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son versant Ouest, puis traversant la gorge de Timissao, s'engagea dans le Tanezrouft de Tademekha.

Le Tanezrouft est un vaste désert pierreux, dont la teinte blanchâtre uniforme rend la nudité et la sécheresse plus terribles encore. Il s'étend au delà des plaines relativement fertiles qui longent les gradins inférieurs du Ahaggar, au pied d'un dernier bourrelet de collines rocheuses qui l'en sépare. Ce n'est aux abords de l'Adrharh que cesse cette barrière caractéristique qui limite partout les marches du Soudan.

L'Adrharh, large plateau peu élevé, est divisé en deux parties par une large vallée, dans laquelle se jettent de nombreux Oued, dont les thalwegs entaillent profondément les massifs latéraux. Sans être abondantes, les sources y sont assez nombreuses, et, partout, sur les sommets comme dans les plaines, la végétation reste vigoureuse toute l'année.

En hiver, les Aouelimmiden occupent ordinairement les plateaux supérieurs ou descendent dans les vallées, quand ils sont groupés en assez grand nombre pour n'avoir pas à craindre les incursions des Touareg Ahaggar, qui font chez eux des razzias continuelles. En été, au contraire, ils s'en vont plus au Sud, dans les pâturages plantureux qui s'étendent jusqu'au Niger.

Mais, cette année-là, ils avaient remporté sur leurs dangereux voisins un léger succès, à la suite duquel ils avaient obtenu la paix en rendant leurs prises. Quelques campements étaient donc restés au nord de l'Adhrarh, et c'est précisément cette circonstance qui avait décidé les Medaganat à tenter l'aventure de ce côté.

Onze jours après leur départ, ils arrivèrent au pied du plateau, et découvrirent bientôt un troupeau des OuladSilla, petite fraction des Aouelimmiden. Deux bergers et un nègre qui le gardaient leur apprirent que les campements se trouvaient assez loin pour qu'aucune poursuite ne fût à craindre, ce qui les décida à faire un court séjour avant de s'engager de nouveau dans le Tanezrouft.

Au moment où le rezzou partait, l'un des propriétaires arriva pour voir ses animaux. Il était à cheval, mais comme tous les Aouelimmiden, sans selle, et n'avait qu'un arc avec un mauvais pistolet, les armes à feu étant fort rares chez cette peuplade. Le khebir du rezzou (1) se jeta sur lui et l'abattit d'un coup de sabre, puis, après l'avoir dépouillé, fit reprendre aussitôt la marche un moment interrompue. Le soir, les deux bergers qui avaient été gardés prisonniers furent remis en liberté, Quant à l'esclave, il suivit la harka et on le chargea de conduire le cheval pris à son maître. Douze jours après, les Medaganat étaient de retour dans leurs campements avec une centaine de chameaux. Ils n'en eurent ainsi chacun que deux ou trois. Mais les chameaux des OuladSilla sont les meilleurs mehara de tout le Sahara, et cette prise avait, par suite, une valeur considérable. Une partie de ceux que gardèrent les Medaganat leur servirent plus tard à s'assurer les bonnes grâces et la protection des kebar des Chaâmba: le mehari du caïd actuel, ben Ahmed ben Cheikh, ceux des principaux personnages de la tribu, proviennent de cette razzia, et, quoique âgés, ce sont, de beaucoup, les plus beaux et les plus vigoureux d'Ouargla.

Quelque temps après le retour des Medaganat, au moment même où la harka du Tibesti revenait de son côté, un mead de quinze mehara des gens de l'Adhrarh arriva chez les Touareg pour demander la restitution des chameaux qui venaient de leur être enlevés. Ahitâgel, chef des Kel-Khela et le personnage le plus important de la peuplade, Bel Guerradji des Taïtok, Engadi des Kel-Ahamellel et quelques autres kebar l'accompagnèrent jusqu'au campement des Medaganat qui refusèrent d'abord de rien rendre. Mais n'étant pas en force, ils finirent par

(1) Doukha ould Hamidou, targui des Taïtok, dont le père avait été tué dans le combat livré à l'oued Serseb par Bou Choucha contre les Larbâa.

Revue africaine, 30° année. No 176 (MARS 1886).

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se décider à abandonner un chameau sur deux, menaçant d'en venir aux armes si on leur demandait d'avantage. Le mead dut s'en contenter. Toutefois, la demie satisfaction qu'il avait obtenue ne lui parut pas suffisante, et un marabout révéré des Ahl-Ech-Cheikh (1), qui l'accompagnait, invoqua en partant les malédictions du ciel contre les Touareg, qui, sans les abrndonner complètement à eux-mêmes, n'avaient pas fait preuve d'un grand empressement à défendre leurs intérêts.

L'année suivante, il ne plut pas au Ahaggar. C'était le commencement d'une des périodes de sécheresse si fréquentes dans le Sahara et elle s'est prolongée sans interruption jusqu'au printemps dernier. Les Touareg attribuèrent naturellement cette calamité à la malédiction qui pesait sur eux et, pour se venger, recommencèrent aussitôt leurs incursions contre l'Adrharh qu'ils n'ont cessé depuis de piller et saccager tous les étés.

