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« Atlas, par exemple, est exilé aux confins de la terre, près des Hespérides à la voix sonore, et, par une dure nécessité, est forcé de porter debout le ciel sur sa tête » et sur ses mains infatigables. C'est la peine à laquelle » le prudent Dzeus l'a condamné (1). »

La grande préoccupation du Roi des Dieux était d'échapper au sort de son aïeul et de son père. Le Destin avait décidé que la première fille qui naîtrait de Dzeus, Athéné Tritogénie, aux yeux vert de mer, aurait une force et une prudence égales à celles de son père, et qu'elle enfanterait un fils au cœur superbe qui deviendrait le Roi des Dieux et des Hommes. Dzeus avait épousé Métis (la Prudence), laquelle avait conçu Athéné; pour rompre les arrêts du Destin et empêcher qu'Athéné ne fût la première née de ses enfants, Dzeus, renouvelant d'une certaine façon la conduite de Xpovos, empècha Athéné de voir le jour en l'enfermant dans son sein, et, plus tard, dans sa tête. Après quoi, il épousa plusieurs femmes dont il eut des enfants. Ce ne fut que plus tard, quand Tritogénie ne fut plus l'aînée, qu'il la tira de sa tète et lui permit de voir le jour (2).

Le Roi des Dieux eut encore bien d'autres dangers à courir; le premier lui vint de l'Ouragan (Tʊpav), qui tenta de le détrôner par force; mais Dzeus le foudroya et le précipita dans le Tartare.

Plus tard sa propre fille Athéné, sa femme Junon, son frère Neptune conjurèrent contre lui: ils se jetèrent sur lui et le chargèrent de liens. Sans Thétis la révolution était accomplie; mais cette déesse appela au secours du Roi le géant Briarée aux cinquante mains. Celui-ci vint se poster auprès de Jupiter et le délia. Les conjurés

(1) Théog., 507.

On lit aussi (vers 746): « Devant les portes

» du Tartare le fils de Japet, debout, porte le large ciel fermement » sur sa tète et sur ses mains infatigables.... Là, dit-il ailleurs, » sont les sources et les limites de la terre.

(2) Theog., 924.

n'osant lutter contre ce monstrueux adversaire firent leur soumission.

Cette aventure décida pourtant le Roi des Dieux et des hommes à partager le pouvoir avec les divinités de l'Olympe; il divisa entre elles la direction des grandes forces de la nature et la domination sur les différentes parties de la terre et des enfers.

Ce long exposé que nous venons de faire ici du règne imaginaire de Dzeus a eu pour but de bien fixer les physionomies originelles du dieu Atlas et de la déesse Tritogénie, physionomies que nous retrouverons plus tard si singulièrement altérées en Libye.

Le poète, pas plus d'ailleurs que celui de l'Iliade, ne prend la peine d'expliquer le sens réel de ce nom de Tritogénie qu'il donne à Minerve. Rien ne permet de supposer dans ses paroles qu'il ait songé à rapprocher ce nom de celui de Triton.

Ce n'est pas qu'il ait ignoré celui-ci. Il connaît, au contraire, un dieu marin de ce nom. « D'Amphytrite et » de Neptune, nous dit-il, naquit le puissant, l'immense » Triton qui supporte le fond de la mer. C'est un dieu » cruel qui réside dans un palais d'or auprès de sa mère » chérie et de son père, le souverain des eaux (1). ›

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Après avoir donné la généalogie de plusieurs Dieux dont l'histoire n'intéresse pas la Libye, le poète passe aux déesses qui ont eu de leur commerce avec les hommes des enfants semblables aux Dieux. Nous n'avons à signaler parmi elles que :

1° « L'Aurore qui enfanta de Tython, Memnon aux » armes d'airain, le Roi des Éthiopiens (2).

2o Et Circé, fille du Soleil, qui eut d'Ulysse: Agrios, » Latinus et Télégone; ceux-ci demeurent fort au loin,

(1) Théog., 930. (2) Théog., 985.

» au fond des Iles Sacrées et y commandent à tous les » Tyrrhéniens, peuple dont le nom est célèbre (1).

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On voit par le premier de ces deux passages que le poète a eu ici en vue ces Éthiopiens d'Orient dont avait parlé Homère. Ce peuple, en effet, sur lequel régnait un fils de l'Aurore, ne pouvait exister qu'au soleil levant. De plus, il ne pouvait se trouver bien loin dans l'Est, puisque ce Memnon, fils de l'Aurore, avait, au dire d'Homère, porté secours à Priam, et, après avoir tué Antiloque fils de Nestor (2), avait à son tour été mis à mort par Achille (3).

Le deuxième passage, s'il n'est pas une interpolation postérieure, nous révèle que le poète avait une connaissance vague du peuple latin et de la nation des Tyrrhéniens. Cette dernière notion était d'ailleurs peu précise, puisqu'elle faisait de ces peuples des insulaires. Il y a lieu de remarquer aussi la première mention de ces pays sacrés, dont l'imaginaire existence gênera si longtemps la géographie des pays d'Occident.

