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Ceci explique les égards et les ménagements qui ont toujours entouré Si Sliman ben Kaddour, chef effectif des Zoua-Gheraba, pendant son séjour forcé à la cour de Mouley Hacene, de 1876 à juin 1881.

Par contre, ces appréciations, puisées dans ce milieu lettré et intelligent de la capitale du Maroc, ne ressemblent guère à celles qu'on recueille parfois dans l'extrême Sud Oranais. La raison en est bien simple: elles ne portent pas sur les mêmes gens.

A Fez, on ne s'occupe que des Zoua, c'est-à-dire des personnalités, chefs des soff d'El-Abiod.

Dans notre Sud-Ouest, on parle surtout de ces tribus des Ouled-Sidi-Chikh occidentaux ou Gheraba qui, fixées au Maroc avant 1830, ont été déclarées marocaines de par le traité de 1845.

Ces tribus issues des 12 ou 13 frères des deux ancêtres des Zoua d'El-Abiod n'ont pas, en général, de situation prépondérante. Nous en avons dans notre Tell, à Lamoricière, Aïn-Temouchent; il y en a dans l'Est, à Tozeur, Nefta, en Tunisie, etc. Nous n'avons jamais eu à nous préoccuper de ces gens-là; il y en a aussi beaucoup d'autres dans le Sud-Ouest, au Maroc, chez les Douï-Menia et ailleurs.

C'est précisément à l'existence de ces petites tribus collatérales d'Ouled-Sidi-Chikh privés de ressources et de prestige, comme les Ouled-Sidi-Aïssa (des Douï-Menia et des Beni-Guill), les Ouled-Sid-El Hadj-Brahim (des Beni-Guill), Ouled-Sidi-Tadj (de Figuig), etc., qu'il faut attribuer les confusions que nous relevions plus haut, les divergences d'appréciation et les affirmations contradictoires et cependant faites de bonne foi.

Ainsi, ceux qui voient des Ouled-Sidi-Chikh dans cette insurrection de 1881, croient dire une chose vraie : Bou Amema et les siens sont bien d'une tribu d'Ouled-SidiChikh, mais ils sont des Ouled-Sidi-Tadj (de Figuig), insignifiants par eux-mêmes et ralliés au soff des ZouaGheraba, les éternels ennemis des Zoua-Cheraga.

Si Sliman ben Kaddour, le chef du soff des Gheraba, par son attitude, en 1881, est venu à son tour augmenter les confusions: celui-ci était bien Ouled-Sidi-Chikh d'ElAbiod, mais il était avant tout l'ennemi des Ouled-Hamza. Et pendant que le 17 novembre 1881, 800 cavaliers des Beni-Guill, Douï-Menia, Mehaïa (Marocains) et Rezaïna (de Saïda), en défection, commandés par le dit Sliman ben Kaddour, razzaient nos Hamyan-Châfaa à Fekarin, les Ouled-Hamza, au grand complet, étaient bien tranquilles au Gourara.

Là ils continuaient à vivre des rentes que leur faisaient leurs serviteurs religieux du Gourara, du Tidikelt et du Touat. Ils constataient, il est vrai, avec chagrin, que le nombre de ces serviteurs n'augmentait pas. Ils en connaissaient les causes: ils savaient qu'on leur reprochait précisément leur inaction contre les Chrétiens, alors que d'autres Musulmans n'hésitaient pas à faire la guerre sainte, et ils n'ignoraient pas que la propagande des Snoussia, sans être agressive à leur égard, enlevait tous les jours à leur influence politique des groupes de populations.

Ils n'avaient plus d'action dirigeante : de nouveaux soff s'étaient formés : l'un belliqueux, fanatique et prépondérant, celui des Ouled-Ba-Hamou, sous les ordres de ElHadj Abdelkader ben Badjouda; l'autre riche, plus nombreux, plus pacifique et par suite plus faible, celui des Ouled-Moktar, dirigé par une sorte de djemaà, présidée par El-Hadj Mohammed Ould El-Mokhtar (1). Les Zoua, formant le troisième groupe, étaient plus sympathiques au soff des Ouled-Mokhtar, mais ils se sentaient aussi impuissants à le dominer qu'à le faire sortir de son effacement politique. Des deux côtés d'ailleurs les Zoua percevaient des ziara car les doctrines snoussiennes n'admettent pas d'exclusivisme

(1) Voir Bulletin de la Correspondance africaine, 1885, Insalah, par M. Le Chatelier.

envers les personnalités religieuses non soumises aux Chrétiens.

Dans ce milieu où on ne leur refusait ni la considération ni les offrandes religieuses dues aux héritiers directs d'un des plus grands saints de l'Islam, les Ouled-Hamza étaient souvent gênés. Les services que nous avait rendus le vieux khalifat et Si Boubekeur, leurs aspirations vers la France, leur attitude pacifique les rendaient moins populaires que la masse des autres Zoua fixés dans ces parages depuis plusieurs générations et sans esprit de retour en Algérie.

