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Les observations de M. Metchnikoff viennent encore à l'appui des conclusions qui ressortent des faits précédents.

Dans un mémoire sur les Négritos, inséré dans le premier volume de la Revue d'anthropologie, 1872, j'ai montré qu'un crâne japonais de la collection Broca présentait les caractères essentiels de la race négrito atténués seulement par le métissage. Ce fait anatomique, rapproché des détails donnés par les anciens auteurs cités plus haut, met hors de doute l'ancienne existence au Japon d'un élément nègre. Toutefois, celui-ci paraît être le plus atténué de tous. Remarquons qu'il reparaît peut-être moins effacé dans l'archipel des Liou-tchou, à en juger par quelques-uns des détails donnés par Basil Hall et ses compagnons de voyage.

M. Metchnikoff paraît admettre l'introduction de l'élément Jaune au Japon, au moins à deux époques différentes, dont l'une serait antérieure à l'arrivée des Chinois dans ces iles. Le fait est possible; mais, en tout cas, nous savons que, lorsque le Japon demanda à la Chine ses lettrés et d'autres éléments de civilisation, une grande émigration dut avoir lieu, et la trace du sang chinois se retrouve naturellement dans la population. Les portraits recueillis par MM. Fah et Green, et ce que nous pouvons souvent constater par nous-mêmes. ne peuvent laisser de doute à cet égard.

Mais les mêmes moyens d'investigation révèlent non moins sûrement la présence d'un élément blanc. Celui-ci apparaît parfois avec des caractères de pureté remarquables. Je ne puis considérer comme présentant ce cachet le portrait du prin cede Satsouma que vient de nous présenter M. Metchnikoff. Chez lui, l'œil oblique, la lèvre épaisse accusent un mélange de Chinois. Autant qu'on peut en juger sur une photographie, sa physionomie ne saurait être très mobile.

Le type blanc pur se retrouvait bien mieux dans le troisième ambassadeur de la première ambassade venue à Paris. Ici, tous les traits étaient d'un Blanc; et, en particulier, les yeux étaient parfaitement horizontaux, les lèvres minces et très mobiles. J'ajouterai que, par la vivacité et la grâce de ses

manières, ce jeune homme, appartenant à une des plus anciennes familles du Japon, rappelait tout ce qu'on nous dit des gentilshommes du siècle dernier.

L'existence des trois types une fois constatée, on doit se demander d'où ils ont pu venir au Japon.

En ce qui touche l'élément noir, nous savons, à n'en pouvoir douter, que la grande formation négrito s'étendait depuis les Andamans jusqu'aux extrémités du territoire des archipels malais. Nous le retrouvons aux Liou-tehou. Il n'y a rien que de fort simple à le voir arriver jusqu'au Japon.

Nous avons vu comment l'histoire, relativement récente, suffirait pour expliquer la présence au Japon de l'élément jaune.

Quant à l'élément blanc, il est de deux sortes.

Les Aïnos ont été au Japon les premiers représentants de cet élément. Ils occupaient autrefois une aire bien plus étendue que de nos jours. C'est peut-être à ce type que se rattachent les hommes pithécomorphes vus à Sumatra par Rienzi. En tous cas, il est évident qu'ils dominaient au Japon. Le méde cin de l'ambassade dont j'ai parlé plus haut, avec lequel j'ai pu causer par l'intermédiaire de M. de Rosny, n'hésitait pas à affirmer qu'ils avaient autrefois occupé l'archipel entier. Un de nos médecins de la marine, dont je regrette vivement d'avoir oublié le nom, me disait récemment avoir vu des Aïnos purs ou métis dans tout le nord-ouest des côtes japonaises. D'autre part, cet élément se trouvait et existe encore probablement bien peu mélangé au sud du Japon. Dans un mémoire qui vient de paraître (Voyages de Moncatch Apé annotés par M. de Quatrefages), j'ai montré que cette race se retrouvait aux Liou-tchou. Ainsi s'explique la présence dans ces îles et au Japon d'hommes remarquables par leur teint clair et le développement de la barbe, signalé par divers voyageurs.

Mais un autre élément fort différent, quoique également blanc, est venu se mêler au précédent. C'est celui qui, parti de l'ile Bouro et des îles voisines, a conquis toute la Polynésie

à l'est, s'est répandu dans diverses îles et archipels en tous sens; qui a été rencontré aux Philippines par la Gironnière; qui vient d'être retrouvé à Mindanao par M. Montano. C'est à cet élément, toujours plus ou moins glabre, que je reporterai les types supérieurs que j'indiquais plus haut. C'est bien probablement lui qui, sous la conduite de Zin-Mou, fit la conquête du Japon sur les Aïnos.

Ce conquérant était certainement étranger. On a dit qu'il venait de la Chine. C'est certainement une erreur. L'origine blanche de ce guerrier et de ses compagnons est attestée par les caractères physiques de leurs descendants. Elle l'est encore par la prétention qu'avait Zin-Mou de descendre par son père des dieux terrestres, par sa mère des dieux de la mer. Jamais un Chinois ne s'est attribué une origine divine. On sait, au contraire, que les chefs polynésiens, de nos jours encore, affirment non seulement être fils des dieux, mais être dieux eux-mêmes.

