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LES MEDAGANAT

(Suite.

Voir le N° 175)

Il fut alors question d'organiser une nouvelle expédition contre les Medaganat.

Mais les Chaâmba, qui n'avaient marché contre Bou Choucha qu'avec la plus grande répugnance, et parce que quelques-uns des leurs avaient été razzés par lui, étaient de cœur avec ces dissidents. Sans le concours de cette tribu, les autres nomades d'Ouargla ne pouvaient s'aventurer dans un pays qu'ils ne connaissaient pas. Ce projet n'eut donc point de suite.

La harka avait fait un butin considérable, environ 500 chameaux. Mais, si elle arriva sans être inquiétée à In-Salah, ce ne fut qu'après avoir laissé sur la route les trois quarts de ces animaux. Faire boire 500 chameaux à un puits ordinaire est une opération qui demande près d'une journée, si ce n'est plus. Les Medaganat étaient obligés de se sauver avec trop de précipitation pour pouvoir s'arrêter aussi longtemps. Il se décidèrent donc à ne faire séjour qu'à H.-Inifel, où le peu de profondeur de l'eau permet d'abreuver les animaux assez facilement, et où ils pouvaient espérer n'être pas poursuivis. Malheureusement, la plupart des chameaux razzés étaient arrivés depuis un jour ou deux seulement dans les parages d'Ouargla, et n'avaient pas encore bu depuis leur départ du campement. D'autre part, la marche forcée Revue africaine, 30° année. No 176 (MARS 1886).

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qu'on leur fit faire les fatigua naturellement beaucoup; aussi commença-t-il d'en rester en arrière à moitié chemin d'H.-El-Gara à H.-Djemel et au delà de ce point; ce fut par bandes qu'ils se couchèrent, hors d'état de faire un pas de plus. A H.-Inifel leur nombre se trouvait ainsi diminué de plus de 350.

Quelques-uns seulement de ceux qui avaient été laissés en route parvinrent à se rapprocher d'Ouargla, et furent plus tard retrouvés par leurs propriétaires; les autres, plus de 300, périrent de soif, sauf une vingtaine encore vigoureux, mais cependant trop faibles pour suivre, et que les gens du rezzou égorgèrent.

A partir de Hassi-Inifel, les Medaganat marchèrent si lentement, que tout le monde les croyait exterminés, quand ils arrivèrent dans les campements des leurs, après plus de six semaines d'absence. Mais, grâce à cette précaution, ils purent sauver la plupart des animaux qui leur restaient, et n'en perdirent que vingt ou vingt-cinq, entre ce point d'eau et In-Salah.

Le succès de la razzia avait été assez important pour rendre quelques précautions nécessaires dans l'hypothèse probable d'une incursion des tribus d'Ouargla, incursion que cependant l'attitude des Chaâmba rendit impossible, ainsi qu'on l'a vu.

Mais les Medaganat ne pouvaient compter sur cette chance favorable; aussi partirent-ils pour l'Aoulef, dès que les chameaux ramenés par le rezzou se furent à peu près remis de leurs fatigues en passant quelques jours dans les gras pâturages de la Rhâba.

Ils trouvèrent réunis dans cette région tous les autres compagnons de Bou Choucha, qui, de leur côté, avaient fait diverses expéditions.

Immédiatement après l'affaire d'El-Botha, Cheikh ben Bou Saïd, Abdelkader ben Ghaouti, Diab ben El-Akhedar et quelques Chaâmba, dont les chameaux étaient restés au pâturage près d'El-Beïodh, avaient été les chercher, craignant qu'ils ne fussent razzés par la petite colonne

de Saïd ben Driss, ou par les éclaireurs qu'elle pouvait détacher de ce côté.

Ils se hâtèrent de les réunir et gagnèrent précipitamment Temassinin, puis l'Erg de la vallée des Ighargaren, où ils arrivèrent vers la fin de la première semaine d'avril.

Leur intention était de rester quelque temps dans cette région pour chasser, mais la rencontre qu'ils firent presque aussitôt des Touareg Imanghassaten, qui venaient de recevoir la nouvelle du départ de deux Français de R'hadamès pour Rhât, et se disposaient à aller les attendre sur la route, modifia leurs premiers projets.

Ces deux Français étaient Norbert Dourneau-Duperré et Eugène Joubert.

Le premier, créole de la Guadeloupe, ancien commis de la marine au Sénégal, et, en dernier lieu, directeur de l'école arabe-française de Frenda, dans la province d'Oran, avait conçu le projet de se rendre directement d'Algérie à Timbouctou, en traversant par la voie la plus directe le pays des Touareg.

Bien que la situation politique du Sahara fût aussi peu favorable que possible à la réalisation de cette tentative, et malgré les avertissements qu'il avait reçus de différents côtés, il avait persisté à partir, sans se dissimuler d'ailleurs les dangers qu'il allait courir, et que l'expédition contre Bou Choucha devait rendre particulièrement graves.