VII

Nous voici, enfin, arrivés à la limite chronologique que nous nous étions assignée. Peut-être aurions-nous pu comprendre, dans les poèmes de la première période, une quantité d'extraits provenant d'oeuvres dont la haute antiquité n'est pas contestée. Mais ceux que nous avons cités suffisent à l'objet de cet article.

(1) Thẻog, 1015.

(2) od 186. — « L'irréprochable Antiloque qu'immola l'illustre fils de la brillante Aurore. »

Οδ λ 522. « Neoptolème est le plus beau des hommes que j'aie vu après le divin Memnon. >>

(3) Du reste, outre Memnon, le poète donne à l'Aurore un autre fils nommé Hématbyon, qui représente évidemment les Thraces. Or, ceux-ci ne s'avançaient guère au delà du Saggarios.

Bientôt l'horizon des Grecs va s'élargir les Phéniciens, qui jusqu'alors luttaient avec succès pour empêcher leurs rivaux de dépasser les limites de la mer Égée, sont rappelés dans leur demeure par des dangers plus sérieux et plus pressants. Les Rois d'Assyrie se sont montrés dans leur pays et menacent leurs principales villes (720). En 702, Sennachérib, Roi de Ninive (1), s'empare de Tyr et lui impose un tribut qu'elle paie pendant trois générations, jusqu'en 640.

Profitant de ces embarras, des émigrés Théréens débarquent, en 639, dans la petite île libyenne de Platée et fondent, quelques années après (632), la ville célèbre de Kyrène. En même temps le samien Colous, emporté par une série de tempêtes venues de l'Est, est poussé jusqu'au détroit de Tartesse; il le dépasse même, et, à son retour, rapporte à la Grèce les premières notions qu'elle ait eues jamais sur ces régions éloignées. Ces notions, d'ailleurs, restent isolées: Carthage, en effet, qui ne craint rien des Assyriens, continue à défendre, avec un soin jaloux, le monopole commercial qu'elle possède sur la mer occidentale, et ses croiseurs coulent bas sans pitié tout navire étranger qu'ils rencontrent dans ces parages.

Mais les courses des Grecs dans l'Est sont plus fructueuses pour leur nation et pour la science. En 672, une bande de pillards Cariens et Ioniens apparaît en Égypte. Le Roi Psemtek Ier, qui disputait à des compétiteurs les domaines du Nil-Inférieur, prend ces pirates à son service. A l'aide de ces intrépides aventuriers, que leur

(1) Depuis 150 ans déjà les rois Ninivites s'étaient montrés en Syrie et avaient forcé de temps à autre les rois de Damas et d'Israël à se reconnaître leurs vassaux; mais ce ne fut qu'après 720, date de la ruine de Samarie, qu'ils menacèrent bien sérieusement les villes de la côte. En 702, Tyr, Arad, Byblos, Ashad et bien d'autres durent reconnaître l'autorité de Sennacherib, dont le fils Assaréhiddin conquit, en 672, l'Égypte dont il légua la souveraineté à son fils, Assour-ban-Habal. Assour-ben-Habal perdit ce royaume à la fin de son règne, vers 650.

courage, bien plus que leurs armures de bronze, rendaient invincibles pour les guerriers dégénérés du Delta, Psemtek triomphe de ses rivaux et se maintient contre les conquérants Ninivites. Il autorise ses auxiliaires à s'établir auprès de Bubaste. Dès lors, les Rois Égyptiens auront toujours dans leurs armées des mercenaires de race grecque. Avant peu, ceux-ci auront l'occasion de rencontrer dans l'entourage des Rois, des princes et des chefs de Machouach, bon nombre d'esclaves nègres amenés des contrées du Haut-Nil, et les assimileront tout naturellement aux Éthiopiens de leurs légendes nationales.

A partir de cette expansion de la race grecque, tous les mythes, que nous avons énumérés plus haut et beaucoup d'autres, quittent successivement la Grèce, leur patrie, et, selon le caprice des poètes nés dans les colonies helléniques, vont s'établir dans les pays nouvellement connus. Mais ces immigrations ne doivent pas nous tromper. Si anciens qu'on connaisse ces mythes dans ces régions éloignées, ils n'en sont pas originaires : ils n'ont qu'une patrie, la seule et la même pour tous, c'est-à-dire la Grèce.

La conclusion de cet article se tire d'elle-même. C'est qu'il faut absolument expulser de toute carte positive de la Libye ancienne, les pays des Phéaciens, des Éthiopiens, des Lotophages, des Bienheureux, des Pygmées, des Amazones, des Gorgones et des Hespérides, l'ile d'Érythie, l'Océan, ainsi que toute mention d'Hercule, de Géryon, d'Atlas, de l'Atlantide, de Persée, de Tritogénie et de Triton.

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