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» biens de ce monde, ainsi que d'une rivière d'eau courante. » Les fontaines qui coulaient dans cette contrée s'élevaient au » nombre de mille cinquante et une. Dieu avait gratifié cette » population de sentiments d'équité; il y avait parmi eux » lutte de zèle à qui ferait le bien; ils prohibaient les actions blåmables, accordaient légalement à chacun ce qui lui revenait. Lorsque, par la volonté divine, leur perte fut résolue, » la colère de Dieu s'appesantit sur eux et la guerre éclata entre » les gens de Haina et ceux de Feran. Les Haïma avaient de leur » côté ceux de Tamezour'et, de Melouch, de Tala-Guebbia et de beaucoup d'autres villages. Du parti de Feran étaient les gens de Tala-Memas, Tala-Azdous et autres. Voici quelles furent les causes qui provoquèrent les hostilités : Un homme de » Feran voulait abreuver ses chameaux; une femme de Haïma » survint pour remplir son outre, tenant à la main un vase en terre pour puiser l'eau. Les chameaux, poussés par leurs maîtres, renversèrent la femme et cassèrent son vase. Après » un échange de propos entre l'homme et la femme, celle ci > emporta son outre vide, et, arrivée au milieu des habitants de Haïma, elle leur raconta le fait. Le mari de la femme alla auprès de l'homme aux chameaux lui demander pour quelle » raison il avait brisé le vase. Nouvel échange de propos, el en » résumé l'homme de Feran tua celui de Haïma. Quand les gens de Haïma connurent ce meurtre, ils prirent les armes et à leur tour tuèrent l'homme aux chameaux. Les Feran et leurs partisans couraient aux armes, pendant que leurs adversaires en faisaient autant. La guerre prit, dès lors, des proportions » considérables. Le parti de Feran fut vaincu. La femme au vase brisé prenant alors un tambour, et, chose des plus extraor» dinaires, s'enfonça dans la grande dune de sable dite Koudiat» cr-Remel où le tambour se mit à retentir dans les sables (1), • jusqu'à ce que, par la puissance de Dieu, ils furent opprimés

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(1) Les gens du pays croient que cette femme vit toujours miraculeusement dans l'intérieur de cette montagne de sable, et ils prétendent qu'en allant se coucher sur la dune de Mellala l'oreille perçoit encore le battement du tambour.

» par des tyrans et ils perdirent la jouissance du pays. Une de » leurs fractions émigra vers l'Orient, une autre s'en alla vers » l'oued Mzab, une troisième s'éloigna vers Mahalel, et ce qui » restait de cette population se groupa à Ourdjelan (Ouargla) et » à Negouça. Les tribus se dispersèrent, les sources tarirent, » les sciences s'évanouirent et il ne resta que Dieu, le vivant et » l'immeuble. »

Les Sedrata dont il est parlé dans le manuscrit que nous venous de lire était une branche de la grande famille berbère des Zenata synonyme de Djana - que certains généalogistes s'accordent à dire originaires de la Syrie, bien que cette prétention ait été contestée par d'autres écrivains.

Quant à Ourdjelan, en arabe Ouargla, c'était le nom de l'un des enfants de Ferini lequel était lui-même fils de Djana.

Les Beni-Ouargla, peuple Zenatien, nous dit l'historien Ibn Khaldoun, descendent de Ferini fils de Djana. De toutes les tribus de cette race, celle de Ouargla est maintenant la mieux connue. Ils n'étaient qu'une faible peuplade, habitant la » contrée du midi du Zab quand ils fondèrent la ville qui porte » encore leur nom et qui est située à huit journées au sud de » Biskra. Elle se compose d'abord de quelques bourgades voisines » les unes des autres, mais sa population ayant augmenté, ces villages finirent par se réunir et former une ville consi» dérable. »

Le nom de Feran, que nous avons vu dans la notice ci-dessus, donné à l'une des bourgades des Issedraten rappelait le souvenir de Ferini ou plus vulgairement Ferani père d'Ouargla. — Le village de Feran était situé à environ 20 kilomètres au nord de la ville actuelle de Ouargla, sur un point situé entre Khefif et Arifdji, où l'on ne voit plus aujourd'hui que deux ou trois palmiers isolés mourant de soif et laissés là par le temps comme pour indiquer l'emplacement de cet ancien centre de population.

Ourdjelan, qui a donné son nom à la ville, a son tombeau sur

la place du marché de Ouargla contre la mosquée des Mozabites, sous une petite coupole dont le sommet se termine en goulot de bouteille; c'est du moins ce qu'on m'a assuré sur place.

La notice du cheïkh Salah nous dit assez l'importance qui avait dû acquérir ce vaste centre de population ombragé par des forêts de palmiers s'étendant à perte de vue. On constate, en effet, en rejettant les yeux sur une carte du Sahara, que depuis le djebel Eïbad, point indiqué comme limite méridionale du groupe de peuplement jusqu'à Feran où était vers le Nord le dernier village des Beni-Ouargla, il n'y a pas moins de 45 kilomètres d'étendue. En parcourant ces lieux, aujourd'hui solitaires et envahis par les sables, surtout la zone appelée Issed aten, on retrouve encore une telle quantité de ruines d'habitations, de débris de poterie et d'ustensiles de ménage; des conduites el des aqueducs encore très apparents qui menaient les eaux d'une grande fontaine à ciel ouvert dite Aïn-Sfäb, qu'on peut se faire une idée de l'importance de cette population disparue. Des pieds el des racines de palmiers et autres arbres fruitiers, que l'on dirait carbonisés à l'action du soleil, indiquent l'étendue des cultures. Enfin, dans le lit de la rivière morte, où l'on dirait que les eaux coulaient encore la veille et fournissaient des irrigations faciles et abondantes, j'ai trouvé une infinité de coquilles d'eau bivalves ressemblant à la clovisse ou à la praire de nos côtes de Provence.

