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lité bienveillante qui laissait toute liberté à leurs clients pour servir avec l'émir. Une seule fois, en 1838, au siège d'Aïn-Madhi, on vit les Zoua des Ouled-Sidi-Chikh marcher avec Abdelkader, mais alors les zaouïa d'El-Abiod avaient un intérêt direct à ruiner la zaouïa de Tidjini qui, par sa popularité, leur faisait, dans tout l'extrême Sud et au delà des Areg, une redoutable concurrence au point de vue de l'encaissement des aumônes, redevances et offrandes religieuses.

La victoire d'Isly et le traité de Tanger en 1844, mais surtout la convention du 18 mars 1845 entre la France et le Maroc donnèrent beaucoup à réfléchir aux OuledSidi-Chikh. Les deux chefs, Si Hamza Ould Si Boubekeur Es-S'rir, chef des Zoua-Cheraga, et Chikh ben Taïeb, chef des Zoua-Gheraba, se mirent d'un commun accord en relation avec l'empereur Mouley Abderrahman et le consultèrent sur la ligne de conduite qu'ils avaient à suivre.

L'empereur, encore sous l'impression salutaire de la bataille d'Isly, les mit au courant des pourparlers engagés entre lui et la France au sujet de l'émir Abdelkader qu'il s'était engagé à ne pas laisser se réfugier au Maroc. Il leur fit connaître, en outre, que le fait de leur domicile patrimonial à El-Abiod, déclaré ksar français dans la convention de 1845, empêchait la cour de Fez de les appuyer contre les Infidèles que Allah avait fait succéder aux Turcs comme souverains du Moghreb central.

C'est à la suite de ces négociations et au moment où l'émir vaincu et épuisé se voyait contraint de renoncer à la lutte, que les deux chefs des Zoua-Cheraga et Gheraba se décidèrent à faire acte de soumission à la France.

Au mois d'avril 1847, ils envoyèrent une double députation au général Renault alors en tournée dans le sud de la subdivision de Mascara et campé au nord-est des Arbaouat. Ces députations étaient conduites par deux proches parents des chefs de famille: Djelloul ben Hamza, cousin germain de Si Hamza, et Si Mohammed, frère de Chikh ben Taïeb. Ils amenaient deux chevaux de

gada, 18,000 fr. de tribut comme preuve de ce que les Ouled-Sidi-Chikh, tant Cheraga que Gheraba, reconnaissaient l'autorité de la France. Les chefs de famille s'excusaient, par la bouche de leurs délégués, de ne pas se présenter eux-mêmes, alléguant que du temps des Turcs, musulmans comme eux, ils étaient dispensés de tout hommage personnel vis-à-vis du bey; ces délégués ajoutaient qu'en ne compromettant pas leur prestige religieux par une démarche humiliante vis-à-vis des Chrétiens, les chefs des Ouled-Sidi-Chikh seraient mieux à même de pouvoir empêcher leurs clients de prendre part à la guerre sainte à laquelle les conviaient les prédications fanatiques d'Abdelkader et de Bou Maza.

En 1847, au sud de Géryville et dans les circonstances où se présentaient ces députations, on n'était pas en situation de songer à discuter les termes de ces soumissions volontaires qui furent considérées comme un évé-. nement très heureux. On fit grand accueil aux députés et on les renvoya avec les titres de caïd des Ouled-SidiChikh-Cheraga et caïd des Ouled-Sidi-Chikh-Gheraba.

L'année suivante ils vinrent offrir le même tribut. En 1849, Si Naïmi, frère puiné de Si Hamza nous fut donné comme représentant mieux les Ouled-Sidi-Chikh-Cheraga que le caïd Djelloul dont la situation familiale était moins en relief. On nomma Si Naïmi agha; mais, peu de mois après, Si Hamza, s'étant enfin décidé à consommer ce qu'il appelait « son apostasie,» se présentait de sa personne aux autorités françaises et était nommé agha en remplacement de son frère retenu à Oran pour cause de suspicion légitime.

La mème année, Si Chikh ben Taïeb, chef des Gheraba, ayant échoué dans des démarches tentées à Oran pour avoir le titre d'agha et la suprématie sur les deux branches des Ouled-Sidi-Chikh, entrait ouvertement en insurrection contre nous et en lutte contre son cousin Si Hamza.

Cependant ce dernier continuait à se tenir beaucoup à

l'écart; et, dans notre entourage musulman, les plus grands efforts étaient faits pour nous le représenter comme rebelle au même titre que son cousin et rival, Chikh ben. Taïeb. On alléguait entre autres choses qu'il était en relation avec le prétendu cherif Si Mohammed ben Abdallah et qu'il lui avait même envoyé des cadeaux. Ces accusations n'étaient sans doute pas sans fondement en ce sens qu'il y avait eu échange de lettres entre le faux cherif proclamé sultan de Ouargla et Si Hamza, le seigneur religieux des Chamba, nomades des environs de cette ville.

Mais alors la soumission de Ouargla était plutôt nominale que réelle, et toutes nos relations politiques de ce côté se bornaient à une assurance de protectorat platonique donnée par nous, sur sa demande, au chikh Taïeb ben Babia, sultan de Ngouça, ville rivale de Ouar.gla.

