Images de page
PDF
ePub

de Ouargla et de Ghadamès. C'était du reste de ce côté que l'audacieux révolutionnaire se retirait après chaque échec et allait chercher de nouvelles forces pour recommencer la lutte. Blessé, battu, épuisé par la vie errante, il mourrait misérablement en 1233. Ibn Khaldoun nous apprend que le souverain Hafsite Abou-Zakaria avait chassé le rebelle de la province de Tripoli ⚫ et du Zab. Toujours acharné à sa poursuite, il s'avança jus⚫ qu'à Ouargla et ce fut alors qu'émerveillé, et voulant ajouter » à l'importance de cette ville, il y fit bátir l'ancienne mosquée dont le haut minaret porte encore inscrit sur une pierre le » nom du fondateur et la date de sa construction (1).

Ibn Khaldoun qui terminait son grand ouvrage historique, vers la fin du XIIIe siècle, disait encore:

[ocr errors]

"De nos jours, la ville de Ouargla est la porte du désert par laquelle les voyageurs qui viennent du Zab doivent passer ⚫ quand ils veulent se rendre en Soudan avec leurs marchan» dises. Les habitants actuels descendent, les uns des anciens Beni-Ouargla et les autres des Beni-Ifren et des Maghraoua, ⚫ frères des Beni-Ouargla. Leur chef porte le titre de sultan, » sans encourir pour cela l'animadversion publique. La maison régnante est celle des Beni-Abi-Ghaboul, branche, disent-ils, » d'une illustre famille des Ouargla, nommée les Beni-Ouagguin. » Le sultan actuel s'appelle Abou-Beker- iben - Mouça - ibnSoleiman. Il descend d'Abou-Ghaboul, personnage dont la postérité en ligne directe y a toujours exercé la souveraineté. »

C'est sans doute de cette période de reconstitution que paralt dater la division de la ville en trois fractions ou quartiers: les Beni-Ouagguin, les Beni-Brahim et les Beni-Sissin. Bien que Ouargla eût ses particuliers, ses sultans, elle dépendait néanmoins du gouvernement de Biskra et elle en partagea, jusqu'à l'avènement des Turcs, les vicissitudes politiques; elle passa ainsi de l'autorité des Beni-Sindi, représentants des sultans Hamadites dans le Zab, à celle des Beni-Mozni, délégués des sultans Haf

(1) Ibn Khaldoun, 3° v., p. 286.

sites. Cette dernière famille chercha à se soulever contre les sultans en s'unissant à la dynastie Mérinitc. Mais, en 1347, Iousef-ben-Mozni se rangea définitivement du côté des Hafsites qui lui confirmèrent, par une nouvelle investiture, le commandement de l'Oued-Rir' et de Ouargla. L'importance de cette dernière ville était toujours allé croissant. Au XVIe siècle, Léon l'Africain parle des marchands étrangers de Tunis et de Constantine qui faisaient arriver en la cité la marchandise des côtes de Barbarie, laquelle ils troquaient avec les produits de la terre des noirs.

Nous voici arrivés à l'époque où les frères Aroudj et Keir-Eddin Barberousse fondèrent la régence d'Alger.

Nous avons déjà relaté plus haut l'expédition dans le Sahara entreprise, en 1552, par Salah-Raïs, pacha d'Alger. Haëdo, qui a fait le récit de cette campagne, s'exprime ainsi :

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Après avoir pris et pillé Tougourt, Salah-Raïs alla à quatre journées de là pour prendre et tuer le roi de Huerguela (Ouargla), pays très abondant en dattiers, car celui-là refusait également de payer le tribut aux Turcs; en arrivant, il trouva que le roi s'était enfui avec quatre mille cavaliers, ses vasseaux, et qu'il ne restait dans la ville que quarante marchands nègres, venus du Soudan, comme d'habitude, pour vendre » des noirs. Ceux-ci n'avaient pu s'enfuir avec le roi avant l'ar⚫rivée des Turcs. Comme c'étaient des gens riches, Salah-Raïs ⚫ les fit venir à composition et parvint à en tirer deux cent millc ■ écus d'or, moyennant quoi il les laissa aller en paix.

