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conséquence de la décision que l'on venait de prendre, le khalif El-Mostancer, en 1049 de J.-C. (441 de l'hégire) envoya son vizir auprès de ces Arabes. Ce ministre commença par faire des dons peu considérables aux chefs, et ensuite il les autorisa à passer le Nil en leur disant: « Je vous donne le Moghreb, qui s'est soustrait à l'autorité de son maître. Ainsi, dorénavant, vous ne serez plus dans le besoin ! »

Ces nomades, animés par l'espoir du butin, franchirent le Nil et allèrent occuper la province de Barka. Ayant pris et saccagé les villes de cette région, ils adressèrent à leurs frères restés sur la rive droite du Nil une description attrayante du pays envahi par eux. Les retardataires s'empressèrent d'acheter la permission de passer le fleuve. Ces envahisseurs se partagèrent alors le pays, et toutes les familles hilaliennes se précipitèrent sur l'Ifrikia comme une nuée de sauterelles, abîmant et détruisant tout sur leur passage. Ces évènements et les guerres acharnées qu'il fallut soutenir, ébranlèrent profondément la prospérité de l'Ifrikia; la dévastation s'étendit partout; plusieurs grandes villes furent détruites, et une foule de brigands interceptaient les routes et dépouillaient les voyageurs.

Les Arabes ayant enlevé au peuple sanhadjien toutes ses villes, établirent leur autorité sur les lieux que le khalife leur avait assigné. Le prince En-Nacer, réfugié dans sa Kalaâ, se vit bientôt bloqué par l'ennemi. Les assiégeants, après avoir dévasté les jardins et coupé tous les bois qui entouraient la place, allèrent insulter les autres villes de la province. Ayant mis en ruines celles de Tobna (Barika, actuellement à 4 kilomètres des ruines) et de Msila, dont ils avaient chassé les habitants, ils se jetèrent sur les caravansérails, les villages, les fermes et les villes, abattant tout à ras de terre, et changeant ces lieux en une vaste solitude, après en avoir comblé les puits et coupé les arbres.

De cette dernière, ils répandirent la désolation partout,

obligèrent les princes sanhadjiens à s'enfermer dans les grandes villes, leur enlevant peu à peu le territoire qui leur restait. Toujours guettant le moment favorable pour les surprendre, ils leur firent acheter, par un tribut, la permission de se servir de leurs propres terres. La peuplade berbère des Adjica, qui, depuis un temps immémorial, habitait la montagne voisine de la Kalaâ, fut chassée de ce pays. Le territoire qu'elle possédait devint l'héritage des Ayades, Arabes hilaliens, qui y habitent encore aujourd'hui (1883).

A la suite de ces brigandages, la Kalaâ fut abandonnée, et En-Nacer transporta sa capitale à Bougie.

Nous avons vu plus haut que, lors de la fondation de la Kalaà des Beni-Hammad en 1007 de notre ère, une colonne de Chrétiens était venue s'y fixer. Sous le règne d'El-Aziz, d'En-Naceur, en 1114 (1) ces Chrétiens, tous Africains et Berbères, avaient encore à la Kalaâ une église dédiée à la Vierge-Marie. Leur évêque habitait une maison voisine de l'Église. C'est le dernier prélat indigène dont nous puissions constater l'existence, et déjà la population, peut-être ses propres fidèles, qu'envahissait, d'année en année, l'influence du langage et des habitudes le désignèrent sous le nom musulman de Khalif. En 547 (1152 de J.-C.), la Kalaà fut détruite par les Almohades.

Légende du pays sur la Kalaâ des Beni-Hammad

Le récit qui va suivre est le résumé de plusieurs entretiens que j'ai eus avec des gens des Ayads et des Mâadids en 1879. Je me suis trouvé depuis à même de faire raconter ces faits par des indigènes du Hodna, et leurs récits concordaient à peu près avec ceux des précédents.

(1) M. de Mas-Latrie.

Je les donne donc tels que je les ai recueillis. J'ajouterai que les indigènes que j'ai entretenus de ces faits passent ici pour des lettres parmi les Arabes. 1883, L. M.

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Légendes sur les Hammadites, souverains du pays

des Maâdids

Le premier Hammadite fut Ali Hammad ben Ali ben Rali En-Nas, de la descendance d'Haroun Er-Rachid (sultan). Il quitta la ville du Caire et vint sur les montagnes des Maâdids en l'an 123 de l'hégire (740 de J.-C.), vers la première invasion arabe (1).

Voici les causes de la création de cet empire:

Ali Hammad, ayant quitté le Caire avec son armée, fut atteint d'une ophtalmie douloureuse, qui disparut lorsqu'il parvint à l'endroit nommé Siad, situé entre les Maâdid et les Ouled-Ali; alors il conçut le projet d'habiter la localité qui avait vu sa guérison. A cet effet, il donna l'ordre à ses serviteurs de chercher un endroit convenable à la construction d'une ville, et le destin le poussa à l'endroit où se trouvent actuellement les vestiges de la Kalaâ des Beni-Hammad. Il s'y établit avec son armée.

