Images de page
PDF
ePub

De l'oued Loua à l'oued Nsaoura les areg couvrent suffisamment notre sud; sans doute Géryville et la partie méridionale du djebel Amour ne sont pas dans les conditions d'accessibilité convenables, mais ces points ne sont pas des postes frontières.

Aïn-Sefra n'est pas non plus un poste du sud, puisqu'il est situé sur les hauts-plateaux et au nord de notre Sahara; c'est une excellente position vers notre frontière ouest vis-à-vis des populations pseudo-marocaines. Il a déjà commencé à annihiler le rôle néfaste de Figuig, en train, aujourd'hui, de se dégager des influences religieuses nomades et arabes qui, en ces derniers temps, avaient fait de ce groupe d'oasis le centre de la propagande anti-française. Ce résultat est dù à la résistance d'un parti berbère qui, si nous sommes habiles et si nous ne menaçons ni son indépendance politique, ni ses franchises municipales, arrivera certainement à imposer sa politique pacifique, commerciale et même sympathique pour nous.

Nous aiderons ce mouvement et nous le verrons aboutir le jour où, notre ligne ferrée passant en vue de Figuig, nous serons, dans cette région, plus puissants et plus forts que les Nomades et Arabes qui dominent et tiennent le pays. Ce jour-là, nous trouverons aussi, dans le pays, des marabouts locaux qui seront les premiers à s'incliner devant notre force et à la présenter à tous comme une manifestation éclatante de la volonté de Dieu. »

Malheureusement, Aïn-Sefra n'a pas encore son chemin de fer et tout retard dans notre marche vers le Sud encourage les intrigues de Bou Amema et seconde les derniers efforts des nomades sahariens indépendants. Il n'y a cependant que 110 kilomètres d'Aïn-Sefra à Mecheria, le projet ferme est terminé depuis plus de deux ans: il réaliserait à l'État une économie annuelle de 630,000 fr. sur le prix des transports par charrettes ou chameaux. En sept mois il peut être construit.

Puis, Aïn-Sefra a été reconnu insuffisant pour la ciense de nos ksour; - on voit qu'il ne s'agit même pas encore du Sahara; - il a été reconnu nécessaire de construire un fort à Djenan-bou-Rezg, à peu près à la latitude des oasis de Figuig, mais à 80 kilomètres à l'ouest de ce groupe; Djenan-bou-Rezg qui est à 20 kilomètres seulement des derniers palmiers de Moghar-Fouquani, n'est ni une menace, ni un moyen d'action possible contre Figuig, il a pour objectif bien visible et bien simple de défendre, contre les incursions des nomades de l'Ouest, nos deux ksour de Moghar-Fouquani et de Moghar-Tahtani, le pays de Bou Amema, et aussi de garder l'entrée de la magnifique route construite par nos soldats dans le défilé de Founassa, route dont déjà les caravanes de Figuig apprécient la sécurité et la commodité pour leurs chameaux.

Djenen-bou-Rezg ne saurait, du reste, être considéré ni comme un terminus de notre ligne, ni comme une future place de guerre; c'est ou plutôt ce sera un simple bordj, gîte d'étape, refuge, poste de police plutôt que poste militaire. Placé à la tête de l'oued Aouedj (OuedDermel), il ne défend que l'entrée des hauts-plateaux; or, c'est l'entrée de notre Sahara qu'il faut défendre, et la place militaire qui, seule, peut appuyer cette défense et la rendre efficace contre les confédérations nomades indépendantes du Maroc, c'est Igli situé à deux cents et quelques kilomètres plus bas sur l'oued N'saoura, au confluent de l'oued Guir.

Igli occupe, à l'Ouest des Areg, la position similaire à celle du M'zab et de Metlili. Mais Igli présente cet avantage considérable que n'a pas le M'zab, c'est que sur sa route s'échelonnent de nombreux ksour, de grandes forêts de palmiers, et la possibilité certaine, tant en raison des aptitudes des ksouriens qu'en raison de l'eau qu'on trouve dans le lit de la rivière, d'augmenter ses richesses déjà considérables.

Après le ksar-ruiné d'El-Azoudj, situé à 80 kilomètres

de Djenan-bou-Rezg, on rencontre, plus loin, échelonnés sur une longueur de 15 kilomètres environ, les cinq ksour de la confédération indépendante des Beni-Goumi, comptant de 200 à 300,000 palmiers. Ces ksour sont aujourd'hui absolument à la merci des nomades Doui-Menia, qui y ont leurs magasins.

A soixante kilomètres plus au Sud, on rencontre Igli qui compte à lui seul 80,000 palmiers. Il est sous le méridien de Rachgoun; situé à une altitude d'environ 320 mètres, il jouit d'une salubrité parfaite.

Igli subit entièrement l'influence des Doui-Menia, les chefs de ce Zegdou indépendant oppresseur de tous les ksours de la région - y compris ceux de Figuig, les seuls qui aient réussi à conserver à leur djemâa une autonomie réelle.

