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coup de main dont il venait d'être victime. Il se mit cependant à la poursuite du rezzou avec Taïeb ben ElHadj Kaddour, Kebir des Oulad-En-Nessire, que suivirent une dizaine de mehara, dont les tentes étaient dans le voisinage, et, grâce à la rapidité de leur marche, les Chaâmba arrivèrent à Ghourd-Oulad-Yaïche, dix heures seulement après que le départ des Medaganat. Mais ceux-ci avaient jeté dans le puits les restes d'un chameau qu'ils avaient abattu pour se procurer la viande nécessaire à la route, les vivres leur manquant.

El-Hadj El-Mire et ses compagnons n'avaient malheureusement pas rempli leurs outres d'avance. Ils comptaient se procurer à H.-Ghourd-Oulad-Yaïche la provision nécessaire pour les trois jours de marche sans eau qui les séparaient des puits du Maâder, et, n'ayant même pas bu depuis la veille, commençaient à souffrir de la soif.

A leur arrivée au puits, l'odeur fétide qui s'en exhalait leur permit de se rendre compte de la ruse des Medaganat. Les délou (1) ne ramenèrent qu'une eau corrompue, qu'il était impossible de boire. Force leur fut donc de se rabattre sur H.-Djemel, où ils arrivèrent le lendemain soir exténués, et de rentrer à leurs campements, la poursuite ne pouvant être continuée dans ces conditions.

El-Hadj El-Mire décida alors Noui ben Abd-el-Hakem, père de Mohamed ben Abd-el-Hakem, que des chasseurs revenant du Maâder lui avaient désigné comme chef du rezzou, à l'accompagner à In-Salah pour réclamer ses chameaux.

A leur arrivée à Ksar-el-Kebir, El-Hadj Abd-el-Kader ben Badjouda, chef de la Djemaa (2) et les Oulad-ba-Hammou s'interposèrent pour les lui faire rendre. S'exposer à se brouiller avec les Chaâmba était en effet assez

(1) Délou sac en cuir qui sert à puiser l'eau. (2) Djemâa: assemblée des notables.

grave, et les gens d'In-Salah jugèrent plus prude. de profiter de l'inférioté numérique des Medaganat pour exiger la restitution du butin.

Ceux-ci durent s'exécuter; ils n'étaient pas encore en état de résister, et El-Hadj El-Mire recouvra ses chameaux, sauf trois qui avaient été mangés ou vendus, puis revint à Ouargla.

Mais en l'interrogeant sur ce qui se passait dans le pays, sur l'emplacement des campements, sur les détails qu'on demande toujours aux voyageurs dans le Sahara, les Medaganat avaient obtenu de lui de nombreux renseignements sur les troupeaux d'Ouargla. Aussi une nouvelle harka fut-elle organisée presque aussitôt pour utiliser ces données; l'été commençait, et la saison devenait favorable. Bien que tous les Medaganat fussent disposés à partir, l'expédition ne put réunir, faute de moyens de transports, qu'une vingtaine de combattants, y compris trois nègres.

Elle ne disposait que de cinq mehara et de sept chameaux de bât, qui furent répartis à raison de un pour trois fusils (1).

La marche fut assez lente dans ces conditions, et la harka n'arriva à H.-Inifel que quinze jours après son départ de Foggarat-ez-Zoua en suivant la route de H.-El-Messeguem et H.-In-Sokki. Après un séjour à Inifel, elle reprit sa route par l'oued Mya, et mit encore huit jours pour atteindre H.-Djemel, n'allant guère plus vite que les ca

ravanes.

Dès qu'arrive l'été, les Châamba, qui, pendant l'hiver, se dispersent dans les parages de l'oued Mya, vont dans les pâturages de l'Est jusqu'au moment où ils regagnent Ouargla pour la récolte des dattes. Les Beni-Thour et les

(1) Les cinq mehara appartenaient à Ahmed El-Ahouar, Salem ben Chraïr, El-Akhedar ben Horrouba, Mabrouck ben Miloud et un Zoui des Oulad-Sid-El-Hadj Mohamed, Mohamed ben El-Hadj Radjaâ, qui avait perdu tout ce qu'il possédait à El-Botha, et avait été d'ailleurs l'un des fidèles de Bou-Choucha.

Mekhadema, après être allés dans les vallées des oued issus de la Chebka de Metlili et du Mzab, reviennent aussi et passent par Hafert-Chaouch, H.-Bou-Khezana, Gour-el-Guendouze pour se rendre dans l'oasis. Leurs troupeaux sont alors envoyés, les uns à l'oued En-Nesa et l'oued Mzab, les autres aux puits du Sud les plus rapprochés, H.-El-Hadjer, H.-Bou-Khenissa, H.-Tarfaya. Seuls, les Fouaress de la dernière tribu restent presque toujours au Sud. Ils s'avancent jusqu'auprès d'El-Golea, pendant l'hiver, puis reviennent par l'oued Mya.

Au moment où El-Hadj El-Mire avait quitté Ouargla, il n'y avait plus dans le Sud que les 75 chameaux de Rabah ben Naïmi, kebir des Fouaress: les autres troupeaux de la fraction avaient, par exception, suivi le mouvement de la tribu, en raison des craintes que faisaient concevoir la présence des insurgés au Tidikelt.

