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Les combattants étaient si nombreux qu'il eût été impossible de les compter par les procédés usuels.

6o A cette époque du reste, toutes choses avaient des proportions inusitées, même les jours et les nuits. Lorsqu'un boucher partait de la Kalaa pour aller vendre de la viande à Bougie, il se mettait en route le soir et revenait dîner à la Kalaa le même jour. Les jours étaient huit fois plus longs qu'aujourd'hui.

7 Les chrétiens n'étaient pas en reste pour les légendes'. Saint Arzon, doyen de l'abbaye de la Kalaa, dont j'ai cité le nom précédemment à propos de la captivité de moines du Mont-Cassin enlevés par des pirates en Méditerranée et transportés à la Kalaa, Arzon, dis-je, avait été enterré dans l'église de la Kalaa, devant l'autel de la Vierge. Le pieux auteur de la Chronique du MontCassin raconte à ce sujet les miracles suivants : « Un soir, tandis que la lune brillait dans le ciel, un indigène non chrétien passant devant l'église fut tout surpris de voir le vertueux doyen du MontCassin, assis auprès de la porte, lisant paisiblement un livre ouvert devant lui. Il prévint immédiatement d'autres Sarrasins, etc..... mais quand ils vinrent, la vision avait disparu.

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« Une autre nuit, la lampe placée devant l'autel au-dessus du lieu où le corps d'Arzon avait été déposé et que l'on avait soin d'éteindre tous les soirs, se ralluma d'elle-même et depuis, le phénomène se renouvela toutes les nuits bien que l'on eût mis de l'eau à la place de l'huile. Le roi fit fermer et surveiller l'église, le miracle ne cessa point. De la maison du khalife des chrétiens, contiguë à leur église, l'émir vit lui-même, un jour, une étoile descendre sur la lampe et l'enflammer: frappé de ce prodige, il fit rouvrir l'église des chrétiens. >>

Voici maintenant les légendes qui ont trait à la destruction de la Kalaa.

1. MAS LATRIE, cité par Féraud, Histoire des villes de la province de Constantine, p. 164 et suivantes.

8 Un jour un saint Marabout, Abou-El-Fadel-En-Noui, venant à passer devant la Kalaa à l'endroit où se trouve actuellement le petit village appelé El-Fadel, fut interpellé par des habitants qui lavaient du linge près de la rivière : « Oh, vieillard, direntils, il faut que tu danses ou que tu laves le linge avec nous. » Le Marabout lava donc le linge puis il s'envola sur la montagne qui domine la rivière et demanda à Dieu que la ville fût détruite, mais, en considération des vertus du sultan régnant, qui protégeait la science, il consentit à ce que son vœu ne fût exaucé qu'après la mort du bon souverain, c'est-à-dire quarante ans plus tard. Ce fut un tremblement de terre qui régla définitivement la question.

9° Une tradition disait que la ville serait détruite par des ennemis montés sur des meharis. Or un habitant de la ville ayant un jour aperçu des traces de mehari dans le voisinage de la Kalaa comprit immédiatement que l'heure suprême était venue. Il vendit ses biens et se sauva. Mais auparavant il voulut prévenir concitoyens au moyen d'une énigme. Il prit deux pigeons, pluma l'un des deux et les plaça ensuite l'un et l'autre dans un récipient en bois avec le billet suivant : quiconque a pris son vol dans les jours de bonheur s'élèvera et vivra, et quiconque restera dans les limites de sa demeure perdra sa santé et ses plumes (la fortune et la vie).

Le lendemain matin on trouva les deux pigeons et le billet. Le pigeon plumé resta et l'autre s'envola. Les gens avisés comprirent immédiatement de quoi il s'agissait et prirent la fuite. Les autres attendirent les événements. Or le soir même une grande caravane de meharis entra dans la ville. Chaque chameau était conduit par un chamelier et chaque sac du chargement contenait quatre hommes. Les caravaniers s'arrangèrent de façon à être cinq par maison, puis à un signal donné ils massacrèrent les habitants et pillèrent la ville.

10° La Kalaa pourtant ne fut pas entièrement détruite et se

repeupla. Le sultan Lalam-Medkour occupa Takerbous et continua à détruire les maisons de la Kalaa afin qu'un autre sultan ne vînt pas s'y établir. Il était du reste en guerre avec la population qui vivait aux alentours du Ménar. Il eut des démêlés, au sujet des paccages des moutons, avec Mohammed Amokrani (aïeul des Mokrani) venu de Fez à Bordj-bou-Arreridj. Ce dernier fit le siège de Takerbous mais ne put venir à bout des défenseurs de la place malgré ses canons.

Il invita Lalam-Medkour à un banquet, sous prétexte de faire la paix, et le tua. La femme du sultan assassiné était du complot. Amokrani, craignant qu'elle ne le trahît à son tour, la fit précipiter du haut du rocher.

Toutes ces légendes n'ont pas le sens commun et n'ont aucun intérêt historique; elles montrent toutefois combien le souvenir de l'ancienne métropole berbère est resté vivace chez les Arabes et chez les Berbères de la région, et aussi à quel point ces braves indigènes sont crédules.

III

DESCRIPTION DES RUINES DE LA KALAA

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