Une tradition locale affirme que jadis les habitations étaient si nombreuses dans tout ce pays que lorsque des cris d'alarme étaient poussés des maisons voisines du djebel Eïbad, la voix répétée de village en village était transmise en quelques instants à travers les quarante lieues séparant Ouargla de Tagourt. Sur le plateau du djebel Krima, on trouve encore des vest ges d'habitations; c'était assurément un lieu de refuge imprenable, puisque inaccessible de tous côtés par la raideur de ses escarpements, on ne pouvait y parvenir que par un sentier taillé à corniche et facile à défendre. Le puits de cette citadelle naturelle creusé au centre du plateau n'a pas moins de quatre à cinq mètres de diamètre et environ cent mètres de profondeur. Il est également à sec aujourd'hui.

Quant au djebel Eïbad, qui est d'une formation analogue à celle du Krima, ce devait être le lieu consacré au culte par la population des Sedrata professant la religion ibadite. On m'a assuré qu'il y existe encore plus de cinquante niches servant d'oratoires où les Mozabites de Ouargla et d'ailleurs vont tous les ans au printemps en pèlerinage y faire leurs dévotions mystérieuses.

Revenons à Ouargla. Son oasis ne contient pas moins de quatre cent mille palmiers, sans compter les arbres fruitiers de toute espèce, arrosés par près de deux cents puits artésiens dont la profondeur varie entre 30 et 50 mètres. Leur eau est bien supérieure comme goût à celle de l'oued R'ir. L'eau jaillissante coule dans des sagnia ou rigoles qui circulent autour des palmiers et autres arbres fruitiers. Elle apporte de la nappe artésienne souterraine une quantité de petits poissons zébrés de brun que l'on pêche dans les sagnia. La ville de Ouargla est située à l'extrémité sud de l'oasis, mais, quand je l'ai vue en 1871, elle était bien déchue de son ancienne importance; un grand nombre .de maisons tombaient en ruines et des îlots entiers de batisses étaient abandonnés. Elle se divise en trois quartiers bien. distincts, ayant chacun son enceinte et ses portes, habités par une des trois fractions des Beni-Brahim. des Beni-Ouagguin et Beni-Sissin composant la population sédentaire, ayant dans son sein plus de mulâtres et de nègres que de blancs. Les rues sont longues et étroites et offrent un certain nombre de passages voûtés où règne pendant l'été une fraîcheur relative. Sur les murs de beaucoup de maisons bâties en pisé ou en pierres à plâtre, on voit des inscriptions arabes ou bien encore des dessins ou moulures appliqués en relief au-dessus du tympan de la porte. Ces figures ressemblent à cet emblème de la divinité qui sert de frontispice aux pierres funéraires numidiques du nord de la province de Constantine, et souvent décrites par le général Faidherbe et le docteur Reboud. Serait-ce un vague souvenir des croyances des premiers peuples puniques qui, par l'effet de l'habitude, se serait transmis de génération en génération jusqu'à nos jours chez ces habitants de l'ancienne Getulie? La ville est entourée d'une enceinte fortifiée en pisé de quatre mètres de

hauteur environ. Cette enceinte est percée de six portes dont deux affectées à chaque quartier :

Bab-Ammar et Bab-Azzi aux Beni-Brahim:
Bab-Rebiâ et Bab-Rabah aux Beni-Quagguin ;
Bab-Ahmed et Bab-Soultan aux Beni-Sissin.

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Ces portes sont pour la plupart précédées d'un passage voûté d'un accès dangereux et difficile en temps de guerre. La plupart d'entre elles sont également ornées d'inscriptions arabes en plâtre. On lit sur les unes la profession de foi musulmane: Il n'y a qu'un Dieu et Mahomet est son prophète, ou bien encore: Avec l'aide de Dieu la victoire est certaine. J'ai beaucoup regretté la démolition, pour cause de travaux de défense, en 1872, de l'ancienne porte dite Bab-Soultan dont la forme rappelait celle des monuments égyptiens, et que surmontait une série d'œufs d'autruche enfoncés dans le plâtre. Bab-Soultane donnait accès à la kasba, vaste construction contenant un fouillis de compartiments et de cours intérieures où résidaient jadis les sultans éphémères de Ouargla. Un fossé large de douze mètres environ enveloppe entierement le mur d'enceinte et sert d'exutoire à toutes les immondices qui en font en été un foyer d'émanations pestillentielles. A une certaine distance du fossé sont encore en avant des tours carrées dans lesquelles on pénètre à l'aide d'échelles, comme autant de blockaus, fournissant à l'occasion. trois ou quatre étages de feux à ceux qui occupaient ces postes de guetteurs défendant les approches de la ville. Tout cela est construit en briques séchées au soleil, et les deux hauts minarets qui se profilent sur l'azur du ciel ne font pas exception à la règle (1).

La population sédentaire de Ouargla s'élève à environ deux mille âmes, chiffre bien faible si on le compare avec le nombre des maisons dont beaucoup sont inhabitées. La cause de la dépo

(1) Ces deux mosquées sont :

Djama-Azza construite par les Mozabites d'Ouargla et Djama-elKebir dite aussi Djama-el-Malkia.

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