» Le pacha et son armée se reposa dix jours à Huerguela. Il apprit que le roi de ce pays s'était retiré à sept journées de là ⚫ environ cinquante lieues), dans une contrée qu'on appelle • Acala (El-Goléa), contrée qui est très près de la terre des ⚫ nègres. Il lui fit dire de revenir, qu'il lui donnait sa parole » qu'aucun mal ne lui serait fait, à condition que dorénavant il » paierait le tribut à Alger, qu'autrement il reviendrait le chercher et qu'il pouvait être certain de ne pas lui échapper.

Le roi de Huerguela ne rentra pas avant le départ des Turcs; » mais sa crainte avait été telle qu'il paya le tribut de trente

[ocr errors]

D

nègres par an. Salah-Raïs reprit ensuite la route d'Alger en repassant par Tougourt. »

Cette expédition, probablement la seule que les Turcs aient dirigé sur Ouargla, ne paraît pas avoir eu des résultats bien efficaces pour l'établissement de leur domination, car à partir de cette époque les documents historiques se taisent sur Ouargla et les traditions locales, seules guides désormais dans cette histoire inédite des guerres du désert, nous montrent le pays sans souverains, vivant dans un état complet d'anarchie jusqu'à l'année de la peste et du tremblement de terre, sous Kheder, pacha d'Alger, en 1602.

Fatigués de cette anarchie, les gens de Ouargla résolurent alors de rétablir le pouvoir monarchique et s'adressèrent, à cet effet, à la famille du chérif-souverain de Fez dont le chef avait quatre fils. Allahoum, le plus jeune, fut proclamé sultan de Ouargla, en 1602, et reçut, comme don de joyeux avènement, quarante esclaves et un grand nombre de palmiers, en même temps qu'on lui båtit une kasba (1).

Le règne d'Allahoum inaugura une ère nouvelle dans l'existence de Ouargla devenue état indépendant. Nous allons voir apparaître les tribus nomades Chaȧmba (2) Beni-Tour, SaïdAteba, Mekhadma. Appelés d'abord comme auxiliaires, ces étrangers s'installèrent bientôt en maîtres dans le pays qu'ils allaient remplir de leurs luttes sanglantes. Les sultans qui se succèderont et ne seront que des instruments entre leurs mains et la population sédentaire, Beni-Sissin, Beni-Brahim et Beni-Ouagguin, privée de toute initiative, n'aura plus d'autre rôle que d'épouser

(1) Je recommande vivement la lecture de l'excellent livre de mon ami le colonel Trumelet, Les Français dans le Désert, où les récits de ces épisodes sont racontés avec autant de verve que d'esprit.

(2) Voici ce que l'on rapporte sur l'origine du nom de Chaâmba: Un des premiers Oulad-Mâdi, émigré de son pays, le Hodna, du côté de Metlili, avait une levrette qu'il aimait beaucoup et appelait Amba. Il chassait souvent la gazelle avec elle et avait l'habitude de l'exciter, en criant: Ech Amba, ce qui signific: En avant, Amba! Les gens du pays lui donnèrent alors le nom de Chaâmba, qui resta à tous ses congénères.

leurs querelles et d'être à la remorque des parties qui se disputent le pouvoir.

Peu après son avènement, Allahoum accepta les services d'une tribu nomade, les Chaâmba Ahl-Zeriba, qui depuis quelque temps déjà étaient venus chercher des pâturages aux environs de Ouargla et les prit comme Mezarguia, ou gardes armés de lances. Plus tard, il accepta également la soumission d'une autre tribu nomade, les Beni-Tour, que la sécheresse avait chassée du Djerid et poussée vers Ouargla. Il accueillit d'autant mieux ces derniers qu'il comptait s'appuyer sur eux pour reprendre l'autorité que les Chaâmba commençaient à exercer en son nom. Mais ceux-ci devinant ses intentions enjoignirent aux Beni-Tour d'évacuer le pays. Un combat s'engagea entre les deux tribus. Les Chaamba, complètement défaits, appelèrent à leur secours les Chaámba d'El-Goléa et ceux de Metlili. Les Beni-Tour, vaincus à leur tour, durent se replier sur Tougourt pour réparer leurs pertes.

