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des Français augmentant dans le Sahara leur prestige religieux et le produit des ziara qu'ils tiraient du Touat, du Gourara et du Tidikelt, il en résultait pour eux une très grande situation; ils s'en remettaient donc à notre générosité pour avoir des conditions ne froissant pas leur orgueil.

Il y avait bien un certain fonds de vérité dans ces allégations; surtout en ce qui concernait la grande popularité que leur donnait dans le Sahara méridional leur situation d'adversaires des infidèles.

Nous ne voulûmes pas en tenir assez compte et nous affirmâmes encore une fois trop nettement notre intention de ne voir en eux que des rebelles à qui nous pouvions bien pardonner dans de certaines limites, mais à qui nous ne pouvions d'ici longtemps confier aucune fonction honorifique.

. Si Eddin repartit pour Metlili et El-Golea, disant qu'il allait se consulter avec son frère et son oncle, mais au fond peu satisfait de n'avoir rien obtenu.

Malgré son échec, il emportait cependant une excellente impression de la façon courtoise avec laquelle il avait été traité pendant son séjour à Alger, et il est bien certain qu'il engagea les siens à persister dans leur conduite réservée et à éviter vis-à-vis de nous toute tentative ou toute agression directe, afin d'être toujours à mème de reprendre quelque jour et dans de meilleures conditions les négociations déjà entamées.

Aussi évitèrent-ils avec un soin jaloux de s'engager contre nos colonnes qui parcouraient le pays; si celles-ci rencontrèrent souvent des zoua des Ouled-Sidi-CheikhGheraba et même parfois des clients du soff Cheraga, elles ne virent jamais combattre contre elles les personnalités des Zoua-Cheraga, tels que Si Kaddour, Si Eddin, Si Hamza, Si Lala, Si Zoubir, Si Moradj et autres.

Ce qui n'empêcha pas l'opinion publique de mettre sans hésitation sur leur compte, aussi bien que sur celui de leurs ennemis indigènes et de leurs clients indis

ciplinés, toute razzia ou tout coup de main qui atteignait ceux de nos nomades s'aventurant trop vers notre frontière méridionale.

Les rapports officiels étaient moins affirmatifs et surtout plus précis, mais ils étaient établis sur des renseignements indigènes qu'on ne pouvait contrôler d'une façon rigoureuse et qui avaient pour inspirateurs tous nos chefs indigènes intéressés à ne pas voir rentrer en grâce, à côté d'eux, ces personnalités dont le prestige les écrasait, même à distance.

Mais si l'on veut bien tenir compte du milieu ambiant et des circonstances, on est forcé de reconnaître que l'attitude personnelle des Ouled-Hamza vis-à-vis de nous, Français, est toujours restée depuis 1869 aussi correcte que le permettait leur situation de famille, leur dignité et le peu d'empressement que fous mettions à les accueillir, alors que bien souvent nous nous étions montrés plus conciliants et plus bienveillants pour des gens plus coupables et moins excusables. En somme, et nous le répétons à dessein, depuis 1869 ils n'étaient plus ni révoltés, ni insurgés, ils n'étaient qu'insoumis.

Sans doute, plus d'une fois leurs gens eurent maille à partir avec les nôtres, et, dans l'Extrême-Sud, plus d'un coup de main eut lieu à leur profit; mais c'était pour eux une condition d'existence; ils ne pouvaient pas, eux marabouts, que des milliers d'êtres humains vénèrent comme des fétiches, et dont nous refusions le concours, empêcher leur entourage de considérer comme de bonne et honnête prise le butin fait sur des tribus qui, fortes de notre appui et méconnaissant leurs devoirs islamiques envers leurs anciens seigneurs et maîtres, refusaient de payer des ghefara, hadia et autres tributs religieux, qu'une tradition trois fois séculaire impose aux musulmans établis dans ce que nous-mêmes nous appelons « le pays des Ouled-Sidi-Chikh (1). »

(1) Le nombre des tribus algériennes qui, avant 1864, payaient la

Il ne faut pas, du reste, juger ces faits avec nos idées européennes. Entre indigènes sahariens (comme jadis entre souverains barbaresques) les razzia n'ont jamais eu la portée que leur donnent nos habitudes civilisées. Les Ouled-Hamza pouvaient être de bonne foi et ne se croyaient nullement engagés par les quelques méfaits de serviteurs trop zélés ou simplement poussés par ce besoin irrésistible de mouvement et de pillage que nous avons tant de peine à contenir chez nos nomades. Ils conservaient toujours leurs espérances de réconciliation et, en attendant, ils vivaient de leur métier de marabouts et de nomades. Aussi ne fûmes-nous que médiocrement étonnés quand, le 15 février 1878, le jeune Si Hamza Ould Si Boubekeur arriva de sa personne chez le commandant supérieur de Géryville suivi seulement de trois ou quatre serviteurs, et se présenta en disant qu'il venait se mettre à notre disposition. »

Reçu avec les égards que commandaient à la fois la noblesse et la spontanéité de cette démarche et le souvenir de son père, Si Hamza fut invité à se rendre à Alger.

