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facile d'apprécier la gravité des motifs qui ont déterminé notre compatriote à proposer une innovation aux projets antérieurs.

Tous ceux qui ont songé à diriger à travers les états de Nicaragua une voie navigable d'une mer à l'autre, ont reconnu qu'il faut remonter le fleuve Saint-Jean en l'appropriant à destination de canal jusqu'à sa source dans le lac de Nicaragua. L'emploi de cette section est une idée commune à toutes les études et à tous les projets. Le tracé Napoléon aboutit comme les autres pour sa première section au point de ce canal qui doit être considéré comme l'origine du fleuve; seulement, arrivé là, il remonte, ainsi que nous l'avons déjà dit, le lac du sud au nord, dans le Rio Tipitapa qui unit ce lac au lac supérieur de Managua, coupe toujours dans la même direction la presque totalité de ce lac, et n'en ressort que pour aboutir au port de Realijo, vers la baie de Fonseca. Deux Anglais, MM. Bailly et Child, avaient eu l'intention, coupant l'isthme un peu plus au nord que M. Belly, de déboucher sur Brito et Saint-Jean du sud.

Le tracé Belly, au contraire, traverse le lac dans sa partie inférieure, de l'est à l'ouest, par une ligne faisant, pour ainsi dire, suite au fleuve, pénètre dans la rivière de Sapoa, qui est un des affluents du lac, la suit jusqu'aux montagnes de la Moracia, coupe un massif dont l'importance est évaluée à onze millions à déblayer de mètres cubes de terre, roches argileuses et calcaires, et profitant d'une importante dépression de la montagne formant un col profond, débouche au Pacifique par la baie de Salinas 1.

1 Voir la CARTE jointe à cet article.

Il est aisé de voir en quoi ce tracé l'emporte sur les autres. Outre que pour réaliser leur pensée MM. Bailly et Child auraient eu à couper des masses gigantesques et à faire d'énormes dépenses, les points auxquels ils arrivaient, Brito et Saint-Jean du sud, sont dépourvus d'importance et ne méritent pas plus le nom de port qu'ils n'en peuvent remplir l'office. Le tracé Napoléon, remarquable par la hardiesse et la grandeur de la conception, par cela seul qu'il aurait eu à traverser plus de cent lieues, aurait nécessité aussi des dépenses bien faites pour alarmer les capitaux. Quoiqu'il embrassât, d'ailleurs, tout le système des eaux de Nicaragua, il est douteux qu'il eût pu rendre navigable en tout temps le lac de Managua.

La longueur du parcours eût été d'ailleurs un inconvénient sérieux. Le plan de M. Belly, lui, semble ne laisser subsister que les difficultés vraiment inévitables, et profiter de tous les avantages que peut réunir et combiner la connaissance des lieux la plus approfondie.

En raison des rapides successifs qui se trouvent dans le fleuve Saint-Jean, M. Belly propose d'y établir sept barrages dont le premier serait placé en amont du Rio San-Carlos dans le lac, et le dernier à l'embouchure du fleuve à San-Juan del Norte. La convention de Rivas plaçant, au reste, le canal sous la protection directe des deux états, a l'avantage de les borner d'une manière fixe et inváriable. Un des articles porte, en effet, que ce canal lui-même servira de limite précise entre les deux républiques qui ne sont point d'accord aujourd'hui sur les confins respectifs de leur territoire.

Élevé de 38 mètres au-dessus du Pacifique, et de 36

seulement au-dessus de l'Atlantique, le lac de Nicaragua est un de ces bassins aux proportions américaines, et dont rien ne donne l'idée en Europe, s'étendant sur une longueur de 40 lieues et une largeur de 15, présentant une surface de six milliards de mètres d'eau, il reçoit le tribut de quarante rivières dont plusieurs sont navigables. On comprend comment la présence d'un semblable réservoir au sommet du tracé, et au point de partage des eaux dont le choix est si important quand il s'agit de cours d'eau à plans multiples, ne permet pas de penser que la navigation puisse être jamais interrompue. Les écluses propres à contenir ensemble les navires auraient 30 mètres de largeur, les portes en auraient 15, et le canal pourrait recevoir et livrer à la circulation jusqu'à 300 vaisseaux par jour.

