmes que partout ailleurs, et même plus conformes aux autres idiomes que ceux du syriaque. Les formes de conjugaison, le niphal, paël, iphtaal, shaphel, ishtaphal, se retrouvent en assyrien; il n'y a même rien de « bizarre et de subtil »; rien n'y est artificiel, tout est fondé sur un système conforme au génie des langues sémitiques. Les tables de conjugaisons que j'ai dressées en font foi.

L'assyrien a, sans doute, malgré son intime parenté avec l'hébreu, l'arabe, l'araméen, l'éthiopien, des différences sur quelques points isolés dans le grand nombre des faits; mais est-ce que l'hébreu, à chaque instant, ne montre pas de dissemblances avec l'arabe, l'araméen, l'assyrien ? Où, sauf en hébreu et les langues ariennes, ki veut dire que, où pen veut-il dire que ne-pas? Où, ailleurs qu'en arabe, fi veut dire dans, 'an de, and auprès de ? Où, ailleurs qu'en éthiopien (et en assyrien), ust est une préposition? Bien souvent les mots qui nous avaient jusqu'ici paru isolés dans telle langue, se retrouvent justement en assyrien; le chiffre hébreu onze, 'ashthe-'asar, sur lequel on a tant écrit depuis deux mille ans, n'est intelligible que depuis qu'on sait que 'ishthin veut dire un en assyrien, et que le chiffre hebreu signifie un et dix. Est-ce qu'on a contesté le sémitisme de l'himyarique, et pourtant quelles formes nouvelles ne s'y présentent pas ? Et qui nous dit donc que, si nous connaissions aussi parfaitement l'ancien hébreu populaire que nous savons l'arabe vulgaire, nous n'y trouverions pas d'autres formes assyrisantes, et sans analogie aucune dans la langue écrite? L'arabe vulgaire ne renferme-t-il pas beaucoup de tournures de ce genre, parfaitement isolées, mais trèssémitiques, et qui, pour n'être pas dans l'usage des livres, n'en appartiennent pas moins au fond même de la langue?

Je ne m'étendrai pas sur la différence des racines dans les différentes langues sémitiques qui s'éloignent partout où il ne s'agit pas de choses concrètes. J'ai déjà donné un exemple de la divergence de ces idiomes pour la notion de faire; les notions de savoir, vouloir, pouvoir, devoir, venir, aller, parler, et beaucoup d'autres, de l'usage le plus commun, ont dans chacune des langues sémitiques des expressions qui ne se retrouvent pas dans les autres idiomes de la même race. L'hébreu a

un mot spécial pour prier (hithpalal) que l'on cherche en vain dans les langues arabe, araméenne, assyrienne, qui toutes ont la racine sala by. D'un autre côté, les mots rendant les fonctions vitales, telles que vivre, mourir, naître, engendrer, manger, boire, sont communes à toutes les langues sémitiques, et si un idiome s'en éloigne, c'est l'arabe, et non l'assyrien.

M. Renan dit « La langue sémitique que nous donne M. Oppert blesse en plusieurs points le sentiment que je crois avoir d'une langue sémitique. » En plusieurs points, mais non pas dans les points principaux, non pas dans tous les points. Et puisque nous retrouvons les mêmes phénomènes dans toutes les familles sémitiques, nous tournons même le syllogisme de M. Renan contre lui. Notre savant critique semble dire:

La langue assyrienne blesse le sentiment de M. Renan sur les langues sémitiques en plusieurs points :

Donc la langue assyrienne n'est pas sémitique;

Nous, qui ne constatons que des faits, nous dirons :

La langue assyrienne blesse le sentiment de M. Renan sur les langues sémitiques en plusieurs points :

Donc M. Renan n'a peut-être pas le vrai sentiment de ces idiomes.

Il ne suffit pas de nous citer deux prépositions assyriennes, quand l'immense majorité des suffixes pronominaux et verbaux, tout l'organisme de la conjugaison assyrienne, dont M. Renan aurait dû parler, montre une physionomie sémitique très-prononcée : chose reconnue par toutes les personnes compétentes, en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, en Italie, en Russie, en Hollande, en Turquie même, ainsi que par toutes les personnes qui se sont occupées sérieusement de cette question en France.

M. Renan n'est que spécieux quand il dit : « Un des traits les plus essentiels des langues sémitiques, c'est la netteté et la régularité de leur orthographe. » Je m'étonne que M. Renan ait oublié d'ajouter que j'ai établi ce qu'il a admis pleinement, que l'écriture cunéiforme a été inventée par un peuple non sémitique. Que les Assyriens sémitiques ont accepté une écriture d'une autre nation, tandis qu'il pouvaient en choisir

une qui aurait mieux convenu à leur langue, c'est regrettable, mais ce n'est pas la faute des assyriologues.

