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Il est d'ailleurs un fait d'observation dont on ne tient pas assez compte à propos de l'utilisation des makhzen et des goum, dont l'objectif est moins le combat que la razzia : c'est que plus l'indigène est civilisé, plus il est disposé à se rallier à nous ou même simplement à apprécier la vie agricole et les relations commerciales, plus il fait un médiocre goumier. D'une façon plus générale encore, on peut dire que plus on s'enfonce vers le Sud, plus le nomade est redoutable par ses qualités guerrières, ses ruses, sa mobilité et ses instincts de partisan et de bandit. Ainsi avant 1830 sur le méridien d'Alger les nomades du Titery et du sud de Médéa, aujourd'hui à peu près fixés au sol, étaient ordinairement battus par les Ouled-Chaïb de Boghar. Ceux-ci, à leur tour, redoutaient les Ouled-Naïl, ces terribles marcheurs qui, à pied ou à cheval, franchissent des espaces insensés et qui cependant subissaient si souvent les exigences des brillants cavaliers des Larba et des Harzalia. Ceux-ci eux-mêmes ne se gardaient pas toujours avec succès contre les incursions des Chamba. Et, en fin de compte, ces Chamba qui sont le type du nomade aventurier que n'arrête ni la distance, ni la fatigue, ni les privations, sont tenus en piètre estime par les Touareg qui ont une supériorité incontestable sur tous les nomades sahariens, de Tunisie, d'Algérie ou du Maroc.

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On pourrait multiplier ces exemples sur tous les méridiens de l'Algérie, avec des noms et des faits à l'appui. L'enseignement qui s'en dégage pour nous, c'est que dans nos guerres sahariennes nos auxiliaires, pris dans les tribus des hauts plateaux ou de la lisière du Tell ne valent jamais comme ruse, célérité et entrain les contingents de nos adversaires.

Nous en avons fait l'expérience dans nos luttes contre les Ouled-Sidi-Chikh, et plus récemment dans l'insurrection de Bou Amema en 1881 (1).

(1) Le seul succès de goum que nous ayions eu, en 1881, à

Puis, n'est-ce pas une véritable faute politique que cet emploi si fréquent des goum et makhzen qui conservent et entretiennent ainsi les habitudes guerrières et nomades chez des indigènes dont notre intérêt est de faire des producteurs pacifiques, pasteurs ou agriculteurs. Il est arrivé que des groupes qui avaient pris goût aux labours et à la vie sédentaire, étaient en quelque sorte ramenés par nous vers la vie vagabonde de leurs pères, car nous avons été parfois forcés d'interdire à des tribus de vendre leurs chevaux de selle ou de les troquer contre des mulets et des boeufs de labour, et cela parce que nous avions besoin de leur service de goum ou de makhzen. C'était assurer le présent au détriment de l'avenir et sortir de notre rôle de colonisateur.

Convaincus de l'insuffisance des goum et des maghzen quand ils ne sont pas appuyés, dirigés et surveillés par nos colonnes, nous avons plus tard pensé à fortifier leur action et la nôtre par la création de petits postes permanents.

Il n'y en avait cependant encore que fort peu dans l'Ouest, au début des opérations contre Sliman ben Hamza, car ce n'est que plus tard qu'on les a multipliées, mais plutôt comme moyen administratif que comme défense militaire. Ces petits postes, qui ont été souvent préconisés par des personnalités militaires d'une haute compétence, ont été aussi très vivement critiqués par d'autres militaires non moins compétents. Comme toujours la vérité est entre les opinions extrêmes. Des petits postes isolés et en l'air, très utiles en temps de paix pour l'administration et la surveillance du pays, deviennent

Madena, a été dû à une double trahison d'un chef indigène que nos ennemis croyaient à leur dévotion et qui, gêné par nos colonnes, se sentant suspecté et près d'être découvert, s'est tiré d'affaire en enlevant et en pillant une razzia faite par Bou Amema qui ne se méfiait pas de lui.

un véritable danger en temps de guerre : « parce que, dit » le maréchal Bugeaud, non seulement ils immobilisent » une partie des forces de l'armée, affaiblissent numéri» quement les colonnes agissantes, mais encore parce » qu'ils absorbent une partie de l'action des troupes » restées mobiles, puisque celles-ci sont chargées de les » ravitailler, de satisfaire à leurs besoins et d'aller à leur » secours au lieu de faire des opérations utiles contre » l'ennemi; parce que ces secours n'admettent pas de » retard, qu'il faut souvent marcher par le temps le plus » défavorable et que de là peut naître une catastrophe. » Les postes qui ne sont pas démontrés d'une nécessité » absolue doivent être soigneusement évités, car ils sont » une source d'embarras, de faiblesse et de danger (1). »

