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bères à travers l'Asie et l'Europe, aussi bien que des confins de l'Oural aux plaines du Sahara.

C'est cet aperçu que nous allons essayer d'esquisser. Malgré la diversité des opinions émises sur l'ethnologie de l'Afrique Septentrionale, presque tous les auteurs anciens ou modernes sont d'accord sur deux points: la pluralité des races berbères et leur groupement possible autour de deux souches principales, séparées dès la plus haute antiquité, mais ayant certainement une origine commune (1).

En effet, chez les Berbères, les mœurs, les coutumes, les traditions, le langage, l'histoire, tout, en un mot, se résume en un dualisme perpétuel dont l'expression la plus saisissante est ce double soff que l'on retrouve dans le plus petit hameau kabyle, comme dans les plus puissantes confédérations du Sahara Zénatien, et dont les dénominations géographiques n'ont aucun rapport avec les situations topographiques de ceux qui en font partie. Ces soff ont ceci de remarquable, qu'au lieu d'emprunter leurs désignations à des personnalités, à des idées religieuses ou politiques, ou même à des signes de ralliement, ils les tirent presque partout des noms des quatre points cardinaux: Cherguia (Orientaux) contre Gherbia (Occidentaux); Dahria (Nordistes) contre Gueblia (Sudistes). Ces dénominations restent toujours les mèmes dans tous les grands partis quels que soient, d'ailleurs, au point de vue topographique, les positions respectives ou l'enchevêtrement des gens qui les composent. On rencontre aussi, dans les soff de moindre importance et d'origines moins anciennes, le terme de

gens de la plaine », Tahtania, opposé à celui de « gens de la montagne », Fouqania, sans que cela implique, pour l'un ou l'autre parti, l'habitation d'une

(1) Voir le résumé et l'analyse des diverses opinions émises sur ces origines, dans les ouvrages d'Ibn Khaldoun, du général Faidherbe, de Masqueray, Olivier, Tauxier, etc.

région plane ou montueuse. Pour trouver des partis ayant conservé ainsi, pendant des siècles, des appellations géographiques, sans le moindre rapport avec l'emplacement de ceux qui en font usage, il faut, dans l'histoire, remonter jusqu'aux temps des Goths.

Cette particularité, si caractéristique des soff berbères, et dont l'origine et la signification sont, aujourd'hui, inconnues des indigènes, s'explique très bien par un souvenir inconscient et affaibli des anciens chocs qui eurent lieu entre les diverses races venues de points opposés lors des premières grandes migrations qui peuplèrent le pays (1).

Salluste nous a donné, à cet égard, la substance des traditions berbères, et Ibn Khaldoun les a résumées en deux généalogies mystiques des fils de Berr, l'ancêtre commun de la race par ses deux enfants: Beranis et Madres qui, pour M. le colonel Carette, personnifient, le premier, le peuplement Nord, le second, le peuplement Sud.

M. Carette ne va pas au delà et il évite même de se prononcer sur la question du peuplement primitif de la Berbèrie; selon lui (2), « l'hypothèse la plus raisonnable » est celle qui suppose dans chaque pays l'existence » d'une race d'hommes antérieure à l'origine de toutes » les traditions.... et dont le type originel persiste à >> travers les siècles et les révolutions, à quelques » nuances près. »

Ceci était écrit en 1851; aujourd'hui, grâce aux progrès de la linguistique, on peut, sans témérité, essayer de se reporter plus loin dans le passé et expliquer la raison d'ètre de quelques-unes de ces antiques et primitives traditions.

(1) Il y a aussi, mais exclusivement en ce qui concerne les Nomades ou les Hauts-Plateaux, une explication locale des désignations des soff. Voir notre travail sur les Premiers royaumes berbères dans la Revue africaine, 1885, pages 172 et 241.

(2) Origines et migrations des principales tribus de l'Algérie, p. 25.

Pour cela, il n'est pas nécessaire de remonter jusqu'aux temps géologiques où n'existaient ni le détroit de Sicile ni celui de Gibraltar, où l'océan Saharien baignait le sud des pays de l'Atlas et de l'Atlantide, où le Nil n'avait pas encore formé son delta et se jetait dans la mer Rouge, et où, enfin, l'homme de l'époque quaternaire habitait les cavernes préhistoriques. La Berbérie, par sa constitution orographique, par sa faune, par son climat, par son histoire a toujours fait partie intégrante du Sud de l'Europe occidentale; dont elle n'est qu'une île séparée par d'étroits bras de mer.

L'Espagne et l'Italie ont donc dù, évidemment et à priori, contribuer pour beaucoup au peuplement premier de la Berbérie; nous le verrons tout à l'heure; mais il n'en est pas moins vrai que l'Afrique septentrionale tient à l'Asie par l'isthme de Suez et n'est séparée de l'Arabie que par le détroit de Bab-el-Mandeb, aussi facile à franchir que celui de Gibraltar. Il est donc plus que probable que le peuplement a dù se faire à la fois par l'Europe et par l'Asie, sans qu'il soit d'ailleurs possible à la linguistique d'établir bien nettement la priorité et surtout la prépondérance de l'un ou l'autre de ces peuplements.

