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riers de nos nomades, à transformer notre Sud en un immense camp et à recommencer tous les cinq ou six ans ces ruineuses et stériles expéditions.

Nous devons donc, quant à présent, rester sur la défensive et travailler à nous créer des moyens d'action plus pratiques et plus efficaces.

S'il nous faut faire de grosses dépenses de ce côté, au moins que ce soient des dépenses productives.

Avant tout, il s'agit d'ètre d'une façon permanente les plus forts sur notre territoire saharien et d'avoir une organisation de nos zones frontières qui les mette à l'abri des incursions et des pillages périodiques de nos ennemis.

Ici nous pouvons et nous devons agir sans hésitation: en assurant le présent nous travaillons pour l'avenir.

Nous avons vu que trois grands thalwegs qui correspondent à des lignes d'eau apparentes ou souterraines et parfois à des chapelets d'oasis offraient à nos ennemis des routes faciles à travers les Areg.

Nous ne sommes maîtres d'aucune de ces routes, mais bien en arrière de leur entrée sur notre territoire nous en fermons les débouchés par la possession défectueuse du Souf, de Ouargla et du Mzab.

Le Souf couvre bien notre frontière sud-est : grâce à la situation, très haut vers le nord, de ses ksours que les Areg protègent au sud; grâce surtout au bon esprit et à l'organisation traditionnelle de cette confédération berbère des Souafa. Là, en effet, nous n'avons ni ces nomades pillards et néfastes que l'on rencontre dans presque tout le Sahara, ni ces Ksouriens malheureux et tenus dans une sorte de servage dégradant. Les éléments ethnographiques, d'ailleurs d'origines peu différentes, se sont tout à fait fondus, le Berber a absorbé le Sémite et tout le monde ou à peu près est, à tour de rôle, nomade ou ksourien. Selon l'état de sécurité des Areg algériens qui s'étendent jusqu'aux portes de Ghadamès et ont dans cette direction plus de 300 kilomètres de lar

geur, chaque famille ou chaque groupe doit fournir en personne ou en argent un ou plusieurs hommes de goum, gardes nomades ou pasteurs armés, chargés d'éclairer les environs des pâturages et de protéger les troupeaux.

Ces gens, ainsi mobilisés, sont encore désignés sous le nom de Troud, nom d'une ancienne tribu du pays qui vécut longtemps d'une vie distincte, exclusivement pastorale et guerrière, mais qui, peu à peu, s'est fondue en se mélangeant par des mariages et des associations agricoles ou commerciales avec les négociants et cultivateurs des divers villes et villages.

Ce service armé est très en honneur mais il ne détourne les Souafa ni du négoce ni du jardinage qui restent leurs métiers de prédilection.

Au Souf, tout le monde travaille; les moins fortunés qui ne trouvent pas à s'employer comme goumiers entretenus, caravaniers ou jardiniers, s'en vont dans nos villes du département de Constantine s'offrir comme hommes de peine, portefaix, garçons de bureau, etc. En ce pays, extrêmement curieux à tous égards, les influences religieuses ne nous sont pas hostiles: les Souafa ne sont guère affiliés qu'à des ordres religieux algériens et ils apprécient surtout cette affiliation comme un moyen facilitant, en dehors de la confédération, leur crédit commercial ou la protection de leurs voyageurs.

Là, la propagande snoussienne se brise contre le caractère jovial et expansif des habitants, contre leurs aptitudes commerciales, contre leurs habitudes de bien-être et leur désir de progrès. Certes, les Souafa ne sont pas des gens plus vertueux que d'autres; ils ont des passions très ardentes, des soff locaux très vivaces, une ténacité qui parfois dégénère en entêtement, mais ils ont l'esprit ouvert, ils apprécient notre civilisation, et, quand il y a deux ans, le gouverneur général, M. Tirman, visita leurs oasis, ils ne lui demandèrent guère que des écoles où ils pussent apprendre le français.

Nous n'avons pas hésité à nous arrêter un instant sur cette population si intéressante, parce qu'elle nous montre ce que pourraient être ailleurs les groupes sahariens, quand nous aurons réussi à amener la fusion des nomades et des sédentaires en favorisant la prééminence de l'élément berbère et en donnant à la propriété, au commerce et aux pâturages sahariens les garanties permanentes de sécurité et de liberté d'allure qui font encore défaut sous notre autorité plus nominale qu'effective.

Immédiatement après la confédération du Souf, en marchant vers l'Ouest, notre ligne de défense s'appuie sur Ouargla et sur les ksour qui, de cette ville, se succèdent presque sans interruption jusqu'à Biskra. Au nord de Ouargla nous sommes à peu près chez nous, et si bien chez nous que la colonisation s'est installée dans l'oued Ghir sous forme de compagnies agricoles créant des puits artésiens et de grandes plantations de palmiers. Mais, de Ouargla à Metlili ou mieux à l'oued Zergoun, notre frontière est ouverte et à peu près à la merci des rezzou touaregs et arabes. A Ouargla, notre installation militaire est trop défectueuse pour nous donner l'action extérieure qui nous est nécessaire. Au M'zab, il est vrai, notre installation est parfaite, et nous avons là un vaste camp retranché, d'un accès difficile, qui couvre bien le sud de Laghouat.

