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Les contingents d'Ouargla éprouvèrent de graves pertes dans ce combat, laissant en notre pouvoir leurs vivres et leurs munitions; ils se dispersèrent et rentrèrent chez eux. Quant à Mohammed-ben-Abd-Allah, il regagna précipitamment l'Oued-Itel. Sa présence sur ce point où il semblait vouloir établir son quartier général étant une menace pour la sûreté du Sahara, deux colonnes se formèrent pour l'en chasser, l'une à Biskra sous le commandement du colonel Desvaux, l'autre à Bousaâda sous les ordres du capitaine Pein. Le colonel Dervaux allait se mettre en mouvement lorsque les événements des Haracta l'appelèrent brusquement dans d'autres régions et le forcèrent de se porter au secours de Aïn-Beïda, contretemps fâcheux que l'ennemi sut mettre à profit. En effet, le 18 juin, conduit par les Oulad-Saci, fraction des Oulad-Zekri, le chérif avec 400 fantassins surprit les Oulad-Harkat et les Oulad-Zeïan et les razia complètement. Il venait de repasser le Bou-Kahil, lorsque l'approche du capitaine Pein le força de rétrograder. Cet officier razia les Oulad-Saci, mais ne put atteindre l'agitateur qui, repassant l'Oued-Itel, gagna Dzioua et de là les Beni-Mzab où il séjourna le reste de l'été.

Au mois d'octobre, il se remit en mouvement et fit une démonstration sur Laghouat, ville qui nous était soumise mais que nous n'avions pas encore occupée militairement. Le général Yousouf, alors en observation à Djelfa, se porta aussitôt sur ce point. menacé, fit prendre quelques dispositions aux habitants et retourna à Djelfa le 17 octobre.

Le chérif paraissait s'être éloigné, mais vers le milieu de novembre, conduit par le vindicatif Nacer-ben-Chôhra, son lieutenant, il reparut devant Laghouat qu'il rallia à sa cause et se jeta dans cette ville avec l'intention de s'y bien défendre. Nos colonnes s'y portèrent sous le commandement en chef du général Pélissier. Laghouat fut prise le 4 décembre 1852 après un assaut meurtrier qui est un des faits d'armes les plus mémorables de nos annales algériennes (1).

Le chérif parvint à se sauver et se réfugia chez les Chaâmba à

(1) C'est là en marchant en tète d'une colonne d'attaque que succomba le général Bouscaren, officier d'un grand avenir, ainsi que le commandant Morand.

Haci-en-Naga près d'Ouargla. Ces derniers avaient déjà oublié la leçon qui leur avait été infligée sept mois auparavant à Melili, car à peine le chérif apparut-il que tous les groupes épars dans le Sahara se rallièrent à lui et l'aidèrent à reprendre les hostilités. Le 13 janvier 1853, accompagné de Nacer-ben-Chôhra, il part de Haci-en-Naga avec 200 cavaliers et 300 fantassins composés de Larbâa, Harazlia et Chaâmba, passe à Dzioua et DaïaTerfaïa près de Tamerna, arrive près d'El-Bådj et tombe sur les troupeaux des Souama puis sur les tentes des Rahman qu'il razie complètement malgré la présence sur l'Oued-Retem de Si Ahmedbel-Hadj-ben-Gana, kaïd des Arabes Gharaba, à la tête de 300 ca

valiers.

