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et que le convoi est ainsi restreint au strict nécessaire. Les tourbillons de poussière qui signalent l'approche de cette caravane, qui comprend jusqu'à 300 ou 400 nègres, lui ont fait donner au Gourara le nom de kabbar.

Celle qui avait été indiquée à Mohamed ben Younès, le khebir du rezzou et à ses compagnons, était composée presque exclusivement de négresses au nombre de 300 environ. Elle offrait aux Châamba une proie facile. Ils se décidèrent donc à la poursuivre et la rejoignirent dans l'oued Mguiden, à une forte journée de marche d'El-Aggaïa, au moment où elle venait de s'arrêter pour camper. Ne sachant au juste à quelle force ils pourraient avoir affaire, ils arrivèrent paisiblement et cherchèrent à donner le change sur leurs projets, en proposant leur service comme escorte. Mais, sans compter les Khenafsa et les marchands de Timimoun qui n'eussent pas été en état d'opposer une résistance sérieuse, l'escorte comprenait deux Oulad-Ba-Hammou qui ne se laissèrent pas prendre à cette ruse. Sur leur conseil, un mehari des Khenafsa partit à toute allure pour chercher des secours, et, en même temps, on promit aux Châamba, afin de les faire patienter, quelques négresses pour reconnaître l'offre qu'ils avaient faite de conduire le kabbar juqu'à destination, sous prétexte de le protéger contre toute agression. Le mehari ne tarda pas à rencontrer quelques campements, et, de proche en proche, la nouvelle que la caravane se trouvait sous le coup d'une attaque imminente se répandit, grossie par la distance jusqu'aux derniers ksour du Gourara.

Les Medaganat, avec les chevaux des Oulad-el-Arbi et une cinquantaine de mehara des Khenafsa, partirent les premiers. Ils arrivèrent un peu avant le lever du jour. Réveillés par le tumulte de leur course, Mohamed ben Younès et les siens essayèrent de s'enfuir, mais ils ne réussirent à s'échapper qu'en abandonnant quatre de leurs mehara, et après avoir vu tomber l'un d'entre eux, El-Bidour ben Abd El-Kader, tué d'un coup de fusil pen

dant qu'on les poursuivait. La caravane, qu'une nombreuse fezzâa des ksour du Gourara et tous les goum de Timimoun venait aussi secourir, se mit en marche aussitôt et arriva le lendemain à destination sans autre incident.

Pendant ce temps, les cinq Châamba survivants avaient été se réfugier dans le mâader d'El-Aggaïa. La falaise de la Hamada du Tademaït qui domine tout l'oued Mguiden forme, au débouché de l'oued Afflissaz, de l'oued Adreg et de quelques ravins moins importants, un vaste demicercle que ferme en partie, vers l'Ouest, la haute gara d'El-Aggaïa. Les Châamba espéraient pouvoir y surprendre quelque caravane des Khenafsa se rendant au Tidikelt. Mais, après quelques jours d'attente, deux d'entre eux, Mohamed ben Younès et Bou Hafs ben Rahiba, se décidèrent à aller razzer près des ksour. L'un des mehara avait été abattu faute de vivres. Ils emmenèrent l'autre et arrivèrent ainsi près de Berrian, petit ksar situé à l'est de Timimoun, presque dans l'Erg, où ils se cachèrent d'abord. A la tombée de la nuit, ils se rapprochèrent de l'oasis, et découvrirent presque aussitôt un certain nombre de chameaux que cinq Khenafsa rassemblaient pour les ramener aux tentes. A la vue des Châamba, trois de ceux-ci se sauvèrent; les deux autres leur firent face, mais l'un d'eux reçut, au premier coup de fusil, une balle dans la tète, et le second prit à son tour la fuite. Mohamed ben Younès et Bou Hafs se dépêchèrent alors de réunir les chameaux les plus rapprochés et de battre en retraite. Ils en emmenaient trente-cinq, dont quatre aux Medaganat. Ceux-ci, qui étaient campés dans le voisinage, partirent à leur poursuite quelques heures après, et les rejoignirent à Hassiel-Botmaïa. Mohamed ben Younès se sauva d'un côté, Bou Hafs ben Abd El-Kader de l'autre, laissant là tous les chameaux, et, le lendemain soir, vinrent rejoindre leurs compagnons à El-Aggaïa. La nuit même, les Medaganat, qui n'avaient pas abandonné la poursuite, y arri

vèrent à leur tour, et, en se réveillant au point du jour, les Châamba purent constater qu'ils étaient cernés par une force dix fois plus nombreuse. Ils se rendirent aussitôt.

La mort du khanfousi importait peu, somme toute, aux Medaganat, et ils avaient intérêt à ne pas s'aliéner les Châambas d'Ouargla et du Souf. Ils se contentèrent donc d'exiger de Mohamed ben Younès et de Bou Hafs, qui eussent pu être l'objet de mauvais traitements au Gourara, la promesse qu'ils retourneraient chez eux, et les remirent en liberté, en leur rendant leur mehara avec quelques vivres. Quant aux trois autres, ils les emmenèrent à leurs campements, et, après les avoir largement hébergés pendant quatre jours, les renvoyèrent à leur tour, en leur donnant un chameau de choix.

A part ces incidents, les Medaganat passèrent l'hiver et le printemps comme l'année précédente. Ils se dispersèrent pour la récolte du lloul, sans toutefois se rapprocher de l'oued Mguiden, et, à l'été, revinrent au Gourara.

