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APERÇU HISTORIQUE

SUR L'EMPIRE HAMMADITE

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A l'époque où commence l'histoire de la Kalaa des Beni-Hammad -1007 de l'ère chrétienne l'Afrique du Nord tout entière, débarrassée de ses conquérants arabes, obéissait de nouveau à des souverains d'origine indigène.

Dès l'année 912, la dernière armée arabe avait été chassée du territoire national, mais ce ne fut qu'en 972, qu'El-Moëzz, le dernier sultan fatimite de Kairouan, appelé au trône d'Égypte par son général El-Djouher, quitta définitivement, sans esprit de retour, ses États de l'Afrique du Nord. El-Moëzz choisit pour le remplacer dans le gouvernement de l'Ifrikiya et du Mogreb central, c'est-àdire de la Tunisie et de l'Algérie actuelle, le berbère Bologguine de la grande tribu des Sanhadja, fils d'un guerrier célèbre, Ziri, chef de la dynastie des Zirides. Le Mogreb extrême (Maroc actuel) resta indépendant et ne tarda pas à lier plus ou moins ses destinées à celles de l'Espagne. La Sicile et la Tripolitaine conservèrent leurs gouverneurs.

Bologguine mourut en 983, laissant plusieurs fils, dont El-Mansour qui monta sur le trône de Kairouan, et El-Hammad, le futur fondateur de la Kalaa.

El-Mansour étant mort en 996, son fils Badis lui succéda;

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Hammad, oncle du nouveau souverain, reçut en partage le gouvernement d'une partie des provinces actuelles de Constantine et d'Alger. «En 1004, nous dit Ibn-Khaldoun ', Badis envoya Bologguine dans le Mogreb central pour faire la guerre aux Maghraoua et aux Beni-Ifren, branche de la grande tribu des Zenata, et il prit avec lui l'engagement de ne jamais lui signifier son rappel, mais de le laisser en possession d'Achir, du Mogreb central et de toutes les villes qu'il parviendrait à soumettre. Hammad remplit sa mission avec une grande habileté et parvint à dompter les Zenata.

« En l'an 398 (1007), Hammad fonda la ville d'El-Kalaa (le château) dans le voisinage de Kiana, montagne qui s'appelle aussi Adjica et qui est maintenant occupée par les Eïad, tribu d'Arabes hilaliens. Il transporta dans la Kalaa les habitants de Msila et de Hamza, villes qu'il détruisit de fond en comble, et y fit venir aussi les Djeraoua, peuplades du Mogreb.

Vers la fin du quatrième siècle de l'hégire il acheva de bâtir et de peupler la ville qu'il entoura de murs, après avoir construit plusieurs mosquées, caravansérails et autres édifices publics. La Kalaa atteignit bientôt une haute prospérité; la population s'accrut rapidement et les artisans ainsi que les étudiants s'y rendirent en foule des pays les plus éloignés et des extrémités de l'empire. Cette affluence de voyageurs eut pour cause les grandes ressources que la nouvelle capitale offrait à ceux qui cultivaient les sciences, le commerce et les arts. Pendant le règne de Badis, Hammad gouverna le Zab et le Mogreb central, tout en faisant la guerre aux Zenata. Il se trouvait tantôt à Achir et tantôt à la Kalaa afin d'être toujours à la portée du territoire occupé par les princes Zenatiens et des Tabert, que fréquentaient les tribus nomades des mêmes peuples. »>

1. IBN-KHALDOUN, Histoire des Berbères, traduction de Slane, t. II, p 43.

Hammad venait à peine de terminer la construction de sa capitale, que la brouille éclatait entre lui et son neveu Badis, khalife de Kairouan. Ce dernier, inquiet des allures indépendantes de son oncle, lui prescrivit de rendre le gouvernement de Constantine à son fils El-Moëzz, qui venait d'être reconnu par le khalife fatimite comme héritier présomptif de son père. Hammad refusa de se soumettre à cette décision, proclama dans les mosquées la suprématie des Abbassides et partit en guerre contre son suzerain. Il fut battu, perdit la ville d'Achir, sa seconde capitale, et fut assiégé par Badis dans la Kalaa.

Tout paraissait perdu pour lui lorsque, par un hasard bien fortuit, Badis fut trouvé mort sous sa tente. Le siège fut levé immédiatement, et El-Moëzz, qui n'avait pas huit ans, fut nommé en remplacement de son père. Le khalife du Caire le confirma dans ses fonctions. Quant à Hammad, de nouveau battu en rase campagne, il dut chercher un refuge derrière les remparts si secourables de sa Kalaa et se résigna à envoyer son fils El-Kaïd à Kairouan pour implorer la paix. El-Moëzz et ses conseillers ne se montrèrent pas intraitables; Hammad reçut le Gouvernement du Zab et du pays de Sanhadja avec les villes de Tobna, Msila, Tiaret et le droit de conquérir tout à son aise le territoire du Mogreb occidental. C'était la consécration du démembrement de l'empire fondé par Bologguine.