La profondeur du lac est moyennement de 10 mètres environ. A un certain endroit M. Bailly a constaté un sondage de 84 mètres.

A l'exception de quelques points du littoral offrant des mouillages privilégiés, les accores du rivage sont en général très-plates et accessibles seulement pour les petites embarcations; de là la nécessité de creuser un chenal pour l'abaissement du plafond du lac à chacun de ses points de jonction avec les deux branches du canal.

Le creusement de ce chenal sera d'autant plus facile, que le plafond du lac dans sa région méridionale est un sol d'alluvion récente, dont la formation se poursuit pendant la période actuelle, alimentée par le dépôt des limons descendus des forêts bordant ses affluents.

Les chenaux d'accession seront creusés à la drague à vapeur. Ils seront défendus à leur origine par des jetées.

parallèles en charpentes enracinées aux rives du lac et indiquées au large par des lignes de balises.

Un double motif avait empêché les devanciers de M. Belly de s'occuper de la région de la Moracia. Cette région sauvage, inexplorée, habitée par des Indiens seulement, était à peu près inconnue. D'ailleurs elle appartient à Costa-Rica, et jamais on n'avait songé, pour l'établissement du canal, à traiter avec le gouvernement de ce pays. Il est facile de comprendre cependant combien l'amoindrissement, la réduction de la Moracia par l'existence de la Sapoa d'un côté, de l'autre par un abaissement considérable et subit de la montagne même, en forme de col, est une circonstance providentiellement heureuse et devant diminuer le poids et améliorer les chances de l'entreprise.

En définitive, le projet de M. Belly, si on le suppose exécuté, place le canal interocéanique entre deux excellents ports: celui de Saint-Jean ou de Greytown sur l'Atlantique, qui est connu à l'avance et qui a été adopté par tous ceux qui placent la première section du canal dans le fleuve SaintJean, puis la baie de Salinas, dans le Pacifique, qui offre une enceinte circulaire n'ayant pas moins de 5,000 hectares d'étendue. La profondeur de cette rade varie de 8 à 14 mètres. Elle est protégée du côté de la mer par une île, et rien ne serait plus facile que d'en faire un port clos à l'aide d'une digue enracinée à la plage et construite avec les portions rocheuses provenant des travaux à effectuer.

Où trouver à présent un personnel suffisant et des bras assez nombreux pour mener à fin des travaux de cette importance? M. Belly évalue d'abord quelle sera la part des agents mécaniques, part qui s'accroît de jour en jour, en

raison des inventions nouvelles et du perfectionnement des machines, se substituant incessamment et d'une manière étonnante à l'action manuelle. Il reconnaît, toutefois, qu'il lui faudra de nombreuses escouades de travailleurs; mais pense que, sauf les ouvriers de corps d'état qui devront être pris en Europe, il rencontrera sur les lieux mêmes les hommes dont il aura besoin.

il

Pour les travaux à effectuer dans le fleuve Saint-Jean, il compte sur une race de Caraïbes vigoureux, adroits, sachant manier la hache, abattre, exploiter, façonner les arbres, intrépides pionniers, nageurs hardis et aguerris par les Anglais aux plus rudes corvées. Il en trouverait, penset-il, trois mille moyennant un salaire de trois francs par jour.

Quant au percement de la Moracia et aux appropriations à opérer dans la rivière Sapoa et dans la baie de Salinas, il calcule qu'il pourrait emprunter dix mille hommes à la population de l'état de Nicaragua, laquelle dépasse 200,000 âmes. Des Indiens, tous chrétiens, sociables et dociles, pourvu qu'on les paye exactement, pourront encore fournir un contingent utile. Enfin 1,000 soldats offerts par les deux républiques, seraient un renfort précieux et dont le concours se ferait vivement sentir dans les produits de la main d'œuvre. Cette main d'œuvre ne paraît être pour M. Belly, l'objet d'aucune inquiétude. Il faut remarquer toutefois qu'elle est sans contredit le point culminant et laborieux du projet. La dépense au total ne pourrait dépasser 120 millions, et probablement, à 12 ou 15 millions près, elle n'atteindrait pas ce chiffre. On voit combien nous sommes loin des 780 millions réclamés par le projet du colonel Kelley de New-York, voulant canaliser les rivières Atrato et Truando.

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