A la fin de juillet, ils se décidèrent à aller razzer du côté de l'oued Zergoun. Tous prirent part à l'expédition, qui partit de Beni-Abbès, ksar situé au nord d'El-HadjGuelman. Elle comprenait, avec les Oulad-Sid-el-Arbi, quarante-cinq mehara, dont les derniers rejoignirent à H.-Ali, à trois journées de marche de Beni-Abbès, où, suivant l'habitude en pareil cas, le rezzou fit séjour pour attendre les retardataires. De là, suivant la ligne d'eau qui conduit au Djebel Amour, les Medaganat arrivèrent à l'oued Zergoun en cinq jours, par El-Mengoub, El-Kert, Rourta, Aïn-Teta, El-Gossa et El-Menia.

Il avait plu peu de temps auparavant, et de nombreux redir s'étaient formés dans l'oued Zergoun. Quelques tentes des Laghouat-el-Ksel en avaient profité pour séjourner plus longtemps dans ces parages. Aussi de nombreuses traces de chameaux furent-elles bientôt relevées, et, en les suivant, le rezzou arriva près de la gara d'Oum-Negtâa, au pied de laquelle se trouvait une

petite nezla. Les chouaf la découvrirent vers trois heures de l'après-midi, et le gros du rezzou les rejoignit bientot. Les tentes ne paraissaient être occupées que par des femmes, et quelques chameaux, gardés par un berger, paissaient tout près de là. Les Medaganat les enlevèrent d'abord sans s'occuper de celui-ci, puis revinrent à la nezla qui comprenait en tout cinq tentes. Outre les femmes, ils y trouvèrent un vieillard, et un homme, que Abd El-Kader ben Nasseur, l'un des Laghouat-el-Ksel du rezzou, reconnut pour son neveu. Les tentes furent quand même pillées; du moins chacun prit ce qu'il voulut en fait de vivres, d'armes, etc., puis la harka se remit en marche vers le Nord. Le lendemain au soir, au moment où elle allait camper, ses chouaf signalèrent tout à coup un cheval sur une haute gara. C'était, à n'en pouvoir douter, un éclaireur du poste de Tadjerouna qui n'était pas très loin. Les Medaganat jugèrent donc prudent de ne pas s'aventurer au delà. Déjà, la veille au soir, ils avaient aperçu de nombreux feux sur les pentes méridionales qui limitent les hauts-plateaux, assez près par conséquent, et de fort contingents pouvaient être rapidement réunis pour les poursuivre, une fois l'alarme donnée.

Du point où ils s'étaient arrêtés, ils revinrent sur leurs pas jusqu'à Oum-en-Negtâa. Les tentes razzées l'avantveille s'y trouvaient encore; on acheva de les piller: tous les tapis, les vêtements, les grains qu'elles renfermaient furent chargés sur les chameaux ainsi que les meilleurs flidj.

Enfin, les Oulad-Sid-el-Arbi capturèrent une négresse qui avait réussi à se cacher la première fois. Elle est encore actuellement chez les enfants de Sidi Zoubeir.

D'Ourn-en-Negtâa, le rezzou suivit sa première route jusqu'à El-Menia, où le neveu d'Abd El-Kader ben Nasseur, gardé jusque-là comme prisonnier, fut remis en liberté. Puis, cinq mehara continuèrent leur marche sur le Gourara avec la prise, pendant que les quarante autres

obliquaient à l'Est pour aller couper le medjebed du Mzab.

Toute cette partie du Sahara sert de parcours aux Larbâa de Laghouat et aux Oulad-Yacoub du djebel Amour, pendant l'hiver. Ils s'y dispersent avec leurs innombrables troupeaux, et, si les vols sont alors fréquents de ce côté, un rezzou ne pourrait s'y risquer sans s'exposer à être bientôt poursuivi par 300 ou 400 cavaliers. Mais, dès qu'arrive la fin du printemps, tous ces nomades remontent vers le Nord, et cette région devient l'une des plus désertes de l'Algérie.

Les Medaganat n'avaient donc rien à craindre et pouvaient marcher lentement, d'autant plus que de nombreux rhedir leur permettaient de ne pas s'inquiéter du manque d'eau. L'immense plaine qu'ils suivaient s'étend de l'oued Zergoun jusqu'au bas-fond de l'oued Rhir. Elle est parsemée de daïat, couvertes de bethoum séculaires, qui y maintiennent une certaine fraîcheur, et dont les ombrages touffus servent de refuge pendant l'été à des troupeaux de gazelles, qui comptent parfois plus de cent têtes. Aussi le rezzou mit-il à profit la tranquillité du pays pour chasser, toutes les fois que l'occasion s'en présentait. En quelques jours, les Medaganat tuèrent ainsi plus de soixante gazelles, dont vingt en une seule après-midi. La journée, il est vrai, avait été étouffante, et ces animaux, tapis sous des buissons de jujubiers au pied des bethoum, se laissaient facilement approcher. Le soir même, un orage d'une violence extrême se déclara tout à coup, et, pendant deux jours, une pluie torrentielle força le rezzou de s'arrêter dans une daïat de grands arbres, en attendant que le terrain fût assez sec pour que les mehara pussent marcher. Il repartit alors, et, environ quinze jours après son départ d'Oum-en-Negtâa, arriva au puits de Zebbacha, sur la route du Mzab au Djebel Amour.

Ces puits sont situés dans une vaste dépression, où les eaux viennent s'accumuler par un grand nombre de

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