A Tuggurt, Joubert, établi dans cette oasis, où il tenait un débit de liqueurs et faisait un petit commerce de détail, se décida à l'accompagner. Ils emmenèrent avec eux deux indigènes du Souf, Ahmed ben Zerma, qui avait déjà suivi M. H. Duveyrier dans son voyage chez les Azdjer en 1860-61, et El-Nasseur ben Tahar.

Les renseignements recueillis à Tuggurt et au Souf ne lui permettant plus de se faire la moindre illusion sur les chances de succès que pouvait présenter la traversée du Ahaggar, Dourneau-Duperré se décida à partir pour

Rhadamès, espérant tout au moins gagner ensuite Rhât sans difficultés.

La première partie de ce voyage s'effectua en effet dans de bonnes conditions.

Mais peu après son arrivée à Rhadamès, un premier incident lui donna quelques ennuis. Des rivalités d'influence, comme il s'en produit toujours en pareil cas, s'élevèrent entre Ahmed ben Zerma et Nasseur ben Tahar, et, croyant, sur la dénonciation d'Ahmed, que Nasseur cherchait à trahir, il le fit jeter en prison par le caïmacan turc qui commandait la ville.

La longue instruction ouverte ultérieurement à ce sujet n'aboutit à aucun résultat, et, vraisemblablement, les torts de Nasseur ben Tahar étaient assez discutables. En tout cas, Dourneau-Duperré avait eu raison de se débarrasser d'un serviteur sur lequel il ne pensait pas pouvoir compter. Malheureusement, il ne fit pas preuve de la même prudence dans une circonstance beaucoup plus grave. Il s'était adressé pour l'organisation de sa caravane à des Touareg Ifòghas, auxquels il loua quelques chameaux, ceux qu'avait déjà fournis Ahmed ben Zerma ne suffisant pas. Les Ifòghas devaient en outre servir de guides aux voyageurs qu'ils s'étaient engagés à conduire en toute sécurité jusqu'aux campements d'El-Hadj Ikhenoukhen (1).

Mais un certain nombre d'Imanghassaten, qui se trouvaient à Rhadamès, avaient fait de leur côté des offres de service à nos compatriotes. Ces offres ayant été déclinées, ils leur demandèrent impérieusement une somme de 5,000 fr. pour droit de passage sur le territoire de leur tribu.

(1) El-Hadj Ikhenoukhen, qui est mort à un âge très avancé, au mois de juillet dernier, était le chef politique de la confédération des Azdjer, ou du moins le personnage le plus influent de cette peuplade. Il avait fait à M. Duveyrier un accueil particulièrement favorable lors de son voyage de 1860-61 et Dourneau-Duperré avait naturellement pensé qu'il trouverait auprès de lui le même appui.

Dourneau-Duperré, croyant qu'El-Hadj Ikhenoukhen avait une autorité effective sur tous les Azdjer, pensant que les Ifôghas jouissaient d'une influence assez réelle pour faire respecter leurs promesses, et sachant d'ailleurs que les Imanghassaten, pas plus que les autres tribus Touareg, n'ont de territoire propre dans les limites des parcours communs à tout leur groupe, répondit à ses interlocuteurs, qu'en fait de droit de passage, il se bornerait à leur envoyer des balles s'il les trouvait sur sa route, et son attitude paraissant avoir produit sur eux l'impression qu'il en attendait, il crut n'avoir plus grand chose à redouter de ce côté.

Mais, en réalité, si El-Hadj Ikhenoukhen était en effet la personnalité la plus marquante des Azdjer, si quelques Ifòghas doivent à leur origine maraboutique une certaine autorité, il n'existe entre les différentes tribus des Touareg de l'Est, aussi bien qu'entre celles des autres confédérations, que des relations d'intérêt général, et l'indépendance de beaucoup d'entre elles vis-à-vis des autres est complète. C'est particulièrement le cas pour les Imanghassaten, qui sont presque toujours en luttes avec les Ifôghas et avec leur parti.

Aussi, bien que ce point n'ait pu être entièrement éclairci, semble-t-il probable que la réponse de Dourneau-Duperré à la demande qui lui avait été faite, demande exagérée, mais qu'il pouvait être utile de discuter, ait été en partie la cause des événements qui suivirent.

Les Imanghassaten envoyèrent, en effet, un mehari prévenir de l'arrivée de sa caravane ceux des campements de leur tribu qui se trouvaient près de la route qu'elle devait prendre, et, dans le Sahara, un semblable avertissement donné dans de telles circonstances équivaut à un arrêt de mort (1).

(1) Il semble probable qu'un indigène de Rhadamès, nommé ElHadj Theni, l'agent politique des Senoussiya dans la région et le

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