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ravins. Tout le bas-fond était alors transformé en un immense lac, près duquel campa la harka.

Le lendemain matin, au lever du soleil, les chouaf aperçurent deux fortes caravanes, qui arrivaient du Sud par la route du Mzab. Sautant aussitôt à mehara, les Medaganat se dirigèrent de ce côté en deux bandes, dont l'une marcha directement sur les guefla, pendant que l'autre allait les prendre à revers.

Toutes deux étaient de la tribu des Oulad-Yacoub. Elles revenaient au Djebel Amour avec quelques tissus de laine et des dattes. L'une d'elles comprenait environ cinquante chameaux, avec dix hommes et deux femmes; l'autre quarante chameaux, avec huit hommes et une femme. Elles se réunirent rapidement en voyant les Medaganat, dont le premier groupe arrivait au grand trot, et, arrêtant leurs chameaux sur place, se mirent sur la défensive. Mais les Oulad-Yacoub se trouvaient dans une dépression qui les empêchaient de voir en arrière d'eux: surpris par l'attaque de la bande qui les avait tournés, ils s'enfuirent sans résister. Cette panique leur fut doublement funeste. Ils passèrent à portée des premiers assaillants, qui leur tuèrent trois hommes et en blessèrent trois autres. Parmi ceux-ci se trouvait un enfant, qui n'avait pour toute arme qu'un couteau. Serré de près par Abd El-Kader ben Nasseur, des Laghouat-elKsêl, il le renversa d'un coup dans la poitrine et allait l'achever, quand il tomba à son tour frappé d'une balle.

Les femmes s'étaient enfuies en même temps que les hommes: l'une d'elles, assez jeune, était restée sur un chameau qui l'emporta dans une course furibonde. Elle s'était cramponnée après les montants du bât, et se trouvait déjà assez loin, quand les Medaganat s'en aperçurent. L'un d'eux, Mohamed ben El-Hadj, se mit à sa poursuite. Il finit par la rejoindre, et, après l'avoir dépouillée de ses bijoux et d'une partie de ses vêtements, ramena son chameau. Quelques-uns des OuladYacoub tombèrent de même entre les mains des

assaillants, qui leur enlevèrent leurs armes et leurs burnous, puis les relâchèrent.

A 9 heures du matin, tout était terminé, et la harka battit aussitôt en retraite, emmenant quatre-vingt-six chameaux avec leurs charges.

Les Oulad-Sid-el-Arbi avaient, en outre, trouvé dans un tellis un sac de peau contenant 8 ou 900 francs, sur les indications d'un prisonnier, et s'en étaient emparés. Ils le nièrent cependant, et, leur rang ne permettant pas aux Medaganat de trop insister, les choses en restèrent là pour le moment.

Deux jours après avoir quitté Zebbacha, le rezzou rencontra un campement de six à sept tentes. C'étaient des Berezga, qui revenaient à Metlili après un long séjour dans le sud de la province d'Oran. Le chef de ce groupe, Cheikh ben Souilem, s'était écarté à la recherche d'un chameau. Il se trouvait, d'ailleurs, momentanément presque seul à la nezla, les autres hommes ayant été chercher du grain dans le Djebel Amour.

Les Medaganat se jetèrent donc sur les tentes, et les pillèrent rapidement: tapis, grains, bijoux de femmes, argent; ils enlevèrent tout ce qui leur parut valoir la peine d'être pris, puis se sauvèrent aussitôt, sans chercher les chameaux, craignant qu'il y eût d'autres campements dans les environs. Le surlendemain, quelques mehara du rezzou, qui marchaient en avant, aperçurent sur leur droite une forte caravane qui venait du NordOuest, obliquement à leur propre route.

Tout le monde se précipita pour l'entourer; mais l'arrivée de deux cavaliers à cheval, qui se préparaient à charger, pendant que de nombreux indigènes à pied, tous armés, réunissaient les chameaux à l'abri d'une gorge escarpée, ralentit un moment l'attaque, et, presqu'au même moment, on se reconnut de part et d'autre.

Les deux cavaliers étaient Brike ben Cheikh des Mouadhi et Cheikh ben Abd El-Hakem des Châamba d'Ouargla, qui n'avait pas encore fait sa soumission

depuis 1871, et campait au Gourara. Ils revenaient, l'un et l'autre, des ksour du sud oranais avec un certain nombre de Mouadhi. Les Medaganat avaient donc affaire à des amis, et, se joignant à la caravane, ils continuèrent leur route avec elle.

Ils apprirent alors par Cheikh ben Abd El-Hakem que les goum des Oulad-Yacoub et de Tadjerouna les avaient vivement poursuivis après la razzia d'Oum-en-Negtâa. Le cavalier qu'ils avaient vu sur une gara faisait bien partie d'un poste de chouaf et avait donné l'alarme. Près de 200 chevaux étaient aussitôt partis dans cette direction, et, suivant les traces du rezzou, les mieux montés étaient rapidement arrivés à la nezla des Laghouat-elKsêl, le soir même du second pillage. Mais, n'ayant pas de convoi, ils ne purent pas pousser plus loin, faute d'eau et de vivres.

