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fusil et un esclave nègre égorgea les autres. De toute la famille il ne resta qu'un enfant en bas-âge, qui avait été conduire à In-Salah quelques chameaux récemment razzés par ses frères.

Bien que la bonne foi ne soit pas à beaucoup près la qualité des Sahariens, des Châamba surtout, les coutumes du désert sont en général assez respectées, et Medagan les avait trop audacieusement violées pour que son souvenir ne fût pas durable.

Razzer un ennemi, enlever les chameaux d'une tribu hostile, ou avec laquelle on n'a point de relations d'amitié, sont des actions glorieuses, quels que soient les moyens employés pour réussir. Mais là s'arrête la tolérance. La trahison de leurs hôtes causa donc chez les Habb-erRieh une vive indignation.

Quelque temps après, une autre tribu d'Ouargla, celle des Mekhadema, campée sur l'oued Thouil, fut victime d'un coup de main dont les auteurs restèrent d'abord inconnus. La crédulité publique l'attribua à la famille de Medagan, aux Medaganat, sortis, disait-on, de leur tombe pour couper de nouveau le Sahara. En réalité deux familles des Mekhadema qui avaient eu des difficultés avec leur kébar s'étaient enfuies dans les parages d'ElGoléa un peu auparavant, et les quatre ou cinq Mehara qu'elles pouvaient réunir avaient été razzer la tribu. Ils périrent obscurément dans une autre rencontre. Mais le surnom de Medaganat ne leur en resta pas moins.

Cette qualification passa dès lors dans les usages, s'appliquant indistinctement à tous les coupeurs de route que la nature de leurs exploits mettait hors la loi. Plus tard, seulement, elle devint le nom patronymique de ceux des insurgés de 1871, qui, après la capture de Bou Choucha, continuèrent la tradition qu'il leur avait laissée. Quelques Châamba, désignés ainsi dès 1867, formèrent le principal élément de cette bande, et, devenus ses chefs, ils revendiquèrent eux-mêmes comme un symbole le titre de Medaganat.

La famine de 1867, moins effrayante à Ouargla que dans l'est et le nord de l'Algérie, sévit cependant cruellement sur les tribus de cette région. Les dattes de l'Aouguerout et du Touat, qui en temps ordinaire ne se vendent pas, valaient sur le marché des ksar de 100 à 150 francs la charge, dès l'automne.

Les nomades n'avaient même plus la ressource de la chasse, la sécheresse ayant détruit le gibier. Ceux qui avaient conservé leurs troupeaux se nourrirent, tant bien que mal, de la chair boucanée des bestiaux qu'ils abattaient. Les autres se trouvèrent réduits à prendre des lézards de sable, à déterrer quelques racines, ou à manger du dahnoun, plante saharienne, qui, sans être absolument comestible, renferme quelques sucs nutritifs.

Un certain nombre de Châamba, groupés ainsi près de Hassi-bou-Khenissa et vivant au jour le jour dans uue profonde détresse, se décidèrent au commencement de l'hiver à partir pour El-Goléa. Ils comptaient s'y procurer plus facilement quelques ressources par le vol et le pillage, se sachant assurés de trouver dans cette région la plus complète impunité.

Le chef de ce petit groupe, Salem ben Chraïr, craignait d'ailleurs d'ètre inquiété pour un récent méfait. Pendant l'été, il était parti avec deux autres mehara, El-Akhedar ben Horrouba et Cheikh ben Krane, pour aller razzer au Nefzoua. Mais, près de la frontière, ils avaient surpris trois indigènes des Rebaà du Souf, qui chassaient dans les dunes, et, après les avoir gardés prisonniers pendant deux jours, les avaient égorgés. Chargeant ensuite les cadavres dans des tellis, ils les avaient jetés dans l'Erg en revenant, et étaient rentrés chez eux avec les chameaux de ces malheureux.

Ce ne fut point la cause immédiate du départ de Salem ben Chraïr pour El-Goléa; un de ses compagnons, Cheikh ben Krane, resta en effet à Ouargla. Mais ses craintes eurent quelque part à sa décision, qui fut aussi motivée en partie par le meurtre d'un de ses frères, tué d'un coup

de baton par un autre Châambi; Salem ben Chraïr avait deux frères, Messaoud et Mabrouk. C'est celui-ci qui périt ainsi dans une rixe avec Mohamed ben Telli, qu'il avait voulu empêcher de faire boire ses chameaux à un puits où lui-même abreuvait les siens.

Salem ben Chraïr emmena, avec son frère Messaoud ben Chraïr, neuf tentes des Châamba d'Ouargla et d'ElGoléa (1).

La Nezla de ces indigènes ne possédait plus que trois ou quatre chameaux, et les vivres pour la route lui faisaient absolument défaut, ainsi que les outres indispensables pour traverser la hamada (2) qui s'étend des berges de l'oued Mya aux abords d'El-Goléa. Mais dès qu'ils furent décidés à partir, ils achetèrent à crédit un certain nombre de chèvres à Rouissat, dont les troupeaux n'avaient pas trop souffert. Ils se firent prêter en même temps, par d'autres indigènes de leur propre tribu, quelques chameaux, sous prétexte de changer de campement, et, revenus à Bou-Khenissa, abattirent les chèvres dont la viande suffirait pour les nourrir jusqu'au but de leur voyage, et dont les peaux devaient fournir d'excellentes guerba (3) neuves, puis gagnèrent ensuite l'Oued Thouil à Zirara et, de là, les parcours des Mouadhi.