(1) Il est inutile de relever, dans une légende, un anachronisme tel que celui que nous constatons ici. Haroun El-Rachid figure dans toutes les légendes musulmanes, quelle que soit leur date, comme chez nous, Charlemagne, dans presque toutes les légendes de notre Moyen-Age.

Nous ferons remarquer que le nom Rali En-Nas ou Ghali En-Nas qui figure ici a été réellement porté par un fils de Hammad; ce nom que M. de Slane, après hésitation, a fini par écrire Alennas (par un aïn) dans son histoire des Berbères, a été transcrit par M. Dozy, en son Baian el-Mogrib, Ghalennas (par un ghaïn). La tradition populaire, en conservant, quoique un peu défigurée, cette dernière forme, semble donner raison à M. Dozy. (N. de la R.).

C'est à ce moment qu'il dit à ses soldats: « Écoutez ce que je dis pendant mon sommeil. » L'on raconte que lorsqu'il fut endormi, il dit : « La Kalaâ sera une ville importante, qui sera anéantie et rebâtie ensuite. » Ce songe fut écrit par les personnes qui surveillaient le sommei. d'Ali Hammad.

Il donna des ordres pour la continuation de la place forte; mais il défendit instamment de commencer les travaux avant la manifestation d'un présage favorable.

Sur ces entrefaites, il entendit un homme qui se trouvait à l'endroit nommé Kribissa (1) dire: «O El-Alia » (le mot alia veut dire élevé, illustre, c'était un nom de personne probablement); et immédiatement il ordonna de commencer les travaux et d'élever les remparts. Chaque jour, pendant qu'ils construisaient, ils entendaient l'homme appeler «O El-Alia» jusqu'à ce qu'ils eussent construit dix-sept mamelons dont chacun renfermait 999 maisons. Chaque maison se composait de neuf chambres. La ville avait trois portes. La porte du Sud était désignée sous le nom de porte de Adjeraoua; la porte occidentale, sous le nom de porte d'Azouz ou d'El-Kouas; Léon raconte que c'est cette porte qui a été transportée à Alger où elle existe encore (2).

Le nombre des fantassins et des cavaliers était égal au nombre des chambres. Ce prince fut juste et ennemi de la tyrannie. En voici un exemple:

Une femme d'une beauté parfaite et d'une pureté de lignes remarquable, possédait une vache qui, chaque fois qu'elle revenait du pâturage, laissait couler d'ellemême son lait dans le vase qu'on lui présentait, et im

(1) Kribissa, diminutif arabe de Kerbous, répond au mot berbère Takerboust, nom par lequel on désignait le point dominant de tout le système de la Kalaå. (N. de la R.).

(2) Léon raconte que c'est cette porte d'El-Kaouas qui a été transportée à Alger, où elle existe encore sous le nom de Bab-Azoun. (N. de la R.).

médiatement ce lait se changeait en beurre. Tous les jours le même prodige se renouvelait et la femme se nourrissait de beurre ainsi que son jeune enfant. Le sultan ayant appris ce fait, se rendit chez elle incognito, soit pour voir la femme, soit pour lui acheter sa bête.

Lorsque la vache revint du pâturage, la femme se leval avec le vase pour recueillir le lait comme d'habitude, mais il ne coula rien. La femme prit la mamelle et voulut en exprimer le lait, mais la bète se fâcha et lui donna un coup de pied, ce dont la femme fut chagrine. Elle verse un torrent de larmes. Le sultan lui dit : « Qu'avez-vous à pleurer ainsi?» Ne sachant pas qu'elle répondait à son prince, elle lui dit : « Il se peut bien que la fâcheuse aventure qui m'arrive provienne de ce que la justice n'a pas été observée aujourd'hui soit par le cadi, soit par le sultan.» Le sultan demanda pardon à Dieu, et revint à de meilleurs sentiments. Il fit un cadeau à la femme et prit congé d'elle. Aussitôt après son départ, la vache laissa couler son lait, qui se changea en beurre.

Le frère de ce prince, qui habitait au Caire, ayant entendu parler des merveilles faites par son frère, le possesseur de la Kalaâ, de ses constructions considérables, de son équité, etc., lui envoya 100 bêtes de somme, en disant aux convoyeurs : « Allez à la Kalaà des BeniHammad et achetez-moi 100 charges de soie de la même couleur. » Son intention était de s'assurer de l'importance de la ville. Lorsque la caravane arriva à la Kalaà, elle y pénétra par la porte d'El-Adjeraoua, où elle rencontra une femme du même nom, à qui ils demandèrent où se trouvait le palais du souverain. Elle leur demanda d'où ils étaient et ce qu'ils voulaient au sultan. Ils lui répondirent: « Nous sommes envoyés par le sultan un tel du Caire, au prince de cette ville, pour qu'il nous fasse la faveur de nous donner cent charges de soie de la même couleur. » Elle leur dit : « Avez-vous 100 bêtes de somme seulement ?» « Nous n'avons que ce chiffre. »

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