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ciens fondant sur eux de tous côtés en firent un massacre épouvantable.

Pendant plusieurs années encore Negouça conserva la suprématie sur Ouargla et ce ne fut que vers 1841 que cette dernière ville reprit son importance politique à la faveur de discordes survenues chez les Saïd-Ateba et l'intervention des autres tribus dans les nouveaux partis qui se créèrent.

La tribu des Saïd-Ateba était à cette époque divisée en trois grandes fractions : les Fetnassa, les Rahbat et les Oulad-Yousef. A la suite d'une querelle la tribu entière prit les armes et se divisa en deux camps qui en vinrent aux mains. Le premier effet de cette lutte fut une révolution au sein de Ouargla. Malgré les efforts des Beni-Ouagguin, le sultan Mouley-Mesaoud, créature de Ben-Babia, fut renversé et remplacé par Mouley-Teïeb. Cet exploit accompli, les Fetnassa, Rahbat, Beni-Tour, Mekhadma et Chaamba marchèrent sur Negouça et y répétèrent l'acte de Ouargla en replaçant au pouvoir un autre Ben-Babia qui peu de temps auparavant avait été dépossédé pendant son pèlerinage à Tolga par son fils aîné. Ce dernier prit la fuite accompagné des OuladYousef, ses partisans vaincus; il revint avec eux en 1842 et son pardon fut une des clauses de leur soumission, mais à peine les Oulad-Yousef se furent-ils éloignés de Negouça que le malheureux fut, sur l'ordre de son père, mis à mort par son propre frère. On voit que le meurtre en famille était également en usage de ce côté comme à Tougourt.

Durant l'hiver de 1842-43, une scission eut lieu entre les BeniTour et les Mekhadma, amis depuis plusieurs siècles. Mettant à profit cette division, les Oulad-Yousef achetèrent l'alliance des Mekhadma qui, au printemps 1843, les rejoignirent sous les murs de Ouargla, campement ordinaire des Saïd-Ateba. Ils y étaient depuis quatre jours, lorsque le matin ils furent surpris, attaqués et mis en déroute par les Chaâmba, Beni-Tour, Rahbat et Fetnassa. Il se réfugièrent alors entre Chot et Hadjadja, mais le parti vainqueur les suivit et vint camper le soir à peu de dislance. Trop faibles pour accepter le combat, les Oulad-Yousef et les Mekhadma levèrent le camp pendant la nuit. Déjà ils étaient arrivés à Gour-Chouf, au Sud-Est du Djebel-Krima, lorsque l'en

nemi les atteignit, leur tua trois cavaliers et enleva leurs bagages. Fiers de ce coup de main les vainqueurs rejoignaient leur camp, lorsque par un retour offensif et inattendu les OuladYoucef et les Mekhadma fondirent sur les groupes restés en arrière et les écrasèrent. Les principaux chefs des Beni-Tour périrent dans cette affaire. Le lendemain la paix était faite mais elle fut de courte durée. Quinze jours après les Mekhadma se détachaient des Oulad-Yousef pour marcher contre eux dans les rangs des Beni-Tour et des Chaȧmba. Deux combats eurent lieu dans la même journée, le premier sous les murs de Ouargla et le deuxième près de Negouça.

Les Mekhadma et les Beni-Tour réconciliés ne restèrent pas longtemps unis; une nouvelle rupture s'opéra entre eux l'année suivante. Elle avait pour cause la mort d'un homme des BeniTour tué dans une querelle par un individu des Mekhadma et elle eut pour résultat de faire passer les premiers dans le camp des Oulad-Yousef lorsque ceux-ci revinrent quelques jours plus tard à Negouça. Joints aux Beni-Tour, les Oulad-Yousef marchèrent alors sur les Fetnassa, Rahbat et Mekhadma, les attaquèrent à Mandiz, près de Ouargla, et leur tuèrent 16 hommes et 35 chevaux. Après cette affaire la paix fut conclue.