En réalité, les menées hostiles signalées à la charge des Ouled-Sidi-Chikh-Cheraga, seuls influents dans l'est, étaient le fait des intrigues du soff des Zoua-Gheraba intéressés en la personne de leur chef, Chikh ben Taieb à compromettre Si Hamza vis-à-vis de nous et à envenimer les germes de désordre qui déjà existaient dans sa propre famille.

La chose, du reste, était facile: De tout temps, les oncles et quelques-uns des frères de Si Hamza avaient trouvé trop libérale et trop française la politique suivie par le khalifat et par son fils ainé Si Boubekeur. Pour faire aboutir cette désapprobation, jusqu'alors discrète, à la création d'une coterie plus active et plus compromettante, Chikh ben Taïeb avait à sa dévotion un fanatique marocain du nom de Ben Heurma, père d'une des femmes de Si Hamza, et grand-père des trois enfants qui devaient plus tard conduire contre nous l'insurrection de 1864. L'aîné de ces enfants était déjà d'âge à comprendre et à suivre les conseils de sa mère qui, avec son exaltation de fille et de femme de marabout, rèvait pour

ses fils une gloire plus pure et plus orthodoxe que celleque pouvait acquérir un Musulman transformé en agent des Chrétiens.

Nous ignorions alors complètement l'existence de toutes ces intrigues dont nous n'avons pu reconstituer les détails que beaucoup plus tard. Notre entourage arabe présentait les choses tout autrement et se montrait de plus en plus acharné contre Si Hamza. La véritable raison était que cet entourage, composé en majeure partie des anciens chefs des Makhzen turcs devenus nos agents et déjà appelés à de hautes situations en raison de leurs services contre l'Emir Abdelkader, voyaient avec un chagrin et une jalousie mal dissimulés, notre confiance, et surtout nos faveurs, se porter sur une personnalité de l'importance de Si Hamza qui les éclipsait tous par son prestige religieux et sa très haute naissance (1).

Ce sentiment a persisté jusqu'à présent chez beaucoup de nos meilleurs serviteurs; il a été cause de bien des mesures regrettables qui n'ont pas été sans influence sur les causes indirectes de la grande défection de 1864, et qui surtout, ont, de 1868 à 1884, empêché la paix de se faire et les Ouled-Sidi-Chikh de se soumettre.

C'est dans ce milieu, qui, on doit le reconnaître, est beaucoup plus franchement rallié à nous que les nomades des Ouled-Sidi-Chikh - mais qui est incapable de les remplacer dans le Sahara - qu'aujourd'hui encore bon nombre d'excellents esprits puisent des informations malveillantes ou calomnieuses contre les OuledHamza.

En 1852, pour tenir compte de ce courant d'opinion, on invita Si Hamza à venir à Oran et, sous divers prétextes, on l'y retint pendant six mois dans une espèce

(1) Sidi Chikh descend en ligne directe du premier khalife Abou Beker. La tribu, avant de prendre le nom du saint, était dite: tribu des Bekria ou des Ouled-Sidi-Bou-Beker.

d'internement déguisé, entouré d'ailleurs de très grands ménagements. Mais il ne tarda pas à convaincre le général Pélissier du peu de valeur des accusations portées contre lui; celui-ci le crut et l'emmena avec lui dans son expédition de Laghouat. Si Hamza, avec un goum de six cents chevaux, battit en plusieurs rencontres et d'une façon complète les goums des OuledNaïl et des Larba alors contre nous, et eut ainsi une part active et brillante dans les combats qui nous rendirent maitres de Laghouat.

En récompense, le général Pélissier le fit nommer khalifa.

Dans les premiers jours de l'année suivante, Si Hamza, sur les confins du sud marocain', enlevait et nous ramenait l'importante et insaisissable tribu des HamyanChafaa que la convention de 1845 nous avait donnée comme sujets, avec l'arrière-pensée que jamais nous ne serions assez habiles ni assez agiles pour les joindre dans le Sahara et les ranger sous notre autorité.

A la fin de cette même année 1853, le khalifa Si Hamza, parti avec le colonel Durieu et une colonne légère, nous faisait, sans coup férir, traverser le Sahara, Metlili, le Mzab et planter, pour la première fois, le drapeau de la France sur les vieilles casba de Ngouça et de Ouargla.

Ce fut encore grâce à ce khalifa que deux officiers, MM. Colonieu et Burin, purent parcourir, en géographes pacifiques, le Touat, le Gourara et le Tidikelt, et que Duveyrier put impunément aller à El-Goléa et chez les Touareg.

En ce temps-là, les populations au delà de l'Areg ne nous craignaient ni ne nous haïssaient. Elles ne voyaient en nous que les successeurs et les continuateurs des deys d'Alger dont l'activité politique ne s'était jamais tourné de leur côté. Elles étaient du reste rassurées par la présence, entre elles et nous, de cette principauté héréditaire des Ouled-Sidi-Chikh que nous semblions respecter dans son intégralité et dont le prestige reli

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