Leur retour à Ouargla fut le signal d'une nouvelle défaite. pour les Chaâmba qui, pris à l'improviste, furent taillés en pièces. Les hommes échappés au massacre se réfugièrent à Metlili el y réclamèrent vengeance; mais les Beni-Tour, qui comptaient alors plus de 500 chevaux, étaient trop puissants pour qu'on osat les attaquer ouvertement. Les Chaámba de Metlili attendirent donc une occasion favorable pour venger la mort de leurs frères, et un jour, ayant surpris quarante cavaliers des Beni-Tour qui se rendaient au Mzab, ils les massacraient tous jusqu'au dernier. A cette nouvelle, les Beni-Tour prirent les armes et marchèrent sur Metlili.

Un pieux pèlerin, Sid El-Hadj-bou-Hafes, fils aîné de SidiCheikh, le célèbre marabout d'El-Abiod du Sud oranais, en route pour La Mecque, rencontra la colonne et s'interposa comme conciliateur. Ses supplications amenèrent une réconciliation et la paix fut consentie de part et d'autre. Grâce à cette paix, deux émigrations de Chaámba purent partir de Metlili pour Ouargla, la première sous les ordres d'un nommé Bou-Rouba, qui a donné son nom à toute la tribu des Chaâmba Bou-Rouba, la deuxième sous celui de Bou-Saïd qui a donné aussi son nom à une fraction.

L'apaisement des parties et le gouvernement sage et ferme

d'Allahoum commençait déjà à ramener la prospérité dans le pays, lorsqu'un nouveau péril vint le menacer. Des Arabes, appartenant à la puissante tribu oranaise des Hamyan, achetèrent des palmiers à Ouargla. La tribu tout entière apparut dès lors, chaque année dans l'oasis, au moment de la récolte des dattes, se livrant aux plus grands désordres. Trop faible pour repousser par les armes ces terribles visiteurs, Allahoum eut recours à la ruse, et lorsque à l'automne les Hamyan revinrent à Ouargla, les Beni-Tour se portèrent au-devant d'eux, et leur offrirent, au nom du sultan, l'hospitalité et la diffa. Les Hamyan acceptèrent sans défianee et se laissèrent répartir dans les différentes maisons de Ouargla. Au moment de la prière et à la voix de l'imam, qui se fil entendre du haut de la mosquée, les hôtes se jetèrent tout à coup sur leurs invités et en firent un horrible carnage. Toutefois, un grand nombre de Hamyan parvinrent à échapper à ces nouvelles Vêpres Siciliennes. Pendant longtemps, on craignit de les voir revenir avec des tribus alliées, mais ils ne reparurent jamais.

Sur ces entrefaites, les nomades du pays de Ouargla s'augmentèrent de deux nouvelles tribus, les Saïd-Ateba et les Mekhadma, fractions de la grande tribu des Saïd. Cette tribu, qui habitait aux environs d'El-Hadjira, se composait de quatre fractions divisées en deux camps: d'un côté, les Oulad-Moulet et les SaidAteba; de l'autre, les Saïd-Oulad-Amor et les Saïd proprement dits, appelés plus tard Mekhadma. A la suite de discussions intestines, provoquées par cette division, la désorganisation de la tribu eut lieu. Les Oulad-Moulet se fixèrent à Tougourt, les SaïdOulad-Amor à Temacin et à El-Hadjera, tandis que, se rejetant vers le Sud, les Saïd-Ateba et les Mekhadma venaient s'établir, les premiers à Negouça et les derniers à Ouargla même et à Rouissat. Ceux-ci furent accueillis à bras ouverts par les BeniTour, qui virent en eux des auxiliaires contre l'attaque des Hamyan qu'ils ne cessaient de redouter.

Lorsque le voyageur El-Aïachi se rendait en pèlerinage à La Mecque, en 1663, il passa par Ouargla où règnait encore le sultan Allahoum, qui lui fit un gracieux accueil. Mais, étant dans la mosquée, à la prière publique du vendredi, il constata que

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »