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mis et nos auxiliaires possibles dans le Sud. Nous avons examiné les procédés employés depuis 1830; nous avons dit l'insuffisance et les inconvénients de ceux antérieurs à 1881, et nous avons fait ressortir la supériorité des moyens pratiques et politiques qui ont commencé à être employés depuis 1881.

De cet exposé, ressort cette double constatation: que de 1864 à 1881, nous avons perdu notre temps, notre sang, notre argent et notre prestige trans-saharien, et que, si l'œuvre accomplie depuis six ans est vraiment pratique, cette œuvre est encore bien incomplète.

Or, tant qu'elle restera incomplète, nous serons exposés à des éventualités se traduisant par des dépenses improductives, et nous ne retirerons de nos efforts et de notre argent, ni les bénéfices matériels, ni les satisfactions politiques indispensables à la grandeur de la France et à sa mission pacifique et civilisatrice dans l'Afrique du Nord.

Nos objectifs sont nombreux et multiples, mais il en est un qui s'impose avant tous les autres, qui les domine tous, et sur lequel tout le monde est d'accord: c'est la nécessité d'assurer sur tout notre territoire algérien la sécurité la plus absolue à la colonisation française ou indigène, tant agricole qu'industrielle, partout où ses intérêts peuvent la conduire.

Cette colonisation existe non-seulement sur les hautsplateaux des trois départements, mais aussi dans le Sahara Oriental où il nous a été donné de constater de visu, dans l'oued Ghir, au nord de Ouargla, l'étendue et l'importance des plantations de palmiers dues à l'initiative privée de plusieurs compagnies françaises, et au concours empressé des ksouriens associés ou employés. Or, pour que notre protection soit efficace, la première des conditions est que nous soyons assez forts pour faire nos affaires nous-mêmes et par des moyens français, sans être obligé de recourir à chaque instant, comme aujourd'hui, au concours compromettant soit de ces

grandes personnalités dont les idées retardent de quatre ou cinq siècles sur les nôtres, soit de ces nomades plus guerriers que pasteurs et ennemis nés de tout ce qui est travail ou production. Les uns et les autres réclament des ménagements ou des tolérances en contradiction avec les exigences de notre société moderne, et que, cependant, nous ne pourrons leur refuser que le jour où la puissance de notre outillage d'occupation dans le Sahara leur aura fait comprendre qu'ils sont à notre discrétion, et que leur véritable intérêt est de marcher avec nous dans la voie du progrès, sans récrimination ni regrets inutiles.

Le moyen d'obtenir ce résultat nous l'avons indiqué dans le courant de cette étude. Sa formule est bien nette: Défendre notre Sud en portant notre ligne de postes militaires en avant des terrains à protéger, c'està-dire sur la frontière même, tout contre les Areg, et à l'entrée des grandes voies naturelles ouvrant de larges chemins aux incursions de nos ennemis trans-sahariens.

Puis pour donner à ces postes militaires indispensables au sud de notre Sahara une existence normale et 'une action toujours réelle, les relier par des lignes ferrées (à voie étroite) à notre réseau du Tell.

Car nous croyons l'avoir démontré et d'autres l'ont dit avant nous : « Une lutte contre des hordes barbares » n'est périlleuse pour un peuple civilisé que lorsqu'il » veut s'attaquer à elles à armes égales, dans toutes les » conditions d'infériorité que le pays et le climat peuvent » créer pour lui; elle est des plus aisées et des moins dangereuses quand celui qui l'entreprend sait user à » propos de l'écrasante supériorité d'armement militaire » que les progrès de notre industrie moderne mettent à » sa disposition.

» Avoir la prétention de soumettre et de pacifier le » Sahara avec des colonnes militaires péniblement ravitaillées par des bètes de somme, sera toujours une

»- chimère irréalisable, obtenir ce résultat par la cons»truction progressive d'une voie de fer ouvrant et ex» plorant le pays à l'avant, en même temps qu'elle en » garantit la soumission à l'arrière est au contraire » une opération des plus simples et qui..... ne livre rien » au hasard. »

Dans l'Est la situation des villes du Souf au pied nord des Areg et l'excellente organisation de cette confédération berbère au point de vue de la défense de son territoire, ne nous impose aucune charge.

Au centre il n'en est pas de même, la double trouée de l'Igharghar et de l'oued Mya nous impose l'obligation d'être à même d'exercer une action effective dans le pays des Chamba dont les ksour sont à Ouargla, Metlili et El-Goléa, et dont les postes avancés sont à El-Biod, Haci-Messequem, Haci-Insoki, Haci-Inifel et à AïnTaïba. Haci-Inifel, dit aussi Haci-Abd-el-Hakem (1), serait, s'il était accessible, un excellent point stratégique pour tenir la route de l'oued Mya, et les trois routes qui, passant à El-Goléa remontent ensuite, l'une, l'oued Loua, en évitant le plateau du Mzab et les Areg, la seconde et la troisième, l'oued Zergoun et l'oued Seggueur; (ces deux dernières routes à peu près négligeables comme passant à travers l'Areg).

Mais malgré la possibilité d'avoir dans l'oued Mya des points d'eau à volonté, et par suite, des pâturages et des cultures, malgré la possession de la petite forteresse d'El-Goléa par nos Chamba et l'utilité pour nous d'ètre à même de faire sentir notre action sans difficulté dans ces parages, nous pensons qu'on peut, sans grand inconvénient, laisser encore Haci-Inifel en dehors du programme immédiat de nos voies ferrées, mais à la condition que l'occupation de Ouargla et du Mzab sera, à

(1) Du nom d'un marabout des Ouled-Sidi-Chikh qui y a son tombeau devenu un lieu de pélerinage.

bref délai, rendue efficace par la construction des railway nécessaires à leur accès pratique et facile.

Ouargla est à 380 kilomètres seulement de la gare de Biskra, entre ces deux villes on ne perd guère les palmiers de vue; la nappe artésienne est sur tout le parcours à une faible profondeur, et la ligne ferrée pourrait, en peu d'années, être bordée de palmiers sur tout son parcours, sans aucune solution de continuité. Sauf la traversée de l'oued Djeddi, dont le lit de plus d'un kilomètre de large et ordinairement à sec, a presque chaque année une crue torrentueuse, il n'y a qu'à poser les rails. Deux ans suffiraient à la construction et alors on pourrait, sans des frais exagérés, doter Ouargla des installations militaires en rapport avec son climat et avec l'importance stratégique politique et commerciale que peut et doit avoir cette ville, quand elle sera réellement la place de guere qu'il nous faut de ce côté.

Au M'zab, l'installation est bonne, mais la ligne ferrée est à faire sur plus de 400 kilomètres, c'est-à-dire de la Mitidja ou banlieue d'Alger à Ghardaïa. Des discussions de tracé pour la traversée de l'Atlas et des hauts-plateaux, ont retardé d'une façon bien regrettable l'établissement de cette ligne, dont la garantie d'intérêt serait en partie couverte par les économies réalisées sur les ravitaillements des garnisons de Médéa, Boghar, Djelfa, Laghouat et Ghardaïa, ou sur les transports des colonnes.

D'autre part, il ne faut pas se dissimuler que si le M'zab est un excellent camp retranché pour la défensive, un lieu de refuge et un grand marché pour le Sud, cette confédération démocratique et schismatique n'a aucune influence politique sur les nomades environnants qui n'y ont ni propriétés, ni serviteurs, ni fermiers, et qui n'interviennent jamais que comme des étrangers mercenaires, à la solde des deux partis mozabites. La France en occupant le chef-lieu de cette confédération, n'y fait guère qu'une œuvre de police intérieure; elle

rend définitif l'affranchissement du parti laïque libéral et commerçant, vis-à-vis le parti sacerdotal, puritain et réactionnaire.

Or, notre rôle ne saurait se borner là, nous avons à tenir le pays des Chamba et à montrer à ces nomades que nous sommes en mesure de les protéger contre les Touaregs, leurs ennemis comme les nôtres. Si nous ne pouvons encore envisager, comme tout à fait urgent et pratique, le rattachement d'El-Goléa à notre réseau de railway, il n'en est pas de même de Metlili, qui n'est qu'à 40 kilomètres de Gardaïa. Avec Ouargla et Metlili, places de guerre françaises, soudées à nos lignes de pénétration, bien aménagées, ayant leur télégraphe, etc., nous sommes les maitres de deux des trois tribus des Chamba, et la troisième est par suite presque à notre discrétion. Nous pouvons alors espérer soustraire les Chamba aux compromissions forcées avec les Touaregs et aussi aux redevances religieuses qu'ils n'osent pas refuser à leurs anciens seigneurs et maîtres.

Ce n'est que du jour où ils sentiront protégés par nous que les Chamba consentiront à mettre franchement à notre service leurs aptitudes guerrières et aussi leurs aptitudes commerciales qui sont très développées.

Metlili, dans les avant-projets de création des postes sahariens du Sud, avait été signalé comme bien préfé rable au point de vue de notre action dans le Sud à Ghardaïa. Si Ghardaïa l'a emporté, c'est à cause de la sécurité que donne dès aujourd'hui à cette garnison isolée l'agglomération mozabite, que ses intérêts commerciaux, disséminés dans toutes nos villes du Tell et du littoral, rapprochent plus des Français que des indigènes. Metlili n'en reste pas moins, au double point de vue politique et militaire, le ksar qui appuie à l'est la défense des grandes dunes d'Iguiden, et qui commande le cours de l'oued Loua: nous disons Metlili, mais le point précis de l'installation pourrait être dans les environs, à quelques kilomètres vers Haci-Djedid ou Haci-Temed.

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