J'aimerais aussi que M. Renan n'eût pas écrit le passage suivant : «Toutes les troisièmes personnes masculines du futur 2, par exemple, devraient commencer par un même signe correspondant au (i) préformant. Il semble que la trilitérité (!) des racines sémitiques se remarquerait également. >>

D'abord, presque toutes les formes de mon travail que M. Renan cite comme non sémitiques sont trilitères, on peut s'en convaincre; mais cela n'est rien encore. La troisième personne en assyrien commence partout par un i, mais pas par le même signe, parce que l'écriture est syllabique. Dans l'inscription de Van, il y a les troisièmes personnes : ibnu, il a fait, iddin il a donné, iqabbi il a dit, istakan il a fait, ibis il a fait, istur il a écrit, yutaamā ils ont ordonné. Ces formes sont différentes de abnū j'ai fait, addin j'ai donné, tabnu tu as fait, taddin tu as donné, nabnu nous avons fait, naddin nous avons donné, taddinữ vous avez donné, iddinu ils ont donné: flexions tout à fait sémitiques.

Donc, le i se trouve. Nous nous étonnons cependant d'une objection qui peut faire impression sur les personnes qui ne connaissent pas les langues sémitiques; car M. Renan, qui est un syriologue éminent, doit savoir qu'en syriaque la 3° pers. commence par un n, et pourtant il n'a pas, que je sache, retranché cette langue de la famille sémitique.

Il n'y a pas parmi les remarques générales de M. Renan une seule que l'on ne puisse réfuter par des faits. M. Renan dit, par exemple, que « aucune famille des langues n'a si profondément distingué le son du sens, et ne s'est moins souciée dans son orthographe de peindre la prononciation ». Cela n'est vrai que pour l'arabe, mais non pas pour l'hébreu et l'éthiopien. M. Renan se plaint « de la façon plate » d'écrire les mots assyriens, et en même temps, il reproche aux assyriologues « d'offrir une langue dans laquelle la représentation du son maté

1 Les Français, comme tous les peuples ariens, se servent d'une écriture sémitique, et cette écriture, en usage également chez les Sémites, est probablement elle-même d'origine chamite.

2 Mieux vaudrait dire l'aoriste.

II.

1859.

11

riel semble le but unique que se propose l'écrivain. » Mais est-ce de notre faute, si les Assyriens se sont servis d'une écriture non sémitique? Faut-il s'en prendre aux interprètes des textes turcs et persans, de ce que les langues de la Turquie et de la Perse sont écrites avec l'alphabet arabe peu conforme à leur génie?

Après l'exposition des objections générales, dont aucune n'a une grande force, M. Renan aborde les détails pour faire voir ce qu'il y a << de certain, de probable et d'incertain ». J'aurais voulu que M. Renan eût distingué d'une manière plus logique entre « le certain, le possible et le faux >>; mais heureusement pour moi, cette dernière catégorie manque dans son appréciation; il y manque d'ailleurs celle du certain, excepté un ou deux cas reconnus depuis cinquante ans. M. Renan ne connaît, dans les détails, que les choses assez probables et peu probables; il ne sort pas de là. Il analyse une inscription accompagnée d'une traduction; quand un groupe assyrien remplace constamment les mots perses ciel, terre, homme, etc., le sens lui en paraît assez probable; mais quand on a le bonheur de prouver, par des pages entières de citations de textes (que M. Renan aurait dû vérifier), la prononciation sémitique de ces mots, cette prononciation est peu probable.

Voici la traduction du texte trilingue :

« C'est un grand dieu qu'Ormuzd, le plus grand des dieux, qui a créé le ciel, qui a créé la terre, qui a créé les hommes, qui a donné aux hommes leur supériorité, qui a fait roi Xerxès, roi de beaucoup de rois, et dont les serviteurs commandent à la totalité des pays.

« Je suis Xerxès, grand roi, roi des rois, roi des pays où se parlent toutes les langues, roi de cette terre vaste et grande, fils du roi Darius, Achéménide.

<< Xerxès roi fait savoir : Le roi Darius, lui qui fut mon père, fit, par la grâce d'Ormuzd, beaucoup de monuments, et il rendit un décret pour faire une table dans ce roc, mais il n'y grava pas d'inscriptions. Alors, j'ai rendu un décret pour faire une inscription sur cette table. «Que me protége Ormuzd avec tous les dieux, moi et mon empire, et ce que j'ai fait. >>

Cette inscription se trouve gravée à Van en Arménie, en trois langues, en perse, en médo-scythique et en assyrien. Les paragraphes I, II et

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