Ces deux courants de migrations humaines venant, l'un du Nord, l'autre de l'Ouest, ont dù nécessairement se rencontrer, se heurter, se déplacer, se refouler, aussi bien sur le littoral que dans le Sahara; les races européennes toujours poussées par de nouveaux flots d'immigrants étaient forcées de s'étendre vers le Sud et l'Est, tandis que les races asiatiques, sous des influences identiques, cherchaient à s'étendre vers l'Ouest et aussi vers le Nord, car c'étaient des races touraniennes ou blanches que leur instinct poussait à fuir l'équateur et à retrouver les zones tempérées auxquelles elles étaient habituées.

De ces chocs des Nordistes occidentaux contre les Sudistes orientaux naquirent ces luttes gigantesques,

dont les légendes locales des tribus berbères, de la côte des Somalis à St-Louis du Sénégal, ont gardé de vagues et lointains souvenirs résumés dans les dénominations de ces deux grands soffs, Gherbi et Chergui, aujourd'hui éparpillés en des milliers de petits groupes s'agitant entre la Méditerranée et le dixième parallèle.

Ces mouvements, indiqués ici en quelques lignes, durèrent en réalité pendant des siècles, et se continuèrent encore longtemps après que des empires puissants tels que l'Égypte et l'Éthiopie eurent fermé aux immigrants d'Asie, et la route de l'ithsme de Suez et la fertile vallée du Nil. De sorte que, d'assez bonne heure, ce fut par la route d'Aden et de Berbera, que les migrations asiatiques purent pénétrer en Afrique, comme ce fut par les routes du lac Tchad, du Fezzan, de l'Igargar et de l'oued N'saoura qu'elles purent remonter vers le littoral méditerranéen.

Les diverses races qui, dans les deux groupes, formèrent les premières assises du peuplement berbère, peuvent être énumérées approximativement, de la façon suivante, en un tableau les résumant toutes d'une façon synoptique; mais n'indiquant d'ailleurs rien d'absolu ni dans l'ordre relatif, ni dans les dénominations adoptées, ni dans les routes suivies; chaque groupe principal représente, en effet, toute une longue série de migrations à peu près de même origine, s'enchevêtrant et se mêlant avec celle des groupes voisins.

Chacun de ces groupes sera ensuite examiné à part, et son existence sera appuyée de quelques explications forcément très sommaires, car pour justifier rigoureusement le classement que nous proposons, il faudrait tout un ensemble d'études géographiques, linguistiques, archéologiques, anthropologiques et historiques qui sont encore en partie à faire, et pour lesquelles il n'existe pas toujours des matériaux suffisants.

5.

TABLEAU SYNOPTIQUE DES ORIGINES BERBÈRES

PEUPLEMENT NORD OU MÉDITERRANÉEN

BERANES D'IBN KHALDOUN (SOff Gherbi, soff Dahri, etc.).

10 IBÈRES-GHERABA OU LABBAREN (races à cheveux bruns et de petite taille). Ibères, Basques, Liguriens, Auses, Étrusques.

2o GAEL OU KEL-LOUA (races blondes et de grande taille). Gaëls et Celles (Kel-Libua, Kel-Loua, Lybiens); Scyto-saxon (Chelouha et Ichelouden); Scyto-lettique (Souhalia-Illiten).

PEUPLEMENT SUD OU ASIATIQUE ET SAHARIEN

MADRES D'IBN KHALDOUN (Soff Chergui, soff Guebli, etc.).

10 IBÈRES-CHERAGA OU TOURANO DRAVINIENS (races à cheveux bruns).

Peuples de Enn (Anou, Iaones, Hellenes, etc.).

20 TOURANIENS-HAMAXEQUES OU Peuples FILS DE LEURS MÈRES, PEUPLES DU MÉRAOU (races blondes et de grande taille). Amazones, Kimmeriens, Summeriens, Melanchlènes, Amachek, Touareg, Adite, Zenala, Zenaga, Izenacen.

30 TOURANO-CHALDÉENS, AKKADIENS OU COUSCHITES (races brunes). Akkadiens, Éthiopiens, Ait-Aouban ou Beni-Mzab (Ghadamės, Marckouch).

40 TOURANO-ARIENS, fils de leurs pères (races blondes). - Mèdes, Iraniens, Géles, Numides, Gélules, etc. (Mediouna, Imesmouden).

5o RACES INDIENNES. (Provenance distincte, un peu postérieure et composée d'éléments fort mélangés et appartenant plus ou moins directement aux groupes précédents). — Zenaga, Zenata et autres de provenance ultérieure.

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