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Quand elle arriva à ceux de Tifezort, près de la koubba de Mouley El-Hassan, les traces de chameaux, rares jusque-là, devinrent assez nombreuses. Elles étaient fraîches; les campements, par suite, ne devaient plus se trouver loin.

On fit donc ferrer tous les chevaux qui en avaient besoin, et, après une halte de quelques heures, le rezzou reprit sa marche, précédé par le chouaf. A la nuit, aucun nouvel indice n'avait encore été découvert.

Les Touareg, dont les tentes de peau ont à peu près la couleur du sol, campent en général au pied des plateaux rocheux qui longent les grandes vallées de leur pays. Ils laissent leurs chameaux dans les oued, qui sillonnent ces massifs tubulaires de failles étroites et profondes, sans s'aventurer jamais en pays découvert. Leurs campements sont donc assez difficiles à découvrir. Aussi, la harka résolut d'explorer complètement la région où elle se trouvait avant de s'engager plus loin, et onze mehara furent détachés avec trois chevaux à cet effet, pendant que leurs compagnons se préparaient à les rejoindre au premier signal.

Quelques heures après le départ des éclaireurs, une masse noire, qu'on pouvait prendre de loin pour une troupe de mehara en marche, parut à l'horizon.

L'air, extrêmement sec dans cette partie du Sahara, conserve toujours une transparence qui donne aux objets lointains une netteté de contours souvent trompeuse. Tout le monde dans le rezzou crut à l'arrivée d'une harka du Ahaggar, et, craignant que leur propre expédition ne fût son objectif, beaucoup étaient d'avis de battre en retraite; mais les Oulad-Sidi-Lezghem, moins prudents parce qu'ils connaissaient moins le pays, partirent, sans vouloir rien entendre, au devant de l'ennemi supposé. Les Oulad-Sidi-el-Arbi avec tous leurs gens les suivirent, et entraînèrent ainsi les Medaganat.

Après trois heures d'une course rapide, tout le rezzou, qui avait bientôt rallié les chouaf, arriva assez près des

Touareg pour que, de part et d'autre, on pût se reconnaître. La masse, qui de loin avait été prise pour des mehara, était une très forte caravane des Isakhamaren, qui allaient vendre à In-Salah du riz du Soudan et un troupeau de 5 à 600 moutons, avec quelques ânes.

En voyant arriver les assaillants, les gens de la caravane, qui ne savaient pas à combien d'ennemis ils avaient affaire, s'engagèrent dans les éboulis rocheux qui dominent au Sud la plaine dé Tirhedjert. Ils étaient une vingtaine, et la supériorité que leur donne l'habitude de la montagne pouvait leur permettre de résister à des forces assez importantes. Mais, avant que leur convoi n'eût pu pénétrer dans l'étroit sentier qu'ils lui faisaient prendre, les seize cavaliers des Oulad-Sidi-Cheikh, devançant les mehara, tombèrent sur la queue du troupeau de moutons et le coupèrent en deux.

Quatre ou cinq Touareg, qui chassaient devant eux ces animaux, essayèrent de gagner les rochers, puis, voyant qu'ils n'y réussiraient pas assez tôt, se sauvèrent dans la plaine. Deux d'entre eux, rejoints presque immédiatement, furent tués sur place. En même temps, les Medaganat, qui avaient mis pied à terre, gravissaient la montagne par un chemin plus facile que celui qu'avaient pris les Isakhamaren. Ils avaient, d'ailleurs, jeté leurs burnous, et n'avaient que leurs fusils à la main et leurs sabres sous le bras. Libres de leurs mouvements, alors que les gens de la caravane ne pouvaient faire avancer leurs bêtes qu'assez lentement, ils eurent bientôt pris une position dominante, et, pendant que les cavaliers des Oulad-Sidi-Cheikh avec quelques autres combattants montaient par le bas, ils commencèrent d'en haut une fusillade nourrie.

Très braves, lorsqu'ils sont attaqués d'assez près pour ne pouvoir prendre la fuite, les Touareg se précipitèrent sur les assaillants et engagèrent une lutte presque corps à corps; mais ils avaient le désavantage des armes, du nombre et de la position, et, quelques instants après,

quatre autres des leurs tombaient grièvement blessés ou morts. Messaoud ben Chraïr en avait abattu un, au moment où il allait lui décocher sa lance, et un fils de Kaddour ben Ali ben Lechcheb, qui s'était joint au rezzou, en tua, d'un coup de fusil à bout portant dans la figure, un second qui levait déjà son sabre pour le frapper.

