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Ibn-Hammad, qui écrivait au douzième siècle, dit également: « Abou-Yezid, après ce déplorable échec (allusion à un premier combat sur la montagne de Kiana en 947), gravit les hauteurs de Kiana et se jeta dans le fort de Tagarboucete (Takerbous, voir fig. 1), qui domine celui de Hammad... Ismaël entra en vainqueur à la Kalaa. » (Janvier 947, de notre ère.)

Enfin Ibn-Khaldoun dit 2 :... Abou-Yezid s'enferma dans le château de la Kalaa... El-Mansour attaqua le château à plusieurs reprises et parvint à y mettre le feu... »

La Kalaa existait done comme poste fortifié, soit romain, soit berbère, longtemps avant son élévation au rang de capitale par le sultan Hammad.

Mas Latrie, se basant sur des documents conservés dans les archives du Mont-Cassin, nous parle des premiers occupants de la Kalaa : «Les princes hammadites accueillirent, à une époque vraisemblablement assez voisine de la fondation de la Kalaa, une colonie nombreuse de chrétiens berbères parmi les tribus qui vinrent peupler leur première capitale et qui continuèrent à l'habiter longtemps après la fondation de Bougie. La bonne entente existant entre les princes et le Saint-Siège donnait une entière sécurité à leurs sujets chrétiens. » D'après Ibn

Hammad ce serait un esclave chrétien du nom de Bouniache qui aurait construit une partie des fortifications de la ville : Rédirouan est situé à 15 milles Est du fort de Hammad qui a été bâti et fortifié par un chrétien nommé Bouniache, esclave des Beni-Hammad. » Ce fait n'a rien d'étonnant. Pendant tout le moyen age musulman les souverains d'Orient ont presque toujours

1. Documents inédits sur l'hérétique Abou-Yezid-Makled-ibn-Kidad de Tadunkat, traduits de la chronique d'IBN-HAMMAD. Journal Asiatique, 1852, p. 490.

2. IBN-KHALDOUN, Histoire des Berbères, t. II, p. 538.

3. MAS LATRIE, Traités de commerce concernant les relations des chrétiens avec les Arabes de l'Afrique septentrionale au moyen åge, pp. 124-127.

4. Journal Asiatique, t. II, pp. 479 à 490. Documents inédits sur l'hérétique AbouYezid-Makled-ibn-Kidad de Tadunkat, traduits de la chronique d'IBN-HAMMAD.

eu recours aux ingénieurs chrétiens pour établir les plans des fortifications de leurs places de guerre. Il en est encore de même aujourd'hui.

« La Kalaa, dit Edrisi ', est une des villes les plus considérables de la contrée, elle est riche, populeuse, remplie de beaux édifices et d'habitations de toute espèce. Elle est située sur le penchant d'une montagne escarpée qui est d'un difficile accès et entourée par les murailles de la ville. Cette montagne s'appelle Takerbous et est contiguë par un de ses côtés à une vaste plaine. C'est de ce côté que la ville fut attaquée et prise d'as

saut.

« La Kalaa était, avant la fondation de Bougie, la capitale de l'empire des Hammadites. Elle était l'entrepôt de leurs trésors, de leurs biens, de leurs munitions de guerre et de leurs blés. Il

y

avait pour ces derniers des magasins tellement excellents qu'on pouvait les garder une et même deux années sans avoir à craindre la moindre altération. »

En-Nacer quitta la Kalaa en 1069 pour vivre à Bougie qu'il venait de fonder. El-Mansour, son successeur, monta sur le trône en 1089 et transporta immédiatement sa capitale à Bougie afin d'éviter les incursions continuelles que poussaient les Arabes jusqu'aux portes de la Kalaa. « Après avoir érigé à la Kalaa, dit IbnKhaldoun 2, le palais du Gouvernement, le palais du Fanal (ou ElMénar), le palais de l'Étoile et le palais du Salut, il construisit à Bougie ceux de la Perle et d'Amimoun. » Ce texte est fort important, car il nous donne le nom et la date de construction des palais de la Kalaa. Je crois toutefois que la date indiquée par Ibn-Khaldoun n'est pas absolument exacte. Il paraît en effet difficile qu'El-Mansour ait construit en une seule année, c'est-à-dire de 1089, date de son

1. EDRISI, Description de l'Afrique et de l'Espagne. Trad. Dozy et de Goeje, pp. 99 et 106. 2. IBN-KHALDOUN, t. II, p. 51 et suiv.

avènement au trône, à 1090, date de son départ pour Bougie, les quatre palais dont il vient d'être question. Il est plus que probable qu'il se contenta de restaurer les palais construits par ses prédécesseurs. En Orient, aussi bien à Byzance que dans les pays musulmans, on attribue volontiers aux souverains les édifices que ceux-ci n'ont fait que restaurer. Les princes régnants n'hésitent pas non plus du reste à modifier à leur profit les inscriptions de leurs prédécesseurs.

En 1148, ainsi que nous l'avons dit dans l'aperçu historique, Yahia, qui résidait à Bougie, se rendit à la Kalaa, dont il enleva tous les objets de valeur; en 1152 la Kalaa fut détruite de fond en comble par Abd-el-Moumèn. Elle ne se releva jamais de ses

ruines.