M. Metchnikoff a appuyé quelques-unes de ses opinions sur l'interprétation des légendes mythologiques du Japon; mais je tiens à faire remarquer qu'avec Zin-Mou nous entrons en réalité en pleins temps historiques. La conquête de l'archipel japonais par ce guerrier et ses compagnons ne se perd pas dans la nuit des temps, puisqu'elle eut lieu vers le milieu du septième siècle avant notre ère (667, d'après M. de Jancigny).

En résumé, il me paraît aujourd'hui démontré que la population japonaise comprend :

1° Un élément noir du type négrito, aujourd'hui probablement à peu près entièrement fusionné ;

2° Un élément jaune venu, selon toute apparence, en majeure partie de la Chine et toujours bien reconnaissable; 3o Un élément blanc aïno, représentant la population qui occupait l'archipel à l'époque de la conquête;

4o Un élément blanc indonésien, qui effectua cette conquête et qui se retrouve parfois à l'état de pureté, surtout chez les membres de l'ancienne noblesse.

Ajoutons que les éléments jaune et blanc se présentent parfois juxtaposés et non fusionnés d'une manière frappante. Les portraits de l'expédition américaine ne peuvent laisser de doute à cet égard.

M. BORDIER. Les caractères pathologiques de la race japonaise viennent à l'appui des arguments invoqués par MM. Metchnikoff et de Quatrefages pour démontrer la triple origine de cette population. Rien ne saurait mieux démontrer l'importance jusqu'ici trop méconnue de l'analyse pathologique pour caractériser les races. Les Japonais sont un mélange des trois types blanc, jaune et noir. Or, leur pathologie se ressent de cette triple influence.

Par exemple la syphilis, quoique très fréquente chez les Chinois, ne fait pas chez eux de grands ravages. Au contraire, elle est très grave chez les Japonais; on observe de mème sa gravité chez les Malais et chez les races noires. C'est à titre de race composée de Malais et de Noir que les Japonais ont cette gravité de la syphilis.

La fréquence de la phthisie est encore un caractère négroïde.

Il en est de même du choléra: la race jaune est rarement frappée par cette maladie; elle fait toujours plus de ravages chez les noirs. Les Japonais aussi sont plus sujets au choléra et chez eux il a plus de gravité; les Japonais, sur ce point, font acte de Malayo-Polynésiens.

M. METCHNIKOFF. Je signalerai de mon côté la fréquence de la phtisie chez les Japonais. Sans me hasarder dans une discussion médicale qui sort de ma compétence, je demanderai si cette disposition à la phtisie n'indique pas que leur poumon n'est pas adapté au climat de leur pays.

M. HAMY. Je suis disposé à croire que l'usage du tatouage a pu être emprunté par les Japonais aux Aïnos. Cependant n'y a-t-il pas des affinités entre le tatouage japonais et celui qui est usité sur les deux rives du détroit de Behring?

Niedendorf, dans son ouvrage sur les populations sibériennes, dit qu'elles font usage du tatouage et s'ornent notam

ment le visage d'un dessin allant du coin de la bouche à l'angle externe des paupières. Or, certaines fouilles exécutées par M. Pinart montrent que cet usage était aussi répandu dans les îles Aléoutiennes; on voit dans sa collection un masque qui porte ce genre d'ornementation.

Le tatouage est donc aussi un usage septentrional.

M. METCHNIKOFF. Je n'attribue pas une grande importance à la parenthèse que j'ai ouverte sur l'origine japonaise du tatouage. Les arabesques que les femmes aïnos tatouent sur leur personne se retrouvent chez les femmes japonaises, mais ces ressemblances dans l'ornementation ne prouvent pas une origine commune, car ces ornements sont faciles à imaginer. M. FOLEY. Dans toutes les sociétés humaines civilisées, on trouve deux types distincts: un type vulgaire et un type noble.

Il existe trois types dans l'humanité. Ils correspondent à des degrés de civilisation différents :

1o Le type noir ou végétatif;

2o Le type jaune ou musculaire;

3o Le type blane ou mental.

Quand l'homme n'est pas libre végétativement, quand le besoin de manger domine encore tout ce qu'il fait de pensées et de mouvements, il est aussi noir que la chaleur et la lumière de son pays lui permettent de l'être.

Quand il est libre végétativement, mais non pas encore musculairement, il est coloré à peau jaune, rouge ou verdâtre ; suivant le genre de sécrétion cutanée que réclame son climat. Enfin, quand il est libre végétativement et musculairement, il est blanc.

Il est d'ailleurs possible que, dans une société, le premier de ces types ait disparu, ou que le troisième n'ait pas fait son apparition et que la société en question soit dans un état de transition d'un type à l'autre.

Telle est la théorie qui me paraît expliquer le mélange de types que M. Metchnikoff nous signale au Japon et que j'ai observé, à un degré différent, en Polynésie.

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