Après ce coup de main, le chérif se rapprocha du Mzab où il cherche à entraîner quelques tribus en intelligence secrète avec lui. Le bach-agha de Djelfa, Si Chérif-bel-Harech, reçoit immédiatement l'ordre de se mettre en mouvement et soutenu par le commandant du Barrail à la tête des troupes composant la garnison de Laghouat, il fait une course chez les Beni-Mzab qui se soumettent aussitôt et chez les Larbáa et les Harazlia dont quelques fractions rentrent également dans le devoir. Devant cette démonstration le chérif est obligé de se replier sur Rouissat où, après quelques pointes vers El-Okkaz, Oulad-Besbès et El-Hadjira, il se décide à passer l'été. Dans le mois de septembre, il se met de nouveau en route, accompagné de deux membres de la famille des Oulad-Sidi-Cheikh : Si Naïmi et Si Zoubir, frères de Si Hamza, qui étaient venus le rejoindre précédemment avec des contingents. Diverses razias sont opérées par eux entre Laghouat et Géryville, mais ils échouent du côté d'Oum-Saàd; ils parviennent enfin à surprendre les Oulad-Saad-ben-Salem et leur enlèvent 400 chameaux et onze troupeaux de moutons. Cette guerre de partisans et l'offensive prise par le chérif à l'égard de nos tribus soumises, compromettaient le prestige de notre autorité et avaient déjà trop duré. Il était temps de frapper un grand coup qui rétablit notre supériorité vis-à-vis de nos ennemis du Sud et raffermit les tribus hésitantes dans le sentiment du devoir. Dans ce but le Gouverneur général décida que des pointes profondes seraient poussées simultanément dans le Sud par des goums tirés de Bis

kra, Bousaåda, Laghouat et Géryville. Si Hamza fut chargé du principal rôle dans cette expédition dirigée contre le chérif et ses adhérents.

Les Oulad-Sidi-Cheïkh, cette puissante famille dont l'influence s'étend dans tout le Sahara et à laquelle appartenait le chérif Mohammed-ben-Abd-Allah lui-même, avaient, sur les suggestions de ce dernier, manifesté dès le début de la guerre des tendances qui nous étaient hostiles. Au commencement de 1852 le commandant Deligny avait dû marcher sur eux pour arrêter leur révolte et avait enlevé leur chef Si Hamza qui, plus tard, fut remis en liberté après nous avoir offert ses services. Tout récemment deux des frères de ce dernier, Si Zoubir et Si Naïmi avaient rejoint le chérif. Loin de les imiter, Si Hamza avait cherché, mais en vain, à les retenir. Nommé khalifa du Sahara occidental, il avait pris avec nous des engagements auxquels nous crûmes pouvoir nous fier et dont l'événement justifia la sincérité. Au mois de novembre toutes les colonnes étaient en mouvement. Nous n'avons pas à revenir sur les phases de cette campagne déjà relatée plus haut et qui se termina par l'entrée triomphale de Si Hamza dans les villes de Negouça et d'Ouargla après la défaite du chérif dans les dunes dites Areg-bou-Seroual, à quatre journées de marche au sud d'Ouargla.

Les pertes de l'ennemi furent très considérables; le chérif parvint à s'échapper avec Nacer-ben-Chôhra qui avait reçu une balle au bas ventre et qui fut emporté sur un chameau. La presque totalité des discidents Larbâa, Chaâmba, Mekhadma, Saïd-Ateba, ainsi que les deux frères du khalifa, Si Zoubir et Si Naimi, firent leur soumission sur le champ de bataille même. Après cette brillante affaire Si Hamza allait s'installer à Rouissat dans la propre maison du chérif.

Les rapides résultats que l'on venait d'obtenir démontraient l'influence immense des Oulad-Sidi-Cheïkh dans ces régions lointaines, où au nom de la France, en résumé pour le compte des chrétiens, il avait fait marcher au combat musulmans contre musulmans. La belle conduite de Si Hamza le désignait naturellement comme l'homme le plus capable de nous conserver le pays dont nous lui devions la conquête. L'hostilité des autres mem

bres de sa famille était d'autant plus excusable que jusqu'alors ils ne nous avaient jamais rien promis. Leur attitude au combat d'Areg-bou-Seroual n'avait pas été étrangère au résultat de la journée et à la soumission immédiate des populatious insurgées. Tout nous commandait donc de nous appuyer sur les Oulad Sidi-Cheikh pour tenir désormais le pays et nous autorisait à nous fier à enx. Nous n'avions pas d'autre politique à suivre à ce moment, quoiqu'en aient pu dire ceux qui, après les événements de 1864, ont vivement attaqué l'autorité militaire et lui ont reproché d'avoir préparé ces événements en faisant sortir cette famille de son rôle purement religieux.