Toutefois quelques habitants y vivaient encore à la fin du douzième siècle, car nous voyons dans les auteurs arabes' que les bandes d'Ibn-Ghania, émir almoravide qui régnait de façon à peu près indépendante aux Baléares, s'emparèrent de Bougie et de la Kalaa en 1185. La Kalaa résista trois jours. Le corps expéditionnaire embarqué aux Baléares comprenait 4.000 hommes.

Enfin, en 1512, il est encore question de la Kalaa dans les luttes intestines qui suivirent la prise de Bougie par les Espagnols 2. Le prétendant El-Abbas, neveu du sultan hafside de Constantine, avec lequel il était en désaccord, dut se réfugier à la Kalaa. La Kalaa du seizième siècle était probablement revenue à son rôle habituel de fort d'arrêt, dont elle n'était sortie que provisoirement de 1007 à 1152, du temps de l'empire hammadite.

Aujourd'hui la Kalaa a totalement disparu. Un petit village, d'une dizaine de maisons, El-Fadel, qui conserve encore le tombeau -de style turc, malheureusement du saint personnage de

1. MAS LATRIE, Relations et commerce de l'Afrique septentrionale avec les nations chrétiennes, p. 98.

2. MERCIER, Histoire de l'Afrique septentrionale, t. II, p. 427.

!

ce nom, se trouve en dehors de la porte Ouest de l'ancienne ville (voir pl. 1).

Les habitants du pays sont Arabes et Berbères. Les uns sont nomades, les autres sont sédentaires; tous parlent arabe. Ils ignorent s'ils sont hammadites, mais ils répondent parfois qu'ils le sont afin d'être agréables aux visiteurs européens. De fait ils appartiennent à des tribus locales dont les noms ont souvent varié.

Méquesse a recueilli en 1886', dans le pays, un certain nombre de légendes assez curieuses sur l'histoire locale. Les mêmes légendes m'ont été répétées, parfois avec des variantes, pendant mon séjour à la Kalaa en avril et août 1908. Je n'en donnerai qu'un résumé :

1° Ali-Hammad ayant quitté le Caire avec une armée (!!) établit son camp sur l'emplacement de la Kalaa des Beni-Hammad. Là il eut un songe à la suite duquel il se décida à construire sa capitale à l'endroit même où il avait campé. La ville engloba 17 mamelons, chaque mamelon constitua un quartier de 999 maisons. Chaque maison eut 9 chambres. Chaque chambre fut habitée par un fantassin ou un cavalier, ce qui donnait une population totale de 150.000 habitants. La ville avait trois portes. D'après une autre variante chaque maison aurait eu 9 étages.

2o Les ouvriers ne manquaient certes pas pour construire cette ville immense : « Une femme de la Kalaa, nous raconte M. Robert 2, avait un fils ouvrier tailleur de pierres, qui, vu ses aptitudes spéciales, avait été chargé par le sultan de la ville d'aller choisir et rapporter à la Kalaa les pierres taillées de la ville romaine de Lemellef (près de Cérez-Maadid). Constatant que l'expédition de ces matériaux ne s'effectuait pas assez rapidement, le sultan adjoignit au tailleur de pierres une quantité considé

1. MÉQUESSE, Revue africaine, 1886, t. XXX, p. 277, notice sur la Kalaa des BeniHammad.

2. La Kalaa et Tihamamine, par ROBERT, p. 15.

rable de travailleurs qui, l'un à côté de l'autre, formaient une longue chaîne de Dra-chih, près des ruines de Lemellef, à la Kalaa. Cette chaîne, longue de plus de 35 kilomètres, était si bien organisée, les travailleurs étaient si nombreux, qu'un pain chaud envoyé par la mère du tailleur de pierres de la Kalaa à Dra-chih était parvenu à destination avant d'être refroidi. »

3o Le père du prince qui habitait le Caire ayant appris l'état florissant de la ville envoya à la Kalaa une caravane de 200 bêtes de somme pour acheter 100 charges de soie d'une même couleur. Cette caravane arriva par la porte El-Djeraoua et rencontra, en entrant dans la ville, une femme qui portait le même nom que la porte. Le chef de la caravane lui exposa le but de sa mission et celle-ci répondit qu'elle possédait dans son magasin les marchandises demandées. On chargea immédiatement les bêtes de somme et il resta encore en magasin après cette opération le double des marchandises achetées. Cette femme, prise au hasard, possédait donc, au moment de l'achat, 300 charges par nuance de soie! Quand le père vit revenir la caravane et eut appris ce qui s était passé, il s'écria : Quelle ville est plus grande que la Kalaa!

4° Une autre caravane entrée par la même porte s'adressa à la même femme pour avoir 100 charges d'huile qui lui furent livrées sur-le-champ, mais il en restait encore beaucoup en magasin. Après le départ de la caravane, la femme qui avait opéré la vente aperçut une souris morte dans l'huile restante, ce qui montrait que la marchandise vendue était impure. La femme rappela immédiatement la caravane, lui fit jeter l'huile vendue et la remplaça par un nouveau chargement.

5° Une grande fosse se trouvait au bas de la ville. Lorsque l'armée partait en guerre, chaque guerrier était muni d'une petite boule qu'il jetait, à son passage, dans la fosse. Au retour de l'expédition, chaque soldat reprenait sa boule. On savait ainsi par le nombre des boules restantes le chiffre des tués et des blessés.

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