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Quant aux Lotophages, il est aisé de remarquer qu'au moment où le poète fait entrer ce mythe dans son récit, il n'en sait plus la véritable signification. Il n'y voit plus qu'un peuple mangeant un fruit donnant l'oubli; la visite que lui fait Ulysse n'est plus qu'une simple aventure de voyages. Mais, dans l'origine, cette légende a dû avoir une physionomie funéraire. Le mot ATOσ a une ressemblance visible avec les mots lethum, mort, latere, se cacher, disparaître, Autw, déesse des ténèbres inférieures, av, se dérober, stat, oublier, inon, oubli. On ne peut douter que le ros ne fût une nourriture qui donnait l'oubli au même titre que l'eau du Anon, le fleuve infernal. Cette nourriture et cette boisson procuraient la mort (lethum), en opposition avec l'ambroisie et le nectar, nourriture, boisson et lotion qui éloignaient la corruption des chairs.

Quoi qu'il en soit, notre poète n'y a vu qu'un fruit doux comme le miel (1), et ses commentateurs, par la suite, n'y ont pas cherché autre chose.

à Ulysse, car nous les touchons de près, aussi bien que les Kyclopes et les tribus farouches des Géants. »

od 204. — « Nous demeurons à part, les plus éloignés qui soient sur la mer fluctueuse, et aucun autre des vivants n'a commerce avec

nous. >>

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on 321. « On t'y conduira, dusses-tu aller bien au delà d'Eubée. Or, c'est un pays fort éloigné, à ce que rapportent certains de nos Phéaciens qui l'ont visité, en y conduisant le blond Rhadamanthe allant voir Tityos, le fils de la terre. Ils accomplirent sans peine ce trajet en un jour et le ramenèrent ensuite en sa demeure. Toi même tu reconnaîtras combien nos vaisseaux sont rapides.

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of 0 557. - — « Nos vaisseaux n'ont pas besoin de pilotes ; ils savent les pensées et les désirs des hommes. »

(1) od. l. 90. —(Ulysse débarque sur une terre inconnue et envoie deux des siens à la découverte) : « Ceux-ci arrivèrent chez les Loto› phages et se mêlèrent à eux. Ces étrangers ne méditaient pas la mort de nos compagnons, mais ils leur donnèrent à manger du lotos. Or, celui qui a goûté du fruit du lotos, doux comme le miel, » ne veut plus revenir sur ses pas pour rapporter des nouvelles et

II

Une génération environ après la composition de cette Odyssée primitive (1200), les Doriens de l'Olympe se portèrent sur le Péloponnèse, sous la conduite des Héraclides, et expulsèrent de ce pays les Achéens et les Ioniens. Ceux-ci émigrèrent en masse sur les côtes d'Asie. Ce fut là que, deux siècles après, naquit Homère, et qu'il composa une nouvelle Odyssée. Il s'empara, d'ailleurs des aventures attribuées par le poète Dorien à Ulysse; mais il n'hésita pas à en remanier la géographie, d'après les notions nouvelles qu'on possédait de son temps. La principale de ces altérations consista à rejeter dans les mers Occidentales les courses d'Ulysse, qui, dans l'épopée originale, représentaient une circumnavigation de la mer extérieure. Ce nouvel itinéraire, le seul qui ait été connu des commentateurs des temps plus modernes, a eu pour résultat de faire assimiler, à divers points de la Sicile et de l'Italie, les demeures imaginaires des Lestrygons, des Phéaciens et des Kyclopes, en même temps que les îles aussi peu réelles d'Ea, d'Ogygie et des Sirènes.

Dans le nouveau poème, les Lotophages restèrent seuls au Midi, non pas, il est vrai, qu'Homère les y ait placés avec précision, mais parce qu'au début de la tempête de dix jours qui fit perdre à la flotte d'Ulysse tout sentiment de sa position réelle, le poète avait mis en scène le vent Borée, éloignant le héros du cap Malée (1); cela

» reprendre la mer. Mes compagnons avaient résolu de rester avec » les Lotophages à y savourer le lotos et à oublier le retour (voTOV » TE λabiotai). Je les ramenai par force aux vaisseaux malgré leurs » cris. >>

(1) Đô. . 80. « Comme je doublais le cap Malée, les flots, le courant et le Borée me repoussèrent et m'emporterent loin de Cythère. De là, nous fùmes, pendant neuf jours, ballotés par des vents per

a suffi aux exégètes pour en conclure arbitrairement qu'à la fin de la tempête, Ulysse avait été jeté sur une côte du Midi.

La Libye était, d'ailleurs, connue d'Homère: il savait que c'était un canton voisin de l'Égypte et qu'elle s'étendait à l'Ouest au delà du méridien de la Crète. Il y voyait un pays de pasteurs, et n'ignorait pas que les Phéniciens de Tyr y faisaient le commerce. « Nous sommes allés » en Libye, fait-il dire à Ménélas; les agneaux y naissent » avec des cornes; les brebis y mettent bas trois fois » l'an. Là ni le maître, ni le berger ne manquent de fro» mage, ni de chair, ni de lait délectable; car, les brebis >> y fournissent sans cesse du lait à traire (1). » Ailleurs, mettant en scène Ulysse, le même poète nous montre ce héros menteur contant un voyage imaginaire, qu'il prétendait avoir fait dans cette direction : « J'étais en Égypte, » disait-il, quand un Phénicien habile en tromperies, >> fourbe insigne, qui avait déjà causé aux hommes bien » des maux, me décida à partir avec lui pour la Phénicie, » sa demeure....; là, il me fit monter sur un vaisseau » traversant la mer pour aller en Libye; il me disait » faussement que c'était pour y conduire ensemble une cargaison; mais, en réalité, il voulait m'y vendre et » tirer de moi un prix considérable. J'avais des soup»çons; je le suivis cependant la nécessité m'y forçait.... Quand nous eùmes dépassé la Crète, une tempête » éclata.... (2). »

