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de garder, contre les incursions du Sud, le vaste pays borné au Nord par une ligne hypothétique allant de Ouargla au Kheider, et ayant plus de 600 kilomètres. Nous ne tenons à peu près que la région située au nord de cette ligne, et cela, grâce à l'aide de nos nomades des hautsplateaux qui ne peuvent se passer du Tell; nous ne pouvons, par contre, garantir à ces mêmes nomades la libre jouissance des pâturages nécessaires à leurs troupeaux. Quant à nos contribuables sahariens, nous les laissons garder comme ils le peuvent, des rezzou touareg, leurs pâturages, leurs points d'eau et leurs ksour d'El Goléa et Metlili.

Notre ligne de défense effective est certainement plus forte et plus au Sud qu'avant 1881, mais elle est encore à deux ou trois cents kilomètres en arrière de nos frontières qui, au Sud et à l'Ouest, sont bordées par nos pires ennemis: Touaregs, Snoussiens, Nomades indépendants ou Marocains insoumis. Et ces frontières seront d'autant plus exposées aux coups de main des rezzou et des coupeurs de routes de profession, que ceux-ci trouveront en arrière un pays moins peuplé.

Avec nos nouveaux postes et notre chemin de fer brusquement arrêté à Mecheria, nous avions bien réussi à défendre notre Tell et une partie des hauts-plateaux et à rendre notre autorité plus effective dans les ksour sudouest, mais nous n'avions pas encore regagné aux yeux du monde musulman et de nos plus proches voisins la situation que nous avions eue vis-à-vis d'eux pendant dix ans, depuis la prise de Laghouat en 1853 jusqu'à l'insurrection de 1864.

Dès que le décret du 6 avril 1882 eut remis aux mains du Gouverneur la haute administration des territoires sahariens, M. Tirman fut frappé de ce que cette situation avait encore d'insuffisant et de préjudiciable à la légitime influence que la France doit exercer dans le nord de l'Afrique, et il s'appliqua de suite à rechercher les amé

liorations qui pouvaient être immédiatement réalisées sans entraîner de nouvelles dépenses.

Le général Thomassin, qui alors commandait la division d'Oran, avait, en raison de ses services en Algérie, une compétence toute spéciale en matière de politique saharienne. Il ne vit pas d'autre solution pratique que la réinstallation au sud de Géryville des Ouled-SidiChikh-Chéraga, c'est-à-dire l'acceptation du concours. qui n'a pas cessé de nous être offert depuis 1869 - et même depuis 1867 - par les proches parents de notre ancien khalifa Si Hamza.

La possibilité d'une entente avec les Ouled-Sidi-Chikh pour la pacification du Sud-Oranais avait, du reste, toujours été soutenue par d'excellents esprits très au courant des questions indigènes. C'était, somme toute, la pensée qui avait présidé à la nomination de Sliman ben Kaddour en 1868, qui avait inspiré, en 1869 au général de brigade Chanzy, sa réorganisation des Hamyan et qui avait toujours maintenu un caractère si courtois aux nombreuses négociations engagées depuis cette époque avec les diverses personnalités des Zoua des Ouled-SidiChikh.

Le général Thomassin reprit cette idée et exposa, dans un rapport détaillé, les diverses raisons qui rendaient son application opportune et nécessaire.

L'objectif d'ailleurs n'était pas la reconstitution de l'ancien fief héréditaire des Ouled-Sidi-Chikh; le temps avait marché et une mesure qui n'aurait profité qu'à quelques personnalités des Zoua-Chéraga n'était plus admissible. Le but visé était le repleuplement du SudOranais par des contribuables tranquilles et bien soumis dans la main de leur chef naturel et héréditaire devenu agent de la France avec le titre d'agha. Le rappel des Ouled-Sidi-Chikh n'était que le moyen d'obtenir ce résultat.

Une fois le Sud-Oranais repleuplé, et vivant d'une vie normale, nous avions toute liberté pour procéder sans à coup à l'organisation de nos frontières sahariennes

par les procédés pacifiques et économiques qui sent reconnus les meilleurs. En faisant garder ces frontières sahariennes en avant de nos postes militaires extrèmes, nous allėgions les charges de guerre qui pèsent parfois si lourdement sur les fellah du Tell, et qui entretiennent chez eux des habitudes belliqueuses inconciliables avec les tendances agricoles et productives que nous cherchons à développer chez ceux qui vivent en contact avec nos colons du versant méditerranéen.

Ce fut sur ces bases, dans ces conditions pratiques et raisonnables, qu'au mois d'août 1882, M. Tirman, après avoir consulté le général Saussier, accepta les propositions qui lui étaient soumises et autorisa le général Thomassin à donner une réponse favorable aux nouvelles ouvertures faites par les chefs des Chéraga.

Les pourparlers engagés aboutirent, cette fois, sans trop de difficultés malgré les limites restreintes dans lesquelles on enferma, en avril 1883, l'aghalik de Si Eddin ben Hamza dont l'autorité officielle ne s'étend, aujourd'hui, qu'à une partie du cercle de Géryville.

