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L'arrivée des Châamba acheva de décider les Imanghassaten campés dans les Ighagharen à massacrer nos compatriotes. Les Européens qui s'aventurent chez elles inspirent toujours aux peuplades sahariennes une mystérieuse terreur, et les Touareg, au nombre d'une dizaine tout au plus, bien que se portant au devant des voyageurs, hésitaient à les attaquer.

Mais Cheikh ben Bou-Saïd, Abd El-Kader ben Ghaouti et Diab ben El-Akhedar n'eurent pas de peine à triompher de leurs dernières craintes. La victoire de Saïd ben Driss à El-Botha était pour eux un nouveau motif de haine contre les Chrétiens, et l'occasion qui s'offrait était trop inespérée pour qu'ils n'en profitassent pas avec empressement. Leur résolution avait donc été prise rapidement, et, dès que les Imanghassaten furent tombés d'accord avec eux, ils partirent tous ensemble.

Ainsi qu'ont l'habitude de le faire presque tous les gens de leur tribu en pareille circonstance, les Châamba s'habillèrent comme leurs compagnons, le voile targui et le costume du pays assurant un incognito à peu près complet à ceux qui le portent; la petite troupe, forte d'une quinzaine de mehara (1), se dirigea rapidement vers le puits d'Ohaut, pour gagner ensuite celui d'InAzhar, sur la route directe de Rhât, que devait suivre la caravane de Dourneau-Duperré.

Par suite d'un retard dans ses derniers préparatifs, celui-ci n'avait pu quitter Rhadamès le 7 avril comme il en avait d'abord l'intention, et s'était mis en route le 12

chef du parti hostile à notre influence, a pris une certaine part aux agissements des Imanghassaten dans cette occurence.

(1) Les trois Châamba précités étaient accompagnés d'un nègre, El-Kheir, esclave de Cheikh ben Bou Saïd, et deux fils d'Abd-elKader ben Ghaouti, ou de Diab ben El-Akhedar, Messaoud et Ahmed, d'après un rapport du consul général de France à Tripoli. Ce rapport mentionnait également un nommé Drab ben Ferah, qui n'est autre que Diab ben Abd-el-Kader. Tous ces indigènes sont actuellement campés avec Si Kaddour ben Hamza, qui les compte parmi ses serviteurs les plus dévoués.

seulement, n'emmenant en fait d'indigènes du pays que les deux Ifòghas (1) engagés comme guides et chameliers.

Le 12 au soir, la caravane s'arrêtait à peu de distance de la ville; puis, faisant ensuite de plus longues étapes, nos compatriotes campèrent successivement à H.-InTafarasin, En-Naga, H.-Massin, oued Djaabet-ed-Dib, et, enfin, le 17, près des ravins d'Agharghar-Mellel, à une quarantaine de kilomètres d'In-Azhar.

C'est là que les Châamba et les Imanghassaten les rejoignirent.

Précédés par un des leurs, qui, sous un prétexte quelconque, avait été reconnaître le camp, ils se donnèrent en arrivant pour un meâd, chargé de souhaiter la bienvenue aux explorateurs.

A leur vue, Dourneau-Duperré s'était d'abord alarmé et mis sur la défensive avec ses compagnons; mais il se laissa bientôt gagner par les protestations des Touareg, et leur fit un accueil empressé.

Le plan primitif du rezzou était de massacrer immédiatement les Français, s'ils se laissaient surprendre. Leur attitude n'ayant pas permis de mettre tout de suite ses projets à exécution, il fut rapidement convenu qu'on attendrait la nuit pour les tuer pendant leur sommeil. Les deux Ifòghas qui servaient de guides à la caravane ne s'y trompèrent pas; mais, suivant les usages du désert, ils prirent sans hésiter leur parti de la situation, et les assurances qu'ils donnèrent à nos compatriotes, ne contribuèrent pas peu à entretenir la confiance de ceux-ci qui, à leur instigation, offrirent au prétendu mead une abondante diffa.

Le repas terminé, Dourneau-Duperré, Joubert et Ahmed ben Zerma se couchèrent près de leurs bagages, pendant que les Châamba, les Imanghassatem et les Ifòghas se dispersèrent çà et là près de leurs mehara et des chameaux.

(1) Nassamoun-ag-Adda et Ahmed-oua-N'Taniden.

Tous parurent bientôt s'endormir. Mais, au bout de quelques heures, à un signal convenu, ils se levèrent silencieusement et, rampant dans l'obscurité, leurs sabres à la main, ils se glissèrent jusqu'auprès des trois voyageurs qui, surpris par cette brusque agression, ne firent aucune résistance. Ils furent égorgés tous trois en quelques instants, et, après avoir atrocement mutilé leurs cadavres, sur lesquels ils s'acharnèrent avec une rage féroce, les assaillants se partagèrent leurs dépouilles.

Les Ifôghas n'avaient point pris part personnellement au massacre; mais ils n'en eurent pas moins une part du butin, en récompense de leur trahison, grâce à laquelle le crime avait pu s'accomplir aussi facilement.

Le jour venu, les Touareg et les Châamba se séparérent. Ceux-ci se rendirent d'abord au Ahaggar, où ils restèrent jusqu'à l'été, et partirent ensuite pour l'Aoulef, au moment de la récolte des dattes.

Cheikh ben Bou-Saïd, qui avait rapporté entre autres choses le revolver et la tente de Dourheau-Duperré, se servait alors de celle-ci, et, à son arrivée dans le Tidikelt, il la dressa pendant longtemps à côté de celles de ses femmes, comme le font les Sahariens assez riches pour avoir une tente en toile.