Le Rouisi auquel s'était adressé Salem ben Chraïr, pour se procurer des chèvres (4), n'avait consenti à lui en donner que contre la remise de deux chameaux appartenant à Messaoud ben Chraïr, afin d'avoir un gage sur sa créance. Mais son frère ayant l'intention de ne rien

(1) Ces tentes étaient celles de El-Akhedar ben Horrouba, El-Mire ben Sendid, Belgacen ben Ghoïdela et Hamoua ben Salem, tous de sa fraction, celle des Ouled-Belgacem; Boubeker ben Abd El-Hakem, des Oulad-Bou-Saïd, et son frère Mohamed; enfin, Mohamed ben El-Hadj et ses deux fils, des Khenabliche, fraction des Chaamba Mouadhi, qui se trouvaient alors à Ouargla.

(2) Hamada: plateau pierreux.

(3) Guerba: outre servant à transporter l'eau. (4) Mohamed ben Zaouïa.

rembourser, Messaoud resta en arrière afin de tâcher de les reprendre. N'y pouvant réussir, il en enleva huit autres dans les troupeaux du ksar, et se sauva aussitôt pour rejoindre ses compagnons.

Les propriétaires des animaux volés chargèrent de le poursuivre quelques Châamba, qui reprirent bientôt sept bètes, qui n'avaient pu aller assez vite, et qu'il avait dû abandonner les unes après les autres. Quant à la dernière, Messaoud ben Chraïr, que ces indigènes trouvèrent à sa tente en arrivant à El-Goléa, pris d'une rage folle en voyant que cette proie allait encore lui échapper, l'égorgea. Les envoyés des gens de Rouissat ne pouvant rien lui prendre en échange puisqu'il ne possédait plus rien, restèrent à El-Goléa jusqu'à ce qu'on eût complètement mangé le chameau pour en avoir leur part, et revinrent à Ouargla avec les sept animaux qu'ils avaient retrouvés.

Salem ben Chraïr et ses compagnons reçurent l'hospitalité des Mouahdi pendant quelques jours, et commencèrent leurs courses sans plus tarder. Dans la première, où quatre Châamba Mouahdi, des Cheheub, et deux Berezga les accompagnèrent, ils enlevèrent une cinquantaine de chameaux. Le rezzou, fort de quatorze mehara, traversa sans encombre les campements des Châamba Guebala par H.-el-Medjira, H.-Lafaga, H.-Bennemel et l'Oued Saada, d'où il vint à H.-el-Oussiya. On lui avait indiqué dans cette direction d'assez forts troupeaux des gens du Souf. Ils y enlevèrent, en effet, cinquante chameaux (1), puis battirent en retraite après avoir égorgé deux de ces animaux pour les manger. Un autre fut encore abattu à H.-Djemel, où le rezzou trouva deux chamelles (2). Cinq jours après, l'expédition était de retour à El-Goléa.

(1) Ces animaux appartenaient aux Messâaba des Troud et à Taïeb ben Omrane, des Châamba Oulad-Feredj-d'Eloued.

(2) Elles appartenaient : l'une à un Zoui d'In-Salah, qui se la fit plus tard payer, et l'autre à Kaddour ben Bou Aïcha des Hable-cr-Rieh,

Au partage, chaque mehari eut trois chameaux, non .compris deux parts de reziza (1) données à Salem ben Chraïr et aux Cheheub, ainsi que la gheffara (2) des Ouled-Sidi-Cheikh, une part pour les Abid (3) de SidiCheikh, et une part pour ceux de Sid-El-Hadj-bou-Hafs. Trois mois après, Salem ben Chraïr repartit de nouveau avec trois compagnons (4). Ils suivirent la hamada qui s'étend entre la Chebka et l'oued En-Nesa, puis se dirigèrent vers El-Alia, petit ksar de l'oued Rhir, où les campements sont toujours nombreux. Les troupeaux étaient au paturage, tout près de l'oasis, sans berger. Au lever du jour les Châamba enlevèrent une cinquantaine de bêtes (5), puis s'enfuirent rapidement dans la direction de Zelfana. De là, par l'Oued Terir, H.-El-Hadadra et H.-Zirara, ils arrivèrent au bout de quelques jours à El-Goléa. Chacun des quatre mehara du rezzou eut onze chameaux pour sa part.

Un peu avant son retour, Maâtallah bou Defer (6), l'un des kebar des Châamba d'Ouargla, était venu chez les Mouahdi, et avait été au campement de Salem ben Chraïr et de ses compagnons. On lui offrit l'hospitalité; mais aucune des tentes n'avait de grains, de dattes, de beurre, ni même de lait et de sel. Boubeker ben Abd-El-Hakem,

(1) Reziza: part supplémentaire donnée aux chefs du rezzou. (2) Gheffara part réservée comme offrande religieuse aux OuledSidi-Cheikh.

(3) Abid, nègres. Les offrandes des tribus de la région d'Ouargla sont abandonnées par les Ouled-Sidi-Cheikh aux descendants des esclaves des fondateurs de leur famille.

(4) Un fils de Mohammed ben El-Hadj Mohammed, Mohammed en Abd El-Haken et El-Mire ben Sendib.

(5) Appartenant aux Ouled-Saïah, Ouled-Naïl, Ouled-el-Bouti et ux gens d'El-Abia.

(6) Maâtallah bou Defer a laissé un nom célèbre dans le Sahara. C'était le chef redouté des expéditions contre les Ahaggar, dont le chant de guerre: « Aba Mâh Maâtallah, Ahin Keihan, maudite soit ta mère, Maâtallah, le diable est dans ton corps, » a consacré ses exploits.

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