L'occupation d'Igli ne saurait se faire immédiatement par une conquête militaire, mais cette occupation marque l'objectif pratique qu'il nous faut obtenir à bref délai par la prolongation continue et active de la ligne Mecheria, Aïn-Sefra. — Nous n'avons qu'à imiter de ce côté la conduite prudente des Russes qui, sur leur frontière d'Asie, construisent sans désamparer les lignes ferrées nécessaires à l'occupation des solitudes caspiennes et sibériennes.

Dans notre sud-ouest algérien le pays est facile, la route est libre, nous n'avons pas de difficultés à prévoir avec le Maroc, qui ne possède pas ce pays; la pose des rails peut se faire dans les mêmes conditions que sur la section de Mosba à Mecheria en 1880.

Le traité de 1845 que nous avons toujours respecté avec une bonne foi méritoire, nous rend très forts, au point de vue des susceptibilités diplomatiques, car ce document, après avoir nommé les ksours des deux États et les nomades qui doivent dépendre du Maroc ou de l'Algérie, ajoute Article 6. « Quant au pays au sud » des ksour des deux gouvernements (Figuig et Ich pour » le Maroc), comme il n'y a pas d'eau, qu'il est inhabita

»ble et que c'est le désert proprement dit, la délimitation » en est superflue.

L'article 4 dit la même chose en d'autres termes et il nomme les nomades des deux États:

<< Dans le Sahara il n'y a pas de limites territoriales à » établir entre les deux pays puisque la terre ne se » laboure pas et qu'elle sert de pacages aux Arabes des >> deux empires qui viennent y camper pour y trouver les » pâturages et les eaux qui leur sont nécessaires. Les » deux souverains exerceront de la manière qu'ils l'en» tendront toute la plénitude de leurs droits sur leurs sujets respectifs dans le Sahara.... Ceux des Arabes qui dépendent de l'empire du Maroc sont les Mehaïa, » Beni-Guill, Hamyan-Djamba, Eumeur-Sahara (1) et les » Ouled-Sidi-Chikh occidentaux (Gheraba). »

[ocr errors]

Ceci est formel, l'indépendance des Doui-Menia et autres coupeurs de route sahariens ressort clairement. L'occupation de la vallée de l'oued Nsaoura n'est pas d'ailleurs une idée nouvelle, elle a été, dès 1864, indiquée comme nécessaire par un de nos ennemis, Gerard Rholfs, qui s'exprime ainsi dans un recueil géographique (Mittheilungen de Petermann): « Avant tout, les » Français devraient transporter leurs frontières jusqu'à » l'oued Messaoura; c'est de là, en effet, que partent » toutes les difficultés, tous les désordres, et, tant qu'ils n'occuperont pas ces frontières naturelles, il n'y aura » aucun calme durable dans le Sud-Oranais. »

Depuis, ceci a été répété dans toutes les études faites sur cette région. Dans une brochure publiée à Alger,

(1) Les Eumeur sahariens (on écrit aujourd'hui Amour) vivant dans le Sahara, c'est-à-dire nomades, sont par cette épithète mis en opposition avec les Amour des hauts plateaux vivant dans les ksour des deux empires et suivant la nationalité de ces ksour; nous avons de ces Amour français à Aïn-Sefra, Moghar, Thiout, Sfissifa, etc.

en 1881, M. Sabatier, aujourd'hui député du département d'Oran, et bien connu par la valeur de ses travaux ethnographiques, citait ces paroles en exposant, avec une rare sagacité, le rôle politique et commercial d'Igli; nousmême nous citions ce passage, en 1882, dans un rapport inséré au volume publié par le Gouvernement général sur la Deuxième mission Flatters, et nous indiquions Igli comme étape première de notre action contre Insalah; enfin, en 1884, dans une carte indiquant la marche des influences religieuses en Algérie, nous faisions ressortir la vallée de l'oued Nsaoura comme la route la plus encombrée par les khouan de tous les ordres hostiles à la France.

C'est qu'en effet nous ne pourrons ni donner partout une sécurité absolue à la colonisation, ni défendre notre Sud-Oranais, ni nous opposer aux conséquences néfastes de la propagande panislamique ou snoussienne, ni châtier surement les assasins de nos explorateurs, ni faire de nouvelles explorations pacifiques, ni songer à une extension vers le Sud, ni tenter l'affranchissement des ksouriens du Touat, ni rallier à nous les populations riveraines de notre Sahara, ni avoir un transit réellement rémunérateur pour notre ligne de Mecheria, ni inaugurer dans le Sahara une politique conforme à nos aspirations et à nos principes démocratiques, ni cesser les expéditions militaires improductives et ruineuses, si nous ne sommes pas à Igli, les maîtres absolus, par une ligne ferrée assurant nos derrières.

Cette ligne est-elle donc si difficile à établir au point de vue technique et financier ?

De difficultés techniques, les spécialistes n'en redoutent aucune: M. Fousset, l'habile ingénieur qui a fait la ligne de Mosba à Mecheria nous a montré comment, pris à l'improviste, avec des ouvriers marocains et en pleine insurrection, on établissait 1 kilomètre de ligne en 48 ou 36 heures; il a montré par une expérience concluante la vérité de cette affirmation faite par un autre

« PrécédentContinuer »