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oasis essayèrent de s'y opposer pour ne point être compromis, Bou-Griba se réfugia dans la maison du mokaddem de l'endroit el appela à lui les fanatiques du village.

Avant que ces faits ne fussent connus à Biskra, quelques tentes des Lakhadar du Sud, dont le nombre augmenta bientôt jusqu'à cinquante, pénétrèrent dans nos jardins de l'oasis, s'y retranchèrent, y crénelèrent les murs et appelèrent à eux les partisans de Si Saddok. Ce fait devient le signal de la révolte.

Afin de prendre les mesures nécessaires pour comprimer l'insurrection, maintenir les tribus nomades et les oasis, le général Gastu, chef de la province, autorisa le général Desvaux, commandant à Batna, à se porter avec la cavalerie dont il disposait sur le théâtre des événements. Quelques escarmouches avaient eu lieu entre les goums du Kaïd-ben-Chennouf et les rebelles dont le nombre augmentait. Le marabout, renseigné par les émissaires qu'il entretenait dans toutes les directions, répandit alors fort habilement le bruit que des événements sérieux appelaient toutes nos forces chez les tribus en révolte de la Kabylie orientale, qu'il nous était impossible d'envoyer des renforts dans le Sud, et que le moment d'agir vigoureusement était arrivé. Ces nouvelles ébranlèrent bien vite les fractions qui hésitaient encore.

La colonne expéditionnaire de Kabylie avait heureusement terminé ses opérations et, dès le 19 décembre, après un repos bien nécessaire à des troupes qui, pendant près d'un mois, venaient de subir des pluies torrentielles dans cette contrée difficile, le général Gastu dirigeait sur Biskra trois bataillons et un escadron, ce qui allait porter à quatre bataillons et quatre escadrons les forces du général Desvaux devant Mechounech.

Le général Desvaux attaquait les rassemblements ennemis dans ses retranchements de la montagne et les dispersait en leur faisant éprouver de grandes pertes. Quant au marabout Si Sadok, poursuivi activement par nos goums sous la conduite du caïd Si El-Mihoub-ben-Chennouf, après avoir vainement cherché à gagner le Sud par la vallée de l'Oued-el-Arab, il dut se rendre le 19 janvier. Le 20, il était ramené, avec quatre-vingt-huit prisonniers de sa famille ou ses serviteurs, au camp du général

Desvaux, établi à El-Ksar. La prise de Si Sadok termina cette insurrection.

Celle provoquée par Bou-Khentach, en 1860, faillit être plus grave. C'est dans la fraction des Oulad-Sidi-Rahab, marabouts des Oulad-Derradj, qu'un homme fort obscur jusqu'alors se révéla tout à coup. Ces marabouts, appelés Oulad-Sidi-Rahab ou Braktia, différaient par leurs mœurs et leurs usages de ce que sont d'habitude les gens de cette caste : ils mortaient à cheval et passaient autrefois pour les gens les plus belliqueux du Hodna. Ils avaient figuré dans toutes les guerres, leur valeur était passée en proverbe et depuis notre installation dans le Sud, ehaque fois qu'un goum avait été attaché à nos expéditions, les cavaliers des Rahab s'étaient toujours faits remarquer par leur entrain et leur bravoure.

Il y a un peu plus d'un demi siècle un vieillard de cette tribu, nommé Si Mohammed-bou-Sidi-Barkat, se voyant à l'article de la mort fit placer sa tente en dehors du douar qu'il habitait, convoqua ses enfants et leur dit :

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Éloignez-vous et laissez-moi seul. Si cependant la nuit, ajouta-t-il, un cliqueté d'armes, un bruit de chevaux venaient » à frapper vos oreilles, gardez-vous de vous déranger. Quand le jour sera venu, réunissez-vous à ma tente, car j'ai à vous faire une révélation importante. »