Les Cheheub et quelques Laghouât-El-Ksel s'étaient, ainsi qu'on l'a vu, séparés des Medaganat après l'affaire d'El-Botha, pour aller camper à Ingher, où ils passèrent toute la fin du printemps, faisant paître leurs troupeaux dans le rhâba, et allant de temps à autre en caravane au Gourara.

Ils avaient promis leur concours à Salem ben Chraïr, pour aller razzer dans les parages d'Ouargla. Mais, apprenant que les Medaganat venaient de partir sans les attendre, au moment où ils se réunissaient eux-mêmes pour les rejoindre, ils se décidèrent à opérer dans l'oued Mguiden et se mirent en route au nombre de 20 ou 25 mehara (1).

(1) Le rezzou comprenait outre les Cheheub et ceux des Laghouat

D'Ingher, le rezzou prit la route d'Aïn-Souf, puis le medjebed de l'oued Mguiden par Afflissaz, et laissant ElAggaïa au nord, se rendit tout d'abord à H.-En-Naga.

Les traces des Méharza, alors occupés à la récolte des graines de drîne, étaient nombreuses aux alentours; cependant on les suivit pendant deux jours sans rencontrer personne. Un peu plus loin, à H.-Fathma, près du Tinerkouk, des chouaf partirent encore sur la piste toute fraîche de quatre piétons, pour tâcher de se procurer des renseignements sur les troupeaux. Mais, presque aussitôt, le gros du rezzou tomba tout à coup sur de nombreux chameaux qui venaient boire.

C'étaient ceux des Oulad-Sid-El-Hadj-Yayia et des Oulad-Feredj d'El-Golea, qui s'étaient installés pendant l'hiver à Tabelkoza.

Tous les mehara se précipitèrent aussitôt pour les razzer. Les Cheheub, qui croyaient tout d'abord avoir affaire à des Méharza, apprenant par les bergers ce qui en était réellement, essayèrent alors d'obliger les Touareg et les Châamba d'Onargla à rendre les animaux déjà pris. Mais ceux-ci, qui étaient égaux en nombre, refusèrent de lâcher leur butin, et, n'osant pas engager une lutte d'autant plus périlleuse que leurs tentes étaient à Ingher, les Mouahdi durent se contenter d'empêcher que la razzia continuât.

Les Touareg, les Oulad-bou-Saïd et les Laghouat-elKsel, satisfaits de résultat obtenu, partirent tranquillement pour le Tidikelt, où ils arrivèrent sans encombre.

Quant aux Cheheub, une fois les autres chameaux réunis par les bergers, ils se remirent en campagne, ne voulant pas revenir les mains vides, et, à la nouvelle

El-Ksel qui les avaient suivis, El-Madani, son frère et son fils, Hamoua, Mohamed ben Djoudi et Hamoua ben Salem des Châamba d'El-Golea, Cheikh ben Boudjemaa et Seghir ben Ech-Cheikh des Oulad-bou-Saïd d'Ouargla, enfin une dizaine de Kel-Ahamellel d'Ingher, Oulad-bou-Tseggui et Oulad-Hamouima.

qu'un Mekhademi, resté en insurrection, Kaddour ben Mohamed, venait de quitter son campement d'été dans l'oued Mguiden pour rentrer à Tabelkoza, ils prirent le parti d'aller l'attendre sur la route. En effet, deux jours après, la caravane parut à quelque distance du rezzou qui s'était caché. El-Madani, l'un des Mouadhi, se glissant alors derrière des petites dunes qui masquaient la vue, s'en rapprocha peu à peu, et, une fois à bonne portée, tua d'un coup de fusil le Mekhademi, qui n'avait avec lui que ses femmes et des enfants en bas âge. Dès qu'il fut tombé, les Chàamba se précipitèrent sur ses chameaux et les emmenèrent sans autre lutte, tels qu'ils étaient chargés, ainsi qu'une jument et quelques ànes.

Huit jours après, ils rejoignirent l'autre groupe de la harka à Ingher, et prétendirent alors avoir leur part des quarante chameaux ramenés par les Touareg. Mais, sur ces entrefaites, arriva un mehari d'El-Hadj Abd El-Kader ben Badjouda, qui voulait faire restituer ces animaux à leurs propriétaires. N'osant pas résister ouvertement à ses injonctions, les Touareg et les Chùamba d'Ouargla qui les détenaient se sauvèrent à Reggan, la dernière oasis du Touat au Sud-Ouest. Quand ils en revinrent un mois plus tard, pensant n'avoir plus rien à craindre, tous les Medaganat étaient réunis dans l'Aoulef, et un meâd des Oulad-Zid et Oulad-El-Hadj-Yahia, envoyé pour réclamer les chameaux, se trouvait avec eux. Les Toureg essayèrent cependant encore de refuser de les rendre; mais, n'étant plus en nombre, force leur fût de s'exécuter.

L'automne était arrivé sur ces entrefaites, et, la récolte des dattes tirant à sa fin, les Medaganat allèrent en demander quelques charges à In-Salah. D'autre part, les gens de l'Aoulef leur en donnèrent un certain nombre et leur en vendirent à crédit autant qu'ils en avaient besoin pour l'hiver. Ainsi approvisionnés pour plusieurs mois, ils se décidèrent à aller au Ahaggar, n'osant pas se rapprocher d'Ouargla, dans la crainte que les tribus azzées pendant l'été ne cherchassent à se venger. Les

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