Les Medaganat auraient tout massacré sur place, sans leur passion du pillage, toute puissante sur eux. Dès qu'ils furent maîtres du terrain, ils se précipitèrent sur le convoi, chacun cherchant à s'emparer du plus grand nombre de chameaux possible, éventrant les charges pour les fouiller. Profitant alors du désordre, des rixes bruyantes qui se produisirent entre les pillards, les Touareg s'enfuirent, sans qu'on songeât à les poursuivre. Seul, un vieux Targui était resté là, appuyé sur sa lance à l'écart, pendant tout le combat, auquel il n'avait pas pris part. I attendit impassible que le pillage fût fini, puis vint demander aux vainqueurs de quoi panser les blessés. On lui donna un couteau pour débrider les plaies, du linge, du beurre et de l'eau.

Mais cinq des Isakhamaren mis hors de combat étaient mortellement atteints, et ne tardèrent pas à expirer; les soins furent inutiles pour ceux-ci, et ne profitèrent qu'à un seul blessé, pour lequel il réussit encore à obtenir un chameau, et qu'il emmena aussitôt.

D'après les renseignements fournis par ce Targui, les campements les plus rapprochés se trouvaient fort loin dans le Sud.

La harka passa sur le théâtre de la lutte le reste de la journée, puis, le lendemain matin, continua à s'avancer vers le Ahaggar, pendant qu'une quinzaine de mehara prenaient la route du Nord avec le butin.

Au bout de trois jours de marche forcée, presque sans halte, elle atteignit les puits d'Inghebire toutes les tentes, fort nombreuses dans les environs, venaient de décamper à la nouvelle de l'affaire de Tirhedjert, et pousser plus loin eût été dangereux, puisque les Touareg

étaient maintenant sur leurs gardes. Il n'y avait plus qu'à battre en retraite, ce qui fut fait.

Cette marche rapide n'avait été signalée que par un seul incident la jument d'un des Oulad-Sid-el-Arbi, pleine et presque à terme au moment du départ d'Hahea, fut prise de douleurs. Son propriétaire s'arrêta, juste le temps nécessaire pour la laisser mettre bas; puis, abandonnant là le poulain, il rejoignit ses compagnons.

Cinq jours après avoir quitté Inghebire, le rezzou retrouva son convoi dans l'oued Arak au débouché du Mouydir. De là par Aïne-Milok, il arriva sans encombre à Aouinat-Sissa sur la route d'In-Salah à Aoulef, et se rendit ensuite à petites journées au Gourara par Kseirat, le puits d'Oukert sur l'oued Maoua et l'Aouguerout, où ils rencontrèrent les Khenefsa, qui, ayant appris le succès de la razzia, venaient au-devant des Oulad-SidiCheikh et des Medaganat.

Le partage du butin fut fait alors, sur le pied de deux chameaux et dix moutons par cheval, un chameau et cinq moutons par mehari, sans compter les chargements de la caravane et les ânes. Les moutons étaient beaucoup plus nombreux au départ, mais il en avait été mangé une grande partie en route.

Bien que la retraite de la harka n'eût pas été inquiétée, les Touareg l'avaient cependant poursuivie. Tous les campements des Taïtok, des Kel-Rhêla, des Kêl-Ahamellel et une partie des Iboguelan se trouvaient dans un rayon de un à deux jours au sud d'Inghebire. Quatre ou cinq cents mehara se réunirent rapidement, et se dirigèrent vers le théâtre du combat de Tirhedjert. Là seulement, ils retrouvèrent les traces de la harka, celle du parti qui s'était avancé jusqu'à Inghebire ayant été effacée par un violent coup de vent. Ils n'avaient, d'ailleurs, pas suivi cette piste, qui était restée à leur droite et assez loin.

Les traces de Tirhedjert étaient déjà vieilles de six à sept jours au moment de leur arrivée; les Touareg

supposèrent naturellement que la harka s'était enfuie rapidement, et conclurent qu'ils pourraient difficilement les rejoindre. D'autre part, ils ne savaient pas au juste à qui ils auraient à faire, la présence de seize chevaux ne leur permettant pas de croire que les Medaganat étaient les auteurs du coup de main. Ils admirent donc assez facilement l'hypothèse émise à ce sujet par un Chambi, El-Madani, qui, campé avec eux, les avait accompagnés.

Cet indigène avait reconnu les traces de plusieurs mehara du rezzou qu'il connaissait. Il entreprit donc, pour soustraire ses compatriotes à la vengeance des Touareg, de démontrer à ceux-ci qu'ils avaient affaire à une avant-garde, aux chouaf de Si Kaddour ben Hamza, auquel on prêtait depuis longtemps l'intention de venir razzer au Ahaggar avec ses Zoua et les goums des Béraber, des Doui-Ménia et des autres tribus de l'oued Guir. Comme, somme toute, il n'y avait là rien d'impossible, les Touareg n'allèrent pas plus loin, et revinrent à leurs campements, où le vieux Targui, qui avait emmené son compagnon blessé, venait d'arriver. Ils apprirent alors ce qui en était réellement, mais trop tard pour reprendre la poursuite.

(A suivre.)

LE CHATELIER.

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