Ces animaux étaient donc l'objectif au début des Medaganat. Mais, pendant le temps qui s'était écoulé depuis le départ d'El-Hadj El-Mire, les Mekhadema et les BeniThour avaient commencé leur mouvement vers Ouargla et au moment de l'arrivée du rezzou, de nombreux troupeaux se trouvaient groupés dans les environs de H.-Tarfaya et Hassi-bou-Khenissa.

Les projets des Medaganat, qu'ils n'avaient point cachés, étaient venus à la connaissance des Chàamba d'ElGolea. Grâce à la lenteur de leur marche, un Madhoui en relations avec Rabah ben Naïmi, put le faire prévenir. Celui-ci reçut cet avis assez tard dans la soirée, mais, montant aussitôt à cheval, il galopa jusqu'à Settour, basfond sableux où il avait laissé ses chameaux tout près de Bou-Khenissa. Au lever du soleil, il les avait déjà rassemblés, et il partit pour Ouargla en les poussant vivement, ne laissant derrière lui qu'une vieille chamelle malade avec son berger, un nègre de quinze ans.

Quelques heures après, la harka, qui avait battu la veille sans résultat les environs de H.-El-Hadjer, arrivait à Bou-Khenissa. En voyant les traces fraiches des

chameaux et celles d'un cavalier marchant à vive allure, les Medaganat comprirent que leur prise leur échappait. Néanmoins, Salem ben Chraïr, Mohammed ben El-Hadj Radjaâ et trois autres mehara partirent sur la piste. Ils rejoignirent bientôt le nègre de Rabah ben Naïmi, qui leur dit que son maitre devait avoir déjà dépassé le Djebel Krima. Ils n'en continuèrent pas moins la poursuite jusqu'aux Gour-Kriem, à vingt kilomètres d'Ouargla. Puis se rendant compte qu'ils ne pourraient atteindre le troupeau qu'en vue de l'oasis, ils firent demitour pour aller retrouver au puits leurs compagnons qui les y attendaient.

Le nègre qu'ils avaient laissé derrière eux s'était sauvé; mais, en l'interrogeant, ils avaient appris que les moutons de Rabah ben Naïmi et de quelques BeniThour se trouvaient à Zebbarat-el-Aoud, un peu au Sud de Bou-Khenissa, ainsi que les chameaux des Mekhadema arrivés récemment.

Le rezzou se dirigea donc de ce côté, et arriva un peu avant le coucher du soleil au puits situé au bas des dunes de Zebbarat-el-Aoud.

Des traces toutes fraîches montraient que les moutons n'étaient pas loin. En effet, des chouaf envoyés sur le sommet de l'Erg virent de l'autre côté les feux des bergers.

Au point du jour, les Medaganat tombèrent sur eux. Il y avait là un esclave de Rabah ben Naïmi, qui gardait le troupeau de son maître, un Thouri, Ben Assoune, neveu de Cheikh Djedid ben Maâmar, l'un des caïds actuels d'Ouargla, et deux indigènes des Oulad-Sidi-Maàbed, engagés comme bergers par les Beni-Thour. Tous furent faits prisonniers, et, après s'être assurés qu'il n'y avait dans les environs personne qui pût les découvrir et donner l'alarme, les Medaganat égorgèrent une dizaine de moutons dont ils mangèrent une partie sur place. La viande des autres devait remplacer leurs provisions de route à peu près épuisées.

Ben Assoune, bien qu'âgé de quinze à dix-huit ans seulement, avait accompagné son oncle avec les contingents d'Ouargla, lors de l'affaire d'El-Botha. Il avait rapporté du pillage des tentes un haouli (1) et un long couteau (un Bou Saadi) qui appartenaient tous deux à Ahmed El-Ahouar.

Celui-ci, en voyant le couteau, le reconnut aussitôt, ainsi que le haouli. Ben Assoune prétendit d'abord les avoir achetés à Ouargla, puis dit ensuite que Cheikh Djedid les lui avait donnés à son retour. Enfin, pressé de questions, bousculé, frappé de plusieurs coups de bâton, il finit par reconnaître qu'il avait suivi l'expédition de Saïd ben Driss, mais comme chamelier, sans cesser de se défendre d'avoir pris part au pillage. Pris d'une rage folle, Ahmed El-Ahouar se jeta sur lui et, saisissant le couteau dont la gaine était retenue par un solide cordon de cuir, il chercha à l'enlever violemment. Ces efforts rompirent le cordon, et, dans la secousse qui se produisit, le manche atteignit Ben Assoune à l'œil gauche qui fut arraché de l'orbite par la force du choc; le malheureux avait eu, en même temps, la paupière fendue. Il se sauva en poussant des cris épouvantables et vint se réfugier près de Radjâa, se couvrant de son burnous pour implorer sa protection. Ahmed El-Ahouar voulait quand même le tuer; mais quelques autres Medaganat s'interposèrent, et les choses en restèrent là jusqu'au

soir.

Profitant d'un moment où ceux-ci s'étaient écartés, Ahmed El-Ahouar appela Messaoud ben Chraïr, plus connu sous le nom de El-Mehassen, et lui dit d'aller égorger le Thouri. Messaoud, prenant avec lui Mohammed ben Ali, son compagnon habituel, et un des nègres (2), emmena, sous un prétexte quelconque, Ben Assoune

(1) Haouli, couverture longue en laine, coton, ou soie, que les nomades se drapent autour du corps sous le burnous.

(2) Ce nègre était un esclave de Kaddour ben Mechoucher.

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