Cette situation, dont il faut tenir compte sans cependant en exagérer les côtés délicats, explique l'insistance des Ouled-Hamza à se réconcilier avec nous pour reprendre à El-Abiod, vis-à-vis des musulmans d'Algérie, un rôle prépondérant qui ailleurs leur échappe de plus en plus. Cette situation explique aussi la réserve de ces mêmes Ouled-Hamza dans leurs relations avec les gens du Tidikelt et du Gourara, et elle montre enfin le peu de valeur de l'opinion de ceux qui à propos de l'assassinat de M. Palat font intervenir la question des Ouled-Sidi-Chikh.

L'assassinat de M. Palat n'est que l'épilogue de la mission Flatters.

Il a été implicitement prédit et annoncé, non pas seulement en 1881 après le sombre drame de Bir-elGhorama, mais avant même le départ de la première mission, en 1879 et 1880, quand la minorité de la Commission supérieure transsaharienne niait « la possibilité » de nouer des relations diplomatiques avec les Touareg » et de nous assurer, coûte que coûte, leurs concours » par des moyens pacifiques.

En 1880, M. Duponchel écrivait : « Si l'insuccès pouvait » être douteux l'an dernier, il est parfaitement certain aujourd'hui. Du moment où les coupeurs de route, » qui ont dévalisé M. Soleillet et arrêté M. Flatters,

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» ont pu constater que toute impunité leur était acquise, ils n'auraient garde de renoncer à un genre d'opération aussi fructueux que peu dangereux pour » eux. Dans tout nouvel explorateur qu'on leur en» verra sans un appareil militaire suffisant pour garan» tir sa sécurité et lui ouvrir un passage à main » armée, les indigènes du Sahara ne verrons qu'une proie facile à emporter... les procédés de spoliation » pourront différer..., mais le résultat sera toujours le » même (1). »

Tous ceux qui, depuis 1881, ont eu à étudier ou à raconter la deuxième mission Flatters ont exprimé cette même opinion qu'un indigène ami avait formulé en ces termes à Tripoli à notre consul général M. Féraud : « Si » vous ne faites rien, qu'aucun des vôtres n'essaye plus » à l'avenir de s'avancer dans le Sud, le Targui con» vaincu de votre faiblesse, tuera et tuera. toujours les » vôtres (2). »

L'assassinat de Palat, comme tous les crimes précédents, a été commis uniquement par ceux et pour ceux qui, au sud des Areg, croyaient avoir un intérêt à le commettre, et il rentre dans la catégorie ordinaire de ces actes de sauvage indépendance et de fanatique mépris dont nos voisins sont prodigues à l'adresse des gens du nord des Areg qu'ils soient Français d'origine ou simple sujets de la France.

Les Ouled-Hamza sont peut-être visés autant que nous, car ce crime vient affirmer à nouveau la politique intransigeante et belliqueuse du soff des Ouled-Bahamou d'Insalah au moment où la rentrée à notre service des chefs héréditaires des Ouled-Sidi-Chikh-Chéraga trouvait une indulgence trop grande et une approbation

(1) Duponchel. Lettre à la Commission supérieure du transsaharien, p. 12 et 20, Montpellier, 1880.

(2) Deuxième mission Flalters, p. 164.

tacite dans le soff rival et plus pacifique des OuledMoktar et des Zoua du Tidikelt.

Laissons donc de côté les Ouled-Hamza, qui, depuis leur réinstallation en 1883 et dans les intérêts même de leur orgueil et de leur ambition, ne se préoccupent que de se créer des titres à la bienveillance de la France. Évitons les paroles blessantes et imprudentes vis-à-vis des gens dont le concours effectif nous est encore nécessaire.

Que nos sentiments humanitaires nous entraînent plutôt vers les ksouriens que vers les nomades; que nos sympathies démocratiques soient plutôt pour la masse que pour les chefs; que nos idées laïques nous poussent à réagir contre cette exploitation religieuse que nos sujets subissent cependant sans se plaindre; rien de mieux; mais laissons le temps faire son œuvre et n'arrachons pas violemment les pierres d'un édifice vermoulu pour la reconstruction duquel nous n'avons pas encore les matériaux préparés.

Une expérience de vingt années nous a prouvé que nous ne pouvons pas couvrir nos colons du nord des chott sans repeupler au moins les hauts-plateaux; que ce peuplement ne pouvait se faire sans le concours des tribus des Ouled-Sidi-Chikh; que ces tribus ne voulaient pas et ne pouvaient pas se séparer des Zoua, leurs seigneurs politiques et religieux depuis des siècles. Agissons donc en conséquence et profitons au moins de cette expérience qui nous a coûté assez cher!

VII

Les mesures nécessaires

Nous avons vu quels étaient les difficultés de la garde de nos frontières sahariennes, quels étaient nos enne

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