Évidemment, les procédés à appliquer à ces OuledSidi-Chikh, étrangers depuis 20 ans à notre action gouvermentale et administrative et ne connaissant guère de notre civilisation que la portée de nos armes à feu, ne pouvaient être les mêmes que ceux en vigueur aujourd'hui vis-à-vis les populations du Tell, des hauts-plateaux et du Sahara oriental, habituées déjà depuis 40 ou 50 ans à subir notre autorité et ayant, quoiqu'en disent les détracteurs de l'Algérie, fait pendant ces quinze ou vingt dernières années des progrès indéniables au point de vue de leur sociabilité et de leurs moeurs politiques.

Or, la première des conditions pour que ces progrès puissent plus tard pénétrer chez ces Ouled-Sidi-Chikh, rentrés sur notre territoire, c'est évidemment d'avoir d'abord leurs gens dans notre camp, et nous ne les aurons pas si nous nous adressons uniquement à ces nomades inconscients et fanatiques, inféodés, volon

tairement de père en fils, à leurs maîtres et seigneurs, les Ouled-Hamza. C'est donc ceux-ci qu'il faut nous attacher par tous les moyens à notre disposition; car, nous le répétons, s'ils ne sont pas personnellement pour nous, ils seront contre nous, eux et leurs nombreux clients. Ceci a, du reste, généralement été compris en Algérie et les critiques qui ont été faites à cette œuvre éminemment sage et politique, ont eu leur point de départ soit dans le désir de l'application, trop absolue et inopportune, de principes d'ailleurs aussi justes que respectables et généreux, ou dans une appréciation inexacte des principaux faits de l'histoire de nos relations avec les Ouled-Sidi-Chikh. Ce qui est le cas de ceux qui persistent à confondre les Chéraga et les Gheraba et à répéter que ce sont les Ouled-Sidi-Chikh qui ont fait l'insurrection de 1881, et qui ont encouragé ou toléré le massacre de nos explorateurs.

En ce qui concerne les personnalités des Zoua-Cheraga, aujourd'hui rentrées en grâce, ceci est de la calomnie; ni dans les documents relatifs à la mission Flatters, ni dans ceux concernant l'insurrection de 1881, il n'a été relevé aucun fait pouvant être articulé d'une façon précise à la charge des Ouled-Hamza.

On a vu plus haut quels étaient les mobiles politiques, les influences snoussiennes et les intérêts ghadamésiens, qui avaient inspiré les Touaregs en février 1881.

On a vu aussi quelle a été l'attitude des Ouled-Hamza depuis 1867 et 1869, et à quelle source étaient puisées les insinuations malveillantes contre ces personnalités, dont le prestige a toujours écrasé les chefs indigènes du Tell oranais.

Nous ne pouvons pas nier cette influence immense qu'ont, dans le Sud, les héritiers du grand Sidi Chikh; si cette influence n'est pas ostensiblement au service de la France, elle est ipso facto réputée comme nous étant hostile, alors même que les chefs de cette famille n'ont aucun rôle actif.

Ceci n'est pas seulement notre opinion personnelle, c'est celle de la plupart des indigènes, tant Algériens que Marocains.

Mouley Hacene et les gens de Fez ont pour les Zoua des deux branches dirigeantes une très grande considération. Un officier, du service des affaires indigènes, qui accompagnait en 1882 le ministre de France à la cour du Chérif, rendait compte en ces termes de l'impression résultant pour lui de ses conversations privées avec les personnalités marocaines, vues en dehors des présentations officielles :

« Dans toute la partie septentrionale du Maroc qui, à quelques exceptions près, reconnaît l'autorité impériale, les Ouled-Sidi-Chikh sont considérés non-seulement comme un ordre religieux, mais surtout comme un parti puissant pouvant à un moment donné réunir assez de contingents pour faire échec au souverain...... On croit même que de proches parents de l'Empereur, qui ont été relégués dans les villes du Tafilalet pour des motifs politiques, ne seraient pas éloignés, si l'occasion se présentait de se ranger ouvertement sous le drapeau de Si Kaddour ben Hamza. Cette situation étant connue et admise, il n'est pas étonnant que la cour du Maroc cherche à être tenue constamment au courant des faits et gestes des Ouled-Si-Chikh. Aussi ne se passe-t-il presque pas de jour où le sultan ne reçoive des nouvelles des mouvements accomplis sur notre frontière....... << et remarquez, nous disait-on à ce sujet, avec quelle » facilité le sultan fait généralement droit à vos reven» dications..... préférant toujours payer, plutôt qu'es» sayer d'une intervention armée..... C'est qu'il a tout » intérêt à ce que la lutte dure le plus longtemps possi»ble, car tant que ceux-ci resteront occupés de votre frontière, ils ne tourneront pas leur regard d'un autre » côté. »

Revue africaine, 30e année. No 177 (MAI 1886).

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