Le général Chanzy, alors gouverneur, possédait à fond cette question si délicate des Ouled-Sidi-Chikh : il avait personnellement connu tous les personnages de cette famille et il fit bon accueil au fils de notre sympathique agha Boubekeur.

Le jeune Si Hamza, dans ses conversations, fit valoir qu'en 1864, à l'époque de l'insurrection de son oncle Sliman ben Hamza, il n'avait que trois ans et que, par suite, il était resté absolument étranger à tout ce qui avait été fait pendant quatorze ans contre nous par ses oncles et grands-oncles; il nous demanda d'avoir pour lui

ghefara et les autres impôts religieux au profit des Ouled-SidiChikh, tant Chéraga que Gheraba, est considérable. On en trouvera la liste détaillée (mais encore incomplète) dans notre livre Marabouts et Khouans.

la même bienveillance que nous avions eu pour son père, se disant prêt à continuer vis-à-vis de nous les traditions de dévouement et de bons services qu'il tenait et de son père et de son grand-père, le khalifa Si Hamza.

Mais Si Hamza arrivé seul, ne cachant pas qu'il n'était en rien le fondé de pouvoir de ses oncles, demeurés les chefs effectifs des dissidents, ne nous apportait, en somme, qu'un drapeau sans soldat; d'un autre côté, le Sahara était tranquille et l'opinion publique, en Algérie, n'était nullement préparée à la reconstitution des Ouled-Sidi-Chikh. Aussi le général Chanzy, tout en promettant au jeune Si Hamza de lui donner un jour une position en rapport avec son âge et sa naissance, crut prudent d'attendre et de laisser les événements se dessiner: en attendant, il lui accorda un subside et lui assigna comme résidence les environs de Mascara.

Cette situation n'était pas faite pour satisfaire le fils de Boubekeur; il patienta toutefois pendant huit mois, puis, voyant qu'on ne faisait rien pour lui, il se découragea et repartit, comme il était venu, sans prévenir per

sonne.

Ce départ qui ressemblait à une fuite et que nos indigènes, amis et ennemis, présentèrent comme tel, contraria le général Chanzy. C'était, en effet, un fait grave, car il montrait à tous que nous étions décidés à nous passer du concours des Ouled-Hamza pour tenir le Sud oranais.

Il nous imposait donc l'obligation étroite d'affirmer notre autorité dans ces régions par quelque autre moyen susceptible de mettre fin à la fois aux interprétations malveillantes, aux intrigues de Bou Amema dont on commençait à se préoccuper, et, enfin, aux incursions de plus en plus fréquentes des coupeurs de route marocains ou des Ouled-Sidi-Chikh-Gheraba, dont l'audace croissait chaque jour. A défaut d'autre moyen, une colonne était indiquée, le général commandant la division d'Oran insista pour sa mise en mouvement.

Mais, par suite de diverses considérations tenant surtout à la crise politique dans laquelle se débattait le gouvernement métropolitain à la fin de 1878, cette colonne n'eut pas lieu. Le général Chanzy quilta Alger et fut remplacé par M. Albert Grévy qui, en 1879, eut d'abord à s'occuper de l'insurrection de l'Aores. Puis, dès que le nouveau gouverneur se fut rendu un compte exact de la situation du Sud-Ouest, et eut compris la nécessité de faire une démonstration militaire de ce côté, les pourparlers engagés à Paris avec des ambassadeurs marocains qui se firent fort de faire cesser ces incursions, empêchèrent encore la colonne d'avoir lieu en 1880.

Pendant ce temps, le mouvement panislamique qui, depuis tant d'années travaillait le monde musulman, continuait son œuvre dans l'Afrique centrale et sur nos frontières méridionales: en janvier 1881, dans notre ksar de Tiout, un marabout, qui avait résisté au courant et représentait le parti français, était assassiné en plein jour et comme châtiment de son attitude; le 18 février, on égorgeait à Bir-el-Ghorama les membres de la mission Flatters; dans le sud de Sebdou et de Géryville, où les émigrations individuelles ou collectives augmentaient chaque jour au profit des dissidents, notre action administrative allait s'amoindrissant.

Aussi, quand malgré les protestations du Gouverneur et de toute la population algérienne, le général Farre vint dégarnir la province d'Oran de ses meilleures troupes pour les envoyer en Tunisie, l'insurrection éclata sous la direction d'un intrigant de bas étage, de ce Bou Amema dont nous racontions plus haut l'habileté à se soustraire, pendant trois ans, à l'arrestation dont il s'était senti menacé.

Cette insurrection avait été rendue possible par tout un ensemble de faits de détails résultant de notre inertie et de notre politique d'effacement dans le Sud-Ouest depuis 1872. Elle débuta, le 22 avril 1881, par l'assassinat du sous-lieutenant Weinbrenner chargé, lui aussi, d'ar

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