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gieux était alors dans tout son éclat. A cette époque, les Snoussya, n'étaient pas encore devenus une puissance, les khouan Taïbya et Qadrya étaient restés inféodés aux deux soff des Ouled-Sidi-Chikh et les Tidjanya qui, cependant, représentaient un soff différent, étaient connus comme plus sympathiques aux Français qu'aux Turcs ou à l'Émir Abd El-Kader, dont ils avaient eu gravement à se plaindre avant et après 1830.

Ces sympathies furent même assez vives un instant pour que, en 1857, une députation d'un des soff d'Insala vint à Alger demander à la France un protectorat analogue à celui accordé au Mzab en 1853.

Depuis, les choses ont changé du tout au tout.

D'autres soff d'Insala s'étant inutilement adressés à l'empereur du Maroc, descendant, « vicaire » du Prophète et chef spirituel de l'islam dans l'Afrique Occidentale, tout le Tidikelt a fini par ne plus admettre qu'une seule suprématie, à la fois politique et religieuse, celle de Djerboub, c'est-à-dire des Snoussia. Quant à ces mèmes Touareg qui, si longtemps avaient favorisé les entreprises commerciales des Tidjanya dans le Soudan, ils n'ont pas hésité, en 1881, à assassiner, comme un vulgaire roumi, le moqaddem de cet ordre religieux qui accompagnait la mission Flatters. Ce fait, qui a passé presque inaperçu, a cependant, au point de vue islamique, une signification énorme. Il montre que toute influence religieuse, ouvertement à notre service, est frappée d'anathème et mise hors la loi par les Snoussya et leurs adhérents.

La fidélité du khalifa Si Hamza ne se démentit jamais jusqu'à sa mort survenue en 1861 à Alger; mort mystérieuse qui fut mise alors sur le compte du choléra, mais que les indigènes donnèrent comme le résultat d'un empoisonnement commis par les Français. Plus tard, au contraire, il fut affirmé qu'il y avait bien eu empoisonnement mais par la main d'une de ses femmes agissant à l'instigation du parti intransigeant de la famille qui

ne pardonnait pas au marabout sa soumission à la France.

Si Boubekeur ben Hamza, son fils aîné, venait de se signaler par la prise du faux chérif, Mohamed ben Abdallah, quand il fut appelé par nous à remplacer son père avec le titre de bachagha. C'était un homme remarquablement doué, franchement rallié à nos idées et des plus sympathiques.

Malheureusement, il mourut subitement en juillet 1862, et sa mort donna lieu aux mêmes commentaires calomnieux vis-à-vis des Français et peut-être fondés vis-à-vis de la femme Et Talia bent Rabah à laquelle on attribua, plus tard, à tort ou à raison, un troisième empoisonnement, celui de son second mari, le caïd Djelloul ben Hamza, homme également dévoué à notre politique.

Avec Si Boubekeur se termina cette période de calme, de sécurité et d'influence dont pendant une quinzaine d'années nous avions été redevables aux Ouled-SidiChikh-Chéraga.

Est-ce dire que le régime sous lequel vécurent les Sahariens pendant ces quinze années soit celui qu'il faille recommander comme convenant le mieux à ces régions?

En aucune façon, et il était appelé avec le temps à se transformer dans un sens libéral comme s'est transformé partout en Algérie le régime des indigènes, jadis taillables et corvéables à merci, entre les mains des grands chikh héréditaires et des autres représentants de cette féodalité arabe qui pesait si lourdement sur le pays.

Mais quelles qu'aient été les défectuosités d'un système qui reposait uniquement sur le bon vouloir d'une personnalité assez forte par ses propres moyens pour pouvoir se soustraire à notre direction et nous obliger à compter avec elle, ceux qui l'inaugurèrent dans le sud oranais furent certainement des gens habiles et pra

tiques. Sans brûler une cartouche, sans répandre le sang de nos soldats, sans nous rendre odieux ou même antipathiques aux indigènes, nous étions devenus, du jour au lendemain et dans des conditions assurément meilleures que les Turcs nos prédécesseurs, les maîtres reconnus de plus de 4,000 kilomètres carrés dans lesquels gravitaient de nombreuses tribus alors insaisissables, et qui nous donnaient plus de 55,000 contribuables.

En ne nous ingérant pas directement dans l'administration ou le gouvernement quelque peu fantaisiste et arbitraire de Si Hamza, en ne touchant ni à ses privilèges séculaires, ni aux habitudes de ses clients, nous faisions accepter sans trop de répugnance l'autorité nominale de la France sur les hauts-plateaux et dans le Sahara Algérien, au sud duquel les populations d'au delà des Areg restaient sans crainte et sans défiance.