Le lendemain matin, ses fils s'étant rendus à son appel, il leur annonça qu'un jour viendrait où l'Algérie serait prise par les Français: Oui, mes enfants, le pays que vous habitez sera ⚫ envahi par l'infidèle! Dieu le veut. Soumettez-vous à ses arrêts. Mais le jour de la délivrance viendra. Avant qu'il n'arrive, il s'élevera de tous côtés des hommes se disant chérifs envoyés » de Dieu. Il en viendra de l'Est, il en viendra de l'Ouest. ▸ Gardez-vous de croire à leurs paroles, car ce seront tous des imposteurs. Ils chercheront à vous entraîner dans l'aîme; ne » les écoutez pas! Le vrai chérif viendra du Sous-el-Aksa (Maroc). Sa mosquée, dont les murs sont déjà hors de terre, » se dégagera insensiblement du sable qui l'entoure. Quand elle

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sera toute entière au-dessus du sol, il en sortira un chérif. Ce ⚫ sera le vrai; ce sera celui qui délivrera la terre de nos ⚫ ancêtres du joug du Chrétien! Quant à moi, je vais vous

quitter, mais je serai toujours au milieu de vous. Quand l'heure de la délivrance sonnera vous me verrez apparaître à » côté du vrai chérif; mon épaule touchera la sienne. Son armée ⚫ sera précédée par celle d'un saint homme qui sortira de la fraction des Oulad-Sidi-Rahab. Cet homme sera son khalifa. • Vous pourrez ajouter foi à ses paroles ! .

Après ce discours, Si Mohammed-ben-Sidi-Barkat donna à ses enfants le signe auquel ils pourraient reconnaître cet homme des Oulad-Sidi-Rahab qu'il leur annonçait, et il expira. Ce signe les descendants de Si Mohammed ne l'avaient jamais révélé. Les Oulad-Sidi-Rahab étaient une petite fraction de vingt-deux tentes. C'étaient des marabouts qui ne faisaient partie d'aucun ordre, d'aucune corporation religieuse, mais dont la réputation de sainteté s'étendait au loin.

En 1844, le général duc d'Aumale pénétrait avec sa colonne dans les montagnes des Oulad-Soultan. Un homme des SidiRabab, nommé Si Ahmed-ben-Si-Yahia, s'annonça par des actes de folie. Cette nouvelle se répandit rapidement. Les Braklia en entendirent parler et se figurèrent que c'était l'envoyé prédit par leur aïeul. Ils montèrent à cheval et allèrent s'assurer du fait. Mals à peine eurent-ils examiné la figure de l'illuminé Si Ahmed qu'ils s'éloignèrent de sa tente en disant aux populations que cet homme était un imposteur. Si Ahmed était vieux et le véritable envoyé, parait-il, devait être jeune, faible, maladif et n'ayant que des alternatives de santé. L'affaire, qui aurait pu devenir grave à ce moment, en resta là. On cessa de s'occuper de Si Ahmed et les visites que lui faisaient les fanatiques cessèrent d'elles-mêmes, son prestige naissant était tombé. Une parole des Braklia eût suffi alors pour enflammer les populations crédules, une parole de leur part suffit pour faire renaître le calme dans les esprits.

Vers le 10 mars 1860, le cheikh Bibi des Oulad-Amor allait à Batna et avertissait qu'un homme des Oulad-Sidi-Rahab, du nom

de Si Mohammed-ben-bou-Khentach, s'annonçait comme envoyé du chérif du Sous-el-Aksa. Le cheihk disait que le nombre des visiteurs élait grand, qu'il augmentait tous les jours et ne dissimula pas son inquiétude. Enfin, Bibi ajouta que dans les réunions, qui se succédaient sans interruption le jour et la nuit, on parlait du Djahad, de la guerre sainte. Ces renseignements étaient bientôt confirmés de plusieurs côtés, et on apprenait qu'un nommé Si El-Arbi, bach adel des Oulad Sahnonn, et Si Ahmed-Bey, des Oulad Mansour, hommes très remuants, s'étaient installés aux côtés de Bou-Khentach, qu'ils ne le quittaient pas et qu'ils étaient ses conseillers intimes.