Le lendemain de leur rencontre avec les Mouadhi, les Medaganat furent rejoints par Cheik ben Souilem, qui venait réclamer ce qu'on lui avait pris. Après une discussion assez vive, et sur les instances de Brike ben Cheikh et de Cheikh ben Abd El-Hakem, ce qui lui appartenait personnellement lui fut rendu. Mais il ne put obtenir la restitution du butin fait sur les autres tentes de sa nezla.

Trois jours après ce dernier incident, le rezzou rentra dans ses campements à Hahea. Il se produisit à ce moment quelques difficultés pour le partage du butin.

Les Oulad-Sid-el-Arbi niaient toujours avoir pris un sac d'argent à Zebbacha. Néanmoins, le plus grand nombre des Medaganat n'ajoutaient qu'une médiocre confiance à leur parole, et, pour les punir, on leur refusa la reziza qui leur était habituellement donnée. Ils menacèrent alors de se retirer, et, comme leurs chevaux pouvaient, à un moment donné, fournir un appoint précieux, Ahmed El-Ahouar et Salem ben Chraïr finirent par décider leurs compagnons à exiger simplement le serment de ceux des Oulad-Sidi-Cheikh sur lesquels

Revue africaine, 30° année. No 179 (SEPTEMBRE 1886). 22

pesaient plus particulièrement les soupçons, et à se contenter de cette preuve de conviction. Tous ayant juré, on leur donna la reziza. Les Oulad-Sid-el-Arbi eussent pu se formaliser de cette marque de défiance, si elle n'avait été fondée en réalité; car le fait qu'on leur reprochait était exact; aussi, ces difficultés n'eurentelles aucune suite.

L'été approchait de sa fin au moment du retour de la harka, et la récolte des dattes commença presque aussitôt les mois suivants s'écoulèrent donc sans nouvelle expédition jusqu'à l'entrée de l'hiver.

Un certain nombre de tentes des Oulad-Sidi-Cheikh étaient venues pendant l'automne se grouper autour des Oulad-Sid-el-Arbi, à la suite de dissentiments avec les Doui-Menia, chez lesquels elles se trouvaient avec Si Kaddour: c'étaient surtout des Laghouat-el-Ksel, et, avec eux, quelques Zoua, ainsi que des Oulad-Sidi-Lezgheur et des Oulad-Ziad.

Prenant pour prétexte la mort d'un Abid de Metlili, Mohammed ben Tabeb Belgacem, tué assez longtemps auparavant dans le Sud-Ouest par les Oulad-Mouleit ou les Touareg, les nouveaux venus proposèrent d'organiser une harka dans cette direction. Les Medaganat, toujours disposés à partir en expédition, accueillirent cette ouverture avec empressement, et le rezzou se mit en route vers la fin de novembre.

Il comprenait seize chevaux des Oulad-Sid-el-Arbi et de leurs gens, une dizaine de mehara fournis par ceux-ci, et vingt-cinq des Medaganat avec quarante-cinq chameaux de bât, sur le pied de deux par cheval et de un par deux mehara.

De Hahea, il se dirigea vers le ksour de l'Aouguerout jusqu'à Bel-Ghasi, et, gagnant ensuite Bouda, suivit la ligne des oasis du Touat jusqu'aux environs de Sali.

Le projet primitif était de s'engager dans l'Erg, à l'ouest de Bouda, pour aller razzer les Oulad-Mouleit. Mais, d'après des renseignements fournis par une cara

vane de Beraber, ceux-ci se trouvaient près des ksour de l'oued Messaoura, dont la proximité eût rendu une attaque dangereuse. Les Medaganat prirent donc la route du Ahaggar par le Touat: elle était peut-être trop fréquentée, mais avait cet avantage que le rezzou pouvait compter chaque jour sur l'hospitalité intéressée des ksour près desquels il s'arrêtait. A Sali seulement, district très populeux, dont les habitants, Chorfa d'origine marocaine, sont d'humeur belliqueuse et jouissent dans le Sahara d'une certaine réputation de bravoure, les dispositions de la population forcèrent la harka à s'écarter assez loin.

Laissant à l'Ouest les oasis qui sont situées dans un bas-fond dominé par de hautes berges, le rezzou vint passer le long des dunes élevées, qui s'étendent vers le Sud, et où paissent parfois les chameaux des ksour. En s'y engageant, la harka en trouva quatre, qui furent pris avec le berger. Mais, pendant la nuit, le frère de cet indigène s'introduisit dans le camp pour le délivrer, et la hardiesse dont il avait fait preuve causa un certain étonnement aux Medaganat, qui, en partant, le matin, se décidèrent à les mettre tous les deux en liberté, en leur rendant trois des chameaux enlevés. Le quatrième avait été mangé le soir même.

Les gens de Sali, prévenus par un autre berger, qui avait vu de loin passer le rezzou, s'étaient mis à sa poursuite avec un goum d'une vingtaine de chevaux et un grand nombre de fantassins; mais, les traces leur ayant permis de voir qu'ils avaient affaire à forte partie, ils s'arrêtèrent en rencontrant les deux prisonniers.

La harka était, d'ailleurs, partie de bonne heure, et se trouvait déjà loin. A la nuit, elle vint camper au sud d'Akabli, au débouché de l'oued Arak, qu'elle suivit ensuite jusqu'au Tanezrouft d'Ahent.

Tournant alors au Sud-Est, elle longea le Bâten, et s'engagea dans la grande plaine déserte qui le sépare du Mouydir, en se dirigeant vers les puits du Tirhedjert.

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