Nous eussions pu abréger le récit de ces petites guerres locales, mais nous avons eu à cœur de mettre en évidence et l'état d'anarchie qui régnait avant la domination française dans ces régions lointaines, livrées par leur indépendance même à la fureur des partis et l'esprit mobile des populations qui ressort de la fragilité de leurs alliances et le rôle omnipotent joué par les tribus nomades annihilant presque complètement l'action des fractions sédentaires. Nous ajouterons que chaque péripétie de ces luttes de partis fut dans l'intérieur de Ouargla le signal d'une sorte de révolution de palais. De 1841 à 1852, le petit coin de Ouargla fut successivement occupé par les sultans Mouley-Teïeb, MouleyDebbi, Mouley-Ali, Mouley-Ahmed, Mouley-Mesaoud et MouleyAbd-el-Kader.

Grâce aux noles et documents qu'a bien voulu mettre à ma disposition M. le général Desvaux, nous venons de résumer l'histoire d'Ouargla avant l'arrivée des Français; il nous reste à puiser

à la même source d'informations pour présenter l'historique de la conquête de ce pays due aussi bien à notre politique qu'à nos armes.

Les populations d'Ouargla restèrent pendant longtemps indifférentes aux progrès de nos armes en Algérie. Les Saïd-Ateba figurèrent toutefois parmi les contingents d'Abd-el-Kader au siège d'Aïn-Mahdi en 1838, mais ce n'était là qu'une lutte entre indigènes et plusieurs années se passent encore avant que les circonstances nous appellent dans ces régions lointaines. Nous nous rapprochions cependant et l'occupation de Boghar, de Tiaret (1843), celle de Biskra (4 mars 1844) et l'expédition de Laghouat qui se termina par l'investiture d'Ahmed ben Salem comme khalifa de cette région, amenèrent forcément notre intervention dans les affaires sahariennes. Ce ne fut toutefois qu'en 1848 que les événements commencèrent à attirer nos regards vers Ouargla.

Les Ben-Djellab, cheïkhs héréditaires de Tougourt, avaient autrefois échangé avec les Ben-Babia, cheïkhs de Negouça, de riches présents qui dans l'intention des premiers étaient des jalons pour l'établissement de leur suzeraineté. Nous avons vu ce qui advint vingt ans avant à propos d'un cheval. En 1848, Abd-er-Rahman-ben-Djellab, après son succès contre Temacin, essaya de faire revivre ces vieilles prétentions. Complant sur notre appui et aidé par les Selmia et les Oulad-Moulat, il tenta une démonstration sur Ouargla dans le but spécieux de rétablir Mouley-Debbi qui venait d'être renversé par Mouley-Teïeb. Malgré la connivence des Beni-Ouagguin, il ne put rien contre cette ville et dut se replier sur l'Oued-Rir', après avoir pillé pour tout exploit les troupeaux des Beni-Ouagguin fauteurs de ses projets avortés. On comprend qu'une pareille conduite enleva à BenDjellab le peu de partisans qu'il avait pu se créer à Ouargla. Ce n'était donc pas par lui que nous devions espérer désormais d'arriver à la conquête de ce pays. L'ambition du cheïkh de Negouça allait, du reste, avant peu nous valoir des ouvertures de soumission et nous fournir une occasion plus légitime d'intervention. En effet l'année suivante, 1849, le cheïkh El-Hadj-Ahmedben-Babia désirant s'appuyer sur notre influence, envoya son fils Bou-Hafès à Tiaret et de là à Alger pour offrir le paiement