C'est une erreur, croyons-nous, de supposer qu'une ligne continue de forts échelonnés à 25, 30 ou 40 kilomètres les uns des autres peuvent couvrir une frontière saharienne contre des incursions de nomades. Ce qui est efficace et pratique en Europe, avec des armées organisées, des routes tracées, cesse de l'être dans le Sahara. Car selon l'opinion du maréchal Bugeaud - auquel il faut toujours revenir en matière de guerre algérienne ces postes « n'assurent pas les communications, n'ont >> aucune action sur le pays et ils ne gardent réellement » qu'un point. »

Or, dans le Sud, un point gardé peut empêcher de passer une caravane pesamment chargée ou une tribu en migration avec ses tentes, ses vieillards, ses femmes et surtout ses troupeaux dont l'abreuvement périodique lui fait de préférence prendre telle ou telle route. Mais la garde d'un point d'eau ou d'un défilé saharien n'empèchera jamais de passer à côté » un djich, un rezou, ou même une harka, c'est-à-dire les trois variétés de bandes armées que nous avons à craindre: celle du vulgaire bandit coupeur de route de profession, celle de l'aven

(1) Circulaire du 8 mai 1846.

turier ou du partisan en quête de pillage, celle du chef nomade opérant en guerilla contre des douars campés en arrière du point gardé.

L'établissement d'un fortin ou d'une redoute sur les hauts-plateaux comme dans le Sahara est donc logiquement la conséquence et non pas la préparation de l'occupation pacifique du pays.

C'est une station commercialé, un caravansérail, un dépôt de vivres, un logement de fonctionnaire ou d'agent français, un bureau de poste, un corps de garde de police, une construction enfin, à laquelle son isolement impose une forme défensive qui lui permette de repousser l'espèce de malfaiteurs spéciale au pays. Mais, à moins d'augmenter démesurément ses proportions; ce n'est pas un ouvrage de fortification pouvant concourir à une action militaire si minime quelle soit.

Ce n'était donc pas par des créations de ce genre, pas plus que par les moyens précédemment analysés, que l'autorité française pouvait espérer arriver à la pacification du pays. Le gouverneur pensa alors à susciter contre les zoua des Ouled-Sidi-Cheikh-Chéraga de grandes personnalités indigènes dont la situation de famille et l'influence héréditaire fussent telles qu'elles pussent suppléer les anciens seigneurs d'El-Abiod dans le rôle de gardiens de nos frontières sahariennes et repousser, par les moyens indigènes, les harka et rezou qui parcouraient le pays de Ouargla à Figuig.

Dans l'Est, on trouva bien ces personnalités; nous avons dit plus haut dans quelles conditions, dans quelles limites restreintes la combinaison d'Ali Bey ben Ferhat put momentanément réussir de 1864 à 1872. Ajoutons que la famille de ce chef indigène était depuis longtemps en relation d'amitié avec la personnalité religieuse la plus en vue du pays, et que la zaouïa de Temacin, depuis longtemps ralliée à la France par la nature même de ses doctrines Tidjaniennes, l'aida de tout son crédit qui était grand, mais qui depuis s'est usé quelque peu à notre service.

Dans l'Ouest, ce fut plus difficile et, en fin de compte, on échoua complètement. Nous avions bien à Relizane, à Frenda, à Sebdou, Saïda, Tiaret, Laghouat, Djelfa des personnalités indigènes qui semblaient à priori offrir une grande surface, et qui surtout avaient joué, soit sous les Turcs, soit dans nos luttes contre Abdelkader des rôles considérables. Aucun d'eux cependant n'était de taille à pouvoir nous aider: c'étaient des gens du Tell, et dès qu'on voulait les utiliser sur les hauts-plateaux, eux et leurs gens n'étaient plus que des combattants ordinaires, braves et dévoués, mais sans aucune influence politique sur les nomades. Quant aux influences religieuses, celles que nous aurions pu utiliser, étaient des influences locales dont l'action ne dépassait pas le Tell.

Les choses en étaient encore là à la fin de 1867, et notre embarras était grand quand, dans les premiers jours de janvier 1868, une des individualités les plus en vue des Zoua-Gheraba, Si Sliman ben Kaddour, qui depuis deux mois nous combattait comme allié de Si Ahmed ben Hamza, vint nous annoncer sa rupture avec son cousin, nous offrir ses services et nous ramener quelques fractions des Ouled Abdelkerim et des Rezaïna en défection depuis 1864.

Nous crûmes avoir mis la main sur un personnage à la fois politique et religieux, et nous acceptàmes ses services avec empressement. En réalité, nous n'avions en Sliman ben Kaddour qu'un chef de partisans, plein de bravoure, d'entrain, d'énergie et d'audace, et ayant avec lui des goums tout formés et aussi vaillants, sinon plus, que ceux des Zoua-Cheraga. C'était déjà beaucoup.

Pendant un an, Si Sliman, opérant, il est vrai, bien plus pour son compte que pour le nôtre, se livra sur les Chéraga à toute une série de razzia plus fructueuses pour lui que profitables à notre influence. En récompense, on le nomma, en avril 1869, agha de Geryville.

Ces razzia et cette nomination donnèrent à réfléchir à

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