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C'est à ces renseignements exacts à la fois et vagues que se bornent les connaissances d'Homère. On voit qu'il ne les tient que de troisième ou de quatrième main; car, dès qu'il veut préciser, il perd son exactitude. C'est ainsi qu'il place à une journée maritime de l'Égypte l'ile

nicieux sur la mer poissonneuse. Le dixième jour seulement nous abordâmes à la terre des Lotophages. »>

(1) 08. d. 8.

(2) o6. . 285.

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de Pharos, qui n'en est réellement qu'à un petit nombre d'encablures (1).

Homère parle aussi des Éthiopiens; mais l'on aurait tort d'y reconnaître les nègres africains. Il ne met pas du tout les Éthiopiens en Libye; tout montre, au contraire (la place géographique qu'il leur attribue et le nom qu'il leur applique), que la Grèce ne connaissait pas réellement, à cette époque, de peuples noirs, et que leur existence présumée était une simple hypothèse seulement basée sur certaines déductions scientifiques. Homère, en effet, croyait que la Terre était un disque de peu d'étendue sur les bords duquel s'ouvraient deux lacs, l'un dans l'Est, l'autre dans l'Ouest. Le soleil, d'après lui, s'élançait du lac d'Orient (2), s'élevait en courbe jusqu'au-dessus de Syros, l'une des Cyclades (3), et de là, changeant de direction, redescendait vers l'autre bord de la terre pour s'y plonger dans le lac d'Occident (4).

Le résultat naturel de ce système scientifique, c'était que les deux groupes d'hommes, qui touchaient à ces deux lacs, devaient forcément avoir le visage brûlé par les feux du soleil, au moment où celui-ci passait à leur proximité. Sur cette supposition, on donna à ces peuples un nom grec qui indiquait cette circonstance. Ce nom fut celui d'Ao (visage brûlé), formé de A et de if, aspect, visage (5).

(1) იà. ბ. 354.

(2) 08. 7. 1. - «Le soleil, ayant quitté son lac d'une admirable beauté, s'élança vers le ciel tout d'airain pour éclairer les Immortels et les mortels répandus sur la terre féconde. »

(3) 08. o. 403. – — « Il est une ile nommée Syros où se produisent les changements de direction du soleil. » (όθι τροπαι Ήλιοιο).

(4) Eschyle. (Prométhée délivré) « Voici le bassin sacré, à la surface pourprée, de la mer Érythrée. Voici le lac aux ondes fulgurantes, nourricier de mille êtres, le lac des Éthiopiens, où le soleil qui voit tout, baigne chaque fois son corps immortel et délasse, dans les chauds bas-fonds d'une eau douce, ses coursiers fatigués. (5) 08. x. 22. Cependant Neptune se rendait chez les Éthio

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Il ne semble pas que cette donnée fùt nouvelle à l'époque d'Homère; car tout semble prouver que ce poète croyait personnellement à l'existence des Éthiopiens d'Orient et d'Occident. En effet, il mentionnait ceux de l'Est à proximité des peuples de la Phénicie. « J'ai » visité, faisait-il dire à Ménélas, Cypre et la Phénicie; » nous sommes allés chez les Éthiopiens, les Sidoniens, » les Érembes et dans la Libye (1). »

Je viens de dire que ces peuples au visage brûlé étaient purement imaginaires: je n'ignore pas cependant qu'une école toute moderne a voulu voir dans les Éthiopiens de l'Odyssée les peuples Kouchites de la Susiane qui avaient, en effet, le teint bronzé; mais cette concordance est due simplement au hasard, lequel, en géographie, a donné assez souvent aux hypothèses les plus hasardées des confirmations inattendues. Cette école n'a pas suffisamment réfléchi que, puisque l'auteur de l'Iliade ne connaissait rien au delà de la côte occidentale de l'AsieMineure, et puisqu'au delà du fleuve Saggarios, si voisin de Troie pourtant, il ne pouvait nommer que les légendaires Amazones, et n'avait aucune notion des Arméniens, des Chaldéens, des Assyriens et des Babyloniens, à plus forte raison Homère, son prédécesseur, ne pouvait rien savoir des peuples du pays de Suze.

Parmi les personnages qu'Homère fait figurer dans son poème, nous devons citer Atlas dont il a probablement pris la notion au poème Dorien dont nous avons parlé plus haut. Voici d'ailleurs ce qu'il en dit : « Calypso est la fille d'Atlas aux projets malveillants, qui voit les fonds de toute la mer et supporte les Grandes Colonnes soutenant des deux parts et la Terre et le Ciel (2). » (On

piens qui demeurent au loin. Ces Éthiopiens sont divisés en deux peuples qui sont les plus reculés de tous, les uns demeurant là où se couche Hyperion, les autres là où il se lève. Le Dieu y allait recevoir une hécatombe de bœufs et de brebis. >

(1) 08. §. 38.

(2) 08. a. 52.

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