Rien, il est vrai, n'était fait pour les attirer à nous, Sebdou, Saïda, Laghouat et Tougourt leur semblaient les dernières limites de l'expansion française vers le Sud, mais rien non plus ne les incitait à se refuser à des relations pacifiques et commerciales que le temps aurait pu dévelop per et rendre plus étroites.

Avant 1864, nous n'avions et nous ne pouvions avoir d'autre objectif que d'assurer dans les conditions les moins coûteuses et les plus certaines, la sécurité dans un pays de plus de 700 kilomètres de frontières sahariennes. Ce résultat, les Ouled-Sidi-Chikh nous le firent obtenir sans grosses difficultés; il était assez important pour nous faire fermer momentanément les yeux sur bien des choses contraires à nos idées humanitaires et démocratiques mais ayant leur excuse dans l'impossibilité absolue où nous étions d'employer d'autres procédés.

IV

Les expédients militaires de 1864 à 1872

La mort de Si Boubekeur Ould Hamza, en 1862, ouvrit pour nous dans le sud des territoires d'Alger et d'Oran une ère de difficultés et de dépenses qui n'est pas encore fermée.

Le sympathique agha ne laissait qu'un enfant en bas âge et la succession de l'autorité familiale mettait à la tête des Ouled-Sidi-Chikh-Cheraga, son frère consanguin Si Sliman ben Hamza, le fils aîné de cette Rekeia bent El-Heurma dont nous avons indiqué le rôle dans les intrigues qui se déroulèrent autour du vieux Si Hamza et qui accréditèrent le bruit de ce triple empoisonnement commis par une de ses co-épouses.

Sliman ben Hamza avait été élevé à l'école du fanatisme sa mère l'avait tenu à l'écart de tout ce qui aurait pu lui faire connaître et aimer la France et elle avait développé en lui les instincts d'ambition, de mysticisme et d'orgueil qui déjà faisaient le fond de son caractère.

Dès qu'il fut investi de son titre d'agha, ses premiers actes furent marqués.au coin de la réaction la plus violente contre ce qu'avait fait son frère aîné et il éloigna de lui tous les gens qui avaient appartenu à l'entourage de Si Boubekeur ainsi que ceux qui étaient connus comme ayant des sympathies pour la France.

A cette époque, notre autorité n'était contestée nulle part: nous étions les maîtres obéis du Souf, de Tougourt, et des autres ksour sahariens; nous avions bien encore de sérieux égards pour quelques grandes personnalités qui, par leurs services passés, leurs âges ou leurs situations acquises méritaient un traitement exceptionnel, mais l'obéissance était partout, et nous brisions les résistances là où elles se montraient.

Or, en 1862, Si Sliman n'avait que vingt ans il était peu fait pour se plier aux exigences d'une situation en sous ordre. D'autre part, ni sa jeunesse, ni son caractère, ni ses allures de sectaire, n'étaient faits pour lui attirer des sympathies ou des tolérances qui déjà n'étaient plus dans nos mœurs administratives.

Nos officiers, qui, grâce au concours loyal de Si Boubekeur, avaient déjà commencé à s'occuper plus directement des Ouled-Sidi-Chikh, à réformer quelques abus et à affirmer nos idées de justice, entendaient continuer leur œuvre de progrès.

Des froissements ne tardèrent pas à se produire. On sait le reste; le 16 février 1864, Si Sliman entrait en insurrection entraînant avec lui tous les siens et les trois quarts des tribus sahariennes. Le 8 avril, à AïounetBoubekeur, il était tué dans le guet-apens qu'il avait ourdi et où succombaient avec lui le colonel Beauprêtre et ses braves compagnons.

Son frère germain, Si Mohammed Ould Hamza, qui nourrissait contre nous une haine encore plus ardente que Si Sliman, le remplaça à la tête de l'insurrection et pendant un an il lutta contre nous avec une âpreté et une vigueur remarquable: il fut tué le 4 février 1865 au combat de Garet-Sidi-Chikh.

Avec ce combat se termine la période suraiguë de l'insurrection: Si Ahmed ben Hamza a bien la haine et le fanatisme aussi violents que ses deux frères germains, Si Sliman et Si Mohamed, mais il n'a que 14 ou 15 ans et son orgueil l'empêche d'abord d'accepter complètement la direction de son oncle Si Lalla, le plus actif et le plus habile de nos adversaires.

Dès lors, au lieu de la guerre incessante et continue faite avec des tribus constituées, ce ne sont plus quc des incursions, des coups de mains et des surprises. La dernière razzia de Si Ahmed a lieu en décembre 1867 sur les Hamyan de Sebdou.

A cette date il était en froid avec son oncle Si Lala,

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