fit

Le colonel Pein, commandant la subdivision de Batna, immédiatement partir un officier des affaires arabes, afin de juger par lui-même la situation. Cet officier signalait bientôt qu'il n'y avait pas un instant à perdre pour empêcher la révolte naissante de se développer. Le colonel Pein, officier actif et résolu, sentait combien il était important de paraître promptement devant ce foyer de rébellion. Il n'hésita pas, et trois heures après la réception de l'avis du lieutenant du bureau arabe, il était en route pour Barika. Il emmenait avec lui deux escadrons du 8e chasseurs de France, un escadron de spahis et deux pièces d'artillerie. La petite colonne arrivait à Barika le lendemain soir, ne s'étant arrêtée que quatre heures pendant la nuit. Le lendemain, un bataillon de huit cents hommes devait la suivre. (zouaves, infanterie légère d'Afrique et tirailleurs).

A Barika tout confirma au colonel Pein ce que lui avait signalé son officier des affaires arabes; la situation devenait de plus en plus critique. Il est utile de parler ici de ce qui contribua le plus à persuader aux populations que Bou-Khentach était le véritable envoyé du vrai chérif du Sous-el-Aksa.

Un goum de quarante cavaliers des Braktia, en apprenant ce qui se passait chez les Oulad-Sidi-Rahab, était monté à cheval. Le gros de la troupe s'arrêta sur la limite des Oulad-Amor, et deux cavaliers seulement se dirigeaient secrètement vers la tente de Bou-Khentach où ils entraient. Après y avoir passé plusieurs heures, ils en ressortaient annonçant que Si Mohammed-benbou-Khentach était bien l'homme prédit par leurs ancêtres.

Tout le monde se rappela l'histoire du faux envoyé, Si Ahmedben-Yahia en 1844, et personne ne douta plus. Il est bon de remarquer que la maladie de Bou-Khentach datait précisément de seize ans, époque à laquelle avait disparu Ben-Yahia. Cette coincidence de dates ne prouvait-elle pas que quelques intrigants avaient depuis longtemps jeté les yeux sur ce jeune marabout et lui réservaient le rôle qu'ils faisaient jouer aujourd'hui ? Quoiqu'il en soit, le chérif recevait de toutes parts de nombreuses visites; il était parvenu à attirer à lui les personnages les plus influents: les tolba, les cadis, ceux qui par leur instruction et leur caractère religieux en imposaient aux masses, avaient embrassé sa cause. La fraction tout entière des Oulad-Mansour s'était jointe à lui; la fraction des Oulad-Zemira, son cheikh en tête, après avoir résisté au premier entraînement, venaient de faire défection. Toute la montagne qui sépare la plaine de Sétif de celle du Hodna était impressionnée; la tente de BouKhentach ne désemplissait pas; gens de la plaine, gens de la montagne accouraient à lui, apportant de considérables offrandes. La tribu des Oulad-Nedja n'obéissait plus, son kaïd ne rendait compte de rien, son cadi avait envoyé ses deux fils à la Zemala du chérif: l'un y fut plus tard tué, l'autre blessé. Le cadi des Oulad-Sahnoun s'était également joint aux rebelles. Enfin, le personnage le plus menaçant du Hodna, Si Chérif, ancien cadi, homme qui par son âge, ses lumières et son caractère inspirait partout la confiance. Si Chérif qui avait si longtemps été en rapports amicaux avec nous, qu'on avait consulté tant de fois dans les affaires difficiles, Si Chérif venait d'embrasser lui-même la cause de la révolte. Comment de tels exemples n'auraient-ils pas porté les masses à s'engager dans la même voie?

Ou le voit, tout se préparait pour une levée de boucliers. Tous les visiteurs sortaient de la tente de Bou-Khentach impressionnés par son air de sainteté; il conservait toujours une attitude recueillie, il passait souvent la main sur son visage pále et amaigri par la maladie, promenait lentement ses regards autour de lui et levait les yeux au ciel comme un homme inspiré. Il ne parlait presque jamais et ses seules paroles étaient celles-ci: Que celui qui veut être à moi me suive; que celui qui ne veut

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