L'intervention des Ahaggar en faveur des Oulad-Silla, bien qu'elle eût été assez modérée, avait indisposé les Medaganat, qui entrèrent dès lors en relations avec les Imanghassaten des Azdjer. Cette tribu nombreuse, très pillarde, est, comme les Iboguelan des Ahaggar, fort redoutée. Pauvre, et, par suite, belliqueuse, elle ne vit guère que de pillage, et est notamment en lutte constante avec les autres fractions de la confédération dont elle fait partie.

Mohamed-ag-Dadda, l'un de ses chefs, avait eu des difficultés quelque temps auparavant avec un indigène des Ifoghas, nommé Khelil, à la suite d'un vol de quelques chameaux enlevés à celui-ci, et qu'il avait été forcé

'(1) On appelle Ahl-Ech-Cheikh, dans la région de Timbouctou, toutes les peuplades qui subissaient jusqu'à ces dernières années l'ascendant religieux des Bekkaya. Depuis la révolution sociale et politique qui les a chassés du pays, diverses influences se disputent leur succession au point de vue religieux; dans l'Adhrarh, un marabout de ces districts, Baba Ahmed ould Bahdi, paraît l'avoir emporté sur ses compétiteurs.

de lui rendre. Il vint demander aux Medaganat de l'aider à se venger. Quatre d'entre eux (1) répondirent à son appel, et, avec une dizaine de ses parents, formèrent un rezzou de 15 mehara qui se réunit à Amguid. Delà, par Aïn-El-Hadjadje, l'expédition se dirigea vers Alezzi et l'Oued Tikhammalint sur la route de Rhat, où était campé Khelil. Les autres campements des Ifoghas étaient assez loin, et sa tente se trouvait seule. Deux Touareg et deux Medaganat s'en rapprochèrent sans bruit pendant la nuit et, quand, réveillé par ses chiens, il sortit pour voir ce qui se passait, tous quatre se jetèrent sur lui. Ils s'en rendirent facilement maîtres, et l'emmenèrent à Mohamed-ag-Dadda qui, après l'avoir fait attacher, le roua de coups de bâton. Quand il parut à peu près inanimé, on le laissa sur place, et, après avoir chargé sur ses chameaux, au nombre d'une trentaine, la tente avec tout ce quelle contenait, le rezzou battit en retraite. Les Ifoghas, prévenus trop tard pour poursuivre les ravisseurs, envoyèrent un mead au Ahaggar. Ils étaient en paix avec les tribus du pays. L'agression à laquelle avaient pris part les Medaganat leur fut donc vivement reprochée, sans que d'ailleurs on essaya de leur reprendre le butin qu'ils avaient fait. Ce second incident rendit cependant assez tendues les relations des Medaganat avec leurs hôtes. Néanmoins l'automne se termina sans événement particulier. C'était l'époque à laquelle les caravanes vont s'approvisionner de dattes au Tidikelt, dans l'Aoulef, à Akabli, à Sali, et les Touareg ainsi que les Châamba, avaient intérêt à éviter tout dissentiment assez grave pour provoquer les coups de main qui eussent été la conséquence inévitable d'une rupture.

Néanmoins, leurs relations ne s'améliorant pas, le manque d'eau finit par produire de nouvelles difficultés à l'entrée de l'hiver. Il n'avait pas plu depuis l'automne

(1) Messaoud ben Chraïer, El-Akhedar ben. Horrouba, Mohamed ben Abd-el-Hakem et Belkheir ben Miloud.

précédent, et les puits de l'Oued Tirhedjert se trouvaient alors presque à sec. Les Medaganat, entourés de nombreux campements chassés du sud par la sécheresse, se décidérent à partir pour l'Oued Gharis, afin de gagner ensuite l'Arak du Mouydir. Mais les Kel-Ahamellel les y suivirent, et des discussions ne tardèrent pas à s'élever entre eux, de plus en plus vives. Un jour, enfin, on en vint aux mains: Messaoud ben Chraïr reçut un coup de sabre, et un de ses compagnons, Ali ben Telmoucha, attaché à un arbre, fut bâtonné par les Imghâd. Le lendemain même, les Medaganat décampèrent tous, craignant une attaque générale qu'ils n'auraient pu repousser, et, brusquant leur mouvement, ils allèrent s'installer dans la vallée inférieure de l'Arak. Les Kel-Ahamellel, satisfaits de les avoir chassés de l'oued Gharis, ne poussèrent pas plus loin, ce qui leur permit de passer dans cette région sans être davantage inquiétés la fin de l'hiver et le printemps de 1876.

Campés d'abord dans l'Arak, ils s'avancèrent peu à peu vers le Maâder de Deggarlt, et y séjournèrent assez longtemps, puis vinrent s'établir près de la Koudiya de Tiouindjiguin, là même où Saïd ben Driss les avait razzés en 1874.

Indépendamment des événements qui avaient ainsi marqué l'année 1875, il s'était produit pendant l'été un autre incident dont les conséquences devaient être tragiques.

Salem ben Chraïr, l'un des chefs des Medaganat, en allant vendre, dans le courant de juin, à In-Salah, quelques charges de viande boucanée, y rencontra un groupe de Touareg et de Zoua, qui se préparaient à aller razzer du côté d'Ouargla.

Il se décida aussitôt à les accompagner, ainsi que deux Châamba d'El Goléa (1), et le rezzou fort de 13 mehara (2) quitta le Tidikelt le 1er juillet.

(1) Mohamed ben Cheikh ben Djoudi et Hamona ben Cheikh. (2) Le rezzou comprenait outre Salem ben Chraïr, Mohamed ben

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