annuel d'un impôt et la reconnaissance de l'autorité française. Bou-Hafès arriva à Alger le 6 juillet, accompagné d'Adda-benSaåd, chef des Saïd-Ateba. Leurs propositions appuyées par le commandant supérieur de Tiaret furent agréées et quelques jours plus tard El-Hadj-Ahmed-ben-Babia fut nommé khalifa de Negouça et d'Ouargla et Adda-ben-Saâd kaid des Saïd-Ateba. Le nouveau khalifa chercha vainement à imposer son autorité et la nôtre à Ouargla. Les Saïd-Ateba sur lesquels il comptait, loin de lui prêter leur concours se laissèrent entraîner à la révolte par les Larbâa et les Harazlia et commencèrent avec eux, à la fin de 1850, des courses contre les tribus du cercle de Biskra. Telle était la situation lorsqu'en juillet 1851 l'arrivée à Ouargla du chérif Mohammed-ben-Abd-Allab, venant de Tripoli parfaitement stylé par le marabout Senoussi et par les Turks pour nous faire la guerre sainte, donna dans tout le Sahara le signal d'une conflagration dont le pays de Ouargla fut le foyer. A la voix du chérif toutes les tribus: Chaâmba, Mekhadma, Beni-Tour, SaïdAteba se soulevaient. Dans l'historique des Ben-Djellab, nous avons déjà exposé les débuts du chérif et ses tentatives dans l'Oued-Rir'. Ayant échoué dans ses projets contre Tougourt, Mohammed-ben-Abd-Allah sentit qu'il ne dominerait le Sahara qu'avec le concours d'une tribu puissante par sa cavalerie, aussi retourna-t-il ses intrigues contre la riche et belliqueuse tribu des Larbáa, commandée par le cheïkh Nacer-ben-Chohra et tiraillée à ce moment par les prétentions contraires de Si Chérifbel-Harech notre bach-agha de Djelfa, et d'Ahmed-ben-Salem notre khalifa de Laghouat. Ennemi juré de ce dernier, Nacerben-Chohra accepta les avances qui lui furent faites et entra ainsi contre nous dans une voie d'hostilités qu'il ne devait plus abandonner. Comptant sur son concours, le chérif partait d'Ouargla dans les premiers jours de décembre 1851 avec les Saïd-Atcba, les Chaâmba-bou-Rouba, les Chaamba-el-Mouadi qui étaient venus le rejoindre de Goléa (1) et il marcha contre les Oulad

(1) Le véritable nom des Chaâmba de Golea est El-Madi, du nom de la tribu des Oulad-Madi de Bou-Saâda dont tous les Chaâmba sont originaires. C'est par habitude et corruption du nom primitif qu'on les nomme Mouadi.

Saåd-ben-Salem. Il parvint à surprendre cette tribu sur les bords de l'Oued-el-Ahmar, lui enleva 500 chameaux, 400 bœufs et plus de 4,000 moutons, et après ce coup de main il gagna Berryan où il fut bientôt rejoint par Nacer-ben-Chôhra et une partie des Larbâa. Le bach-agha Si Chérif-bel-Harech, le khalifa Ben-Salem et l'agha du Djebel-Amour furent lancés contre lui avec de nombreux contingents indigènes. Dans l'engagement qui eut lieu Si Chérif avec ses goums fut le seul qui fit son devoir; déjà il prenait le dessus, lorsque les Larbâa de Ben-Salem faisant défection sur le champ de bataille passèrent du côté de leurs frères et de Ben-Chôhra el se jetèrent sur les derrières de Si Chérif-belHarech qui dut prendre la fuite avec des pertes énormes. Cette malheureuse affaire et la désertion des Larbâa était de nature à entraîner de nouvelles défections. Pour les prévenir et reconstituer l'autorité de Si Chérif-bel-Harech, le général Ladmirault, commandant la subdivision de Médéa, reçut l'ordre de se mettre en campagne, en même temps que le commandant Deligny, directeur des affaires arabes de la province d'Oran, marchait sur les Oulad-Sidi-Cheïkh dont l'hostilité venait de s'accentuer. Le mois de mars et d'avril 1852 se passèrent pour Mohammed-benAbd-Allah à observer les mouvements de la colonne Ladmirault qui malheureusement dut rentrer à Médéa vers la fin d'avril. Cette rentrée produisit un effet fâcheux dans le Sud. Tenu en échec par la présence de nos troupes sur le haut de l'Oued-Djedi, le chérif put après leur départ reprendre ses projets, agiter les populations et recruter de nouveaux contingents. Fort de notre éloignement, il annonça hautement son intention de se ravitailler dans l'Oued-Rir' et de marcher ensuite sur les Ziban. La première partie de son programme était pour lui d'une exécution facile. Une révolution favorable aux desseins du chérif venait en effet de s'accomplir dans l'oued Rir': le sultan tougourtin Abder-Rahman-ben-Djellab après une tentative d'assassinat dirigée contre lui par son cousin et compétiteur Selman était mort des suites de ses blessures. Nous avons déjà dit comment Selman s'empara de Tougourt où son ami le chérif put se ravitailler tout à son aise et partir de là pour les Ziban où le commandant Collineau le mettait en complète déroule au brillant combat de Melili.

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