Mais cette installation, toute bonne quelle est, semble n'avoir eu pour objectif que l'annexion pacifique du M'zab; elle est impuissante à protéger les populations placées en avant de la confédération. Aussi, malgré l'occupation militaire de Ouargla et de Gardaïa, toutes les vallées de l'oued Mya et de ses affluents, comme celles de l'oued Igharghar en amont de Ouargla, restent sans défense possible contre les incursions des Touareg.

Nous avons bien de ce côté la confédération des

Chamba (1), nomades, sujets de la France, et reconnaissant notre autorité. Certes, les Chamba sont de rudes guerriers sahariens et ils ont contre les Touareg une terrible haine. C'est même cette hostilité plusieurs fois séculaire et ce voisinage dangereux qui les ont toujours ramenés sous notre autorité en dépit des puissantes influences qui les avaient entraînés contre nous en 1864. Puis aussi, les Chamba, bien qu'ils soient arrivés à restreindre singulièrement leurs besoins (2), ne peuvent se passer ni de ksour, ni de pâturages à l'abri des déprédations périodiques de leurs ennemis. Ils ont fortifié El-Goléa, Metlili et Ouargla moins en construisant des murailles qu'en comblant les puits qui jalonnent leurs routes vers le Sud et dont l'espacement s'oppose, aujourd'hui, en partie, à l'enlèvement des troupeaux campés au Nord. Mais les Chamba savent ces ksours et ces pâturages à notre discrétion; ils ont de plus besoin de nos marchés et de nos denrées du Tell, aussi apprécient-ils plus qu'on ne le croit l'autorité de la France.

Leurs sympathies pour nous ne sont cependant pas sans de nombreuses réserves: nous leur avons interdit le commerce des esclaves sur notre territoire, nous les empêchons (le plus que nous pouvons) de molester les ksouriens de la banlieue de Ouargla, nous leur défendons de rançonner nos nomades de l'oued Ghir ou de l'oued Djeddi, qui sans nous seraient pour eux une proie facile. Enfin, nous ne savons ni les aider à battre les Touareg, ni même les protéger contre les incursions de ces voisins incommodes et pillards qui constamment les harcellent, les razzent et les battent.

Aussi lorsque de nombreuses incursions ont trop

(1) Cette confédération passe pour avoir été organisée à la fin du XVIIe siècle par Sid El-Hadj bou Hafs (1654-1660), fils du grand Sidi-Chikh et ancêtre des familles des Zoua-Chéraga des Ouled-SidiChikh. Cette tradition explique pourquoi les Chamba sont les serviteurs religieux de la descendance de Sid El-Hadj bou Hafs.

(2) Voir Coyne, Une ghazzia dans le Grand Sahara.

éprouvé les Chamba ou lorsque quelque intrigant a surexcité leurs cerveaux naturellement exaltés, ils se persuadent facilement que ce sont eux qui nous protègent et nous éclairent au Mzab ou à Ouargla et que nous sommes impuissants à les défendre efficacement: alors les Touareg sont plus craints que nous ne sommes obéis. Aussi, nos sujets les ménagent et ils ont avec eux d'incessants compromis. Nous en avons vu un terrible exemple lors de la mission Flatters: quand les guides chamba ont vu le colonel décidé à ne pas prendre une attitude hostile et à ne pas faire usage de sa force et de ses armes contre les Touareg dont la trahison lui était annoncée, ceux-là mêmes des Chamba qui l'avaient prévenu ont été les premiers à se ranger du côté des assassins dont le succès était, dès lors, certain.

En réalité les Chamba ne seront réellement entre nos mains et dévoués à notre cause que lorsque nous aurons les moyens de fermer aux Touareg la route de Ouargla, de Metlili et d'El-Goléa. Ce qui ne peut se faire qu'en tenant la tête de l'oued Mya, c'est-à-dire le Tademaït, près et contre les ksour d'Insalah, le pays même où vient d'être assassiné Marcel Palat.

El-Goléa est bien à nous, mais si peu ! Sur la carte il semble un bon point stratégique et il le serait en effet s'il était facilement et rapidement accessible à nos colonnes, cependant Haci Inifel vaudrait peut-être mieux. Aujourd'hui on compte le nombre de fois où des officiers et soldats français ont fait ce voyage difficile et dispendieux. Quand nous y venons, tous les 2 ou 3 ans, nous sommes parfaitement accueillis par les Ksouriens et les Chamba; notre drapeau flotte sur la Casbah pittoresque du ksar; on ne voit pas d'ennemi aux environs, les Touareg ont disparu.

Mais quand nous avons fait demi-tour et que quelques myriamètres, péniblement faits vers le nord avec notre lourd convoi, nous ont fait perdre de vue notre dernier ksar du sud, les Touareg se rapprochent et les

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