Hammad mourut à la Kalaa en 1028 et fut remplacé par son fils El-Kaïd. Celui-ci ne tarda pas à se brouiller avec son cousin ElMoëzz, lequel vint mettre le siège devant la Kalaa (1042). Une trêve boiteuse interrompit les opérations.

Mais bientôt un danger autrement grave devait mettre en péril l'indépendance si difficilement conquise de la Berbérie. Ce fut l'invasion des 200.000 Hilaliens et Soleimides, originaires de l'Arabie, que le sultan fatimite lança sur l'Afrique du Nord aussi bien pour en débarrasser la vallée du Nil où ils avaient été parqués, que pour

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punir El-Moëzz qui en 1048 avait repoussé l'autorité du Khalifat du Caire.

Ces deux tribus, traînant après elles leurs femmes, leurs enfants et leurs troupeaux, quittèrent l'Égypte en 1049 pour conquérir la Berbérie: « Si elles réussissent à vaincre, disait le vizir El-Yozouri à son maître, le fatimite El-Montancer, elles seront nos représentants et gouverneront en notre nom; si au contraire elles échouent, peu nous importe. Dans tous les cas il vaut mieux avoir affaire à des Arabes nomades qu'à une dynastie sanhadjienne. »

Chaque tribu reçut d'avance l'indication de la part de territoire qui devait lui revenir à la suite de la conquête du pays. Les Arabes partirent pleins d'ardeur.

El-Moëzz, au lieu de rechercher l'appui de tous les Berbères pour arrêter ce flot d'envahisseurs, ne songea tout d'abord qu'à s'assurer l'alliance des nouveaux venus pour combattre ses cousins hammadites.

Il conclut un traité dans ce but avec l'un des chefs arabes, et autorisa celui-ci à envahir la Tunisie. Toutes les plaines du Sud furent mises à feu et à sang.

El-Moëzz, comprenant enfin le danger qui menaçait la Berbérie tout entière, appela à son secours le gouverneur de Tripoli et ElKaïd le Hammadite, les conjurant d'oublier leurs anciens grief's et de s'unir contre l'ennemi commun. Ceux-ci accoururent et furent battus. El-Moëzz dut abandonner Kairouan, qui fut systématiquement saccagé et ruiné. Il se retira à El-Mehdia.

La Tripolitaine et la Tunisie étaient retombées sous le joug arabe, c'est-à-dire dans l'anarchie. L'empire hammadite en revanche n'était pas encore sérieusement entamé. Le Zab avec Biskra comme chef-lieu, les villes de Tobna, Msila, Constantine,

1. MERCIER, Histoire de l'Afrique septentrionale, t. II, p. 16.

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Alger et les contrées maritimes jusqu'au méridien de Tiaret reconnaissaient l'autorité des descendants de Hammad'.

La perte de Kairouan fut même, à un certain point de vue, avantageuse pour la Kalaa : « Le château d'Abou Taouil (c'est-àdire la Kalaa des Beni-Hammad), grande et forte place de guerre, dit El-Bekri, devint une métropole après la ruine de Kairouan (1057). Comme les habitants de l'Ifrikiya sont allés en foule pour s'y établir, il est maintenant un centre de commerce, qui attire les caravanes de l'Irac, de l'Égypte, de la Syrie et de toutes les parties du Hedjaz. »

El-Kaïd mourut en 1054, laissant le pouvoir à son fils Mohcen, lequel commença par faire périr tous les descendants de Hammad, sauf son cousin Bologguine. Mais bientôt après, il fut assassiné à son tour par ce parent qu'il avait épargné. Mohcen n'avait régné que neuf mois.

Bologguine, devenu le plus puissant monarque de la Berbérie depuis la chute de Kairouan, marcha sur le Maroc et s'empara de Fez. A son retour, il fut assassiné par son cousin En-Nacer (1063).

Le début du règne d'En-Nacer fut assez heureux. Tunis se détacha de Temin, fils d'El-Moëzz, souverain d'El-Mehdia depuis 1062, et se donna aux Hammadites, mais, peu de temps après (1065), En-Nacer étant intervenu dans les querelles des tribus hilaliennes de Tunis, fut battu et dut se réfugier à Constantine puis à la Kalaa. Temin profita de la circonstance pour reprendre Tunis, tandis que les Arabes venaient fourrager jusque sous les murs de la Kalaa. En-Nacer repoussa les Arabes, les poursuivit jusqu'aux extrémités du Zab et fit assassiner traîtreusement leur chef, par le gouverneur de Biskra, dans une entrevue.

En 1066, les Arabes, appuyés par des tribus berbères, repa

1. MERCIER, Histoire de l'Afrique septentrionale, t. I.

2. EL-BEKRI. Traduction de Slane. Journal asiatique, 1859, p. 119-120 (EL-BEKRI écrivait au onzième siècle).

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