Pouvions-nous nous passer alors des grandes influences indigènes pour maintenir notre domination dans ces vastes et lointaines régions jusque-là indépendantes et où l'établissement de garnisons permanentes était matériellement impossible? Non évidemment; si donc le concours de chefs influents nons était indispensable, quelle famille pouvions-nous choisir outre que celle qui venait d'être l'instrument de notre conquête? Du reste, pour apprécier avec impartialité les questions de ce genre, il faut d'abord connaître le pays, puis se reporter au temps et au milieu où les événements se produisaient et ne point les juger avec les idées d'aujourd'hui. Si Hamza fut maintenu comme khalifa du Sahara occidental, c'est-à-dire de toute la zone saharienne qui s'étend entre Ouargla et Géryville. A ce commandement furent rattachées toutes les tribus d'Ouargla constituées en aghalik sous les ordres de Si Zoubir, frère de Si Hamza. Les années qui suivirent démontrent que l'on avait été bien inspiré dans cette organisation. Pendant huit ans, de 1853 à 1861, l'aghalik d'Ouargla jouit d'une paix profonde. Le 1er janvier 1857 trois colonnes parties de Biskra, Bousaåda et Laghouat faisaient jonction à Ouargla, sous les ordres du général Desvaux et revenaient après avoir trouvé le pays dans le calme le plus parfait.

Pendant cette période de paix pour Ouargla le chérif Mohammed-ben-Abd-Allah n'était pas resté inactif; ses efforts avaient été impuissants pour soulever les tribus soumises au commandement des Ouled-Sidi-Cheïk. Après sa défaite d'Areg-Seroual il avait d'abord fui au Djerid avec Nacer-ben-Chôhra, mais repre

nant presque aussitôt les hostilités à la tête de contingents de Larbâa, Harazlia, qui l'avaient suivi, il s'était jeté sur quelques tribus du cercle de Biskra et y avait fait plusieurs razzias. N'ayant pu prendre pied dans le groupe d'Ouargla, il s'était porté vers le Souf, appelé par Selman-ben-Djellab soulevé contre nous. Il était venu le rejoindre, avait pris part au combat mémorable de Megarin (1er décembre 1854) qui nous ouvrit les portes de Tougourt. Obligé de fuir avec Selman, il s'était retiré de nouveau au Djerid tunisien; puis n'ayant pu s'entendre avec Nacer-benChôhra, il avait gagné le territoire tripolitain et plus tard les campements des Touareg, aux environs d'In-Salah où il resta jusqu'en 1861.

Le 15 août de cette année, il reparut dans l'aghalik d'Ouargla avec une bande de Touareg et recommença contre nous une campagne qui devait être aussi courte que malheureuse pour lui. Il débute par enlever, près des puits de Khefif, entre El-Hadjera et Negouça, neuf troupeaux de chameaux aux Mekhadma; il gagne ensuite Matenat, s'y repose les 17 et 18, et le 19 il prend position à El-Hadeb entre Ouargla et Rouissat. Les Chaâmba, ses amis de longue main, furent les premiers à lui faire leur soumission. Seul, le cheïk El-Bessati resta dans le devoir. Une députation des Mekhadma arriva bientôt après demandant la reddition des chameaux enlevés à Khelif, lesquels avaient déjà pris la route d'In-Salah. Le chérif répondit aux émissaires que le seul moyen de réparer leurs pertes était de marcher avec lui. L'hésitation des Mekhadma détermine le chérif à une démonstration insignifiante vers leurs tentes. Après une lutte factice, les Mekhadma et Beni-Tour se soumettent et offrent au chérif le cheval de gada. Restait le point capital, la soumission de la ville. Pendant que l'agitateur usait de tous ses moyens de séduction pour l'obtenir, Si Ali-Bey, kaïd de l'Oued-Rir' et du Souf depuis la prise de Tougourt, réunissait à El-Hadjira un goum de 170 cavaliers et 1,500 fantassins presque tous Souafa et était rejoint par El-Bessati cheïkh des Chaámba et El-Hadj-Guenan cheïkh des Mekhadma. Ces deux hommes lui déclarèrent qu'Ouargla n'attendait que son arrivée pour se prononcer contre le chérif et même pour le lui livrer. La défense de cette ville eût incombé naturellement à

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