Images de page
PDF
ePub

10

APERÇU HISTORIQUE SUR L'EMPIRE HAMMADITE

rurent dans la Hodna ; ils furent battus par El-Mansour, fils d'EnNacer, et poursuivis jusqu'à Ouargla. D'autres engagements eurent lieu avec les Arabes et les Berbères de l'Ouest et se terminèrent à l'avantage du souverain hammadite. Toutefois les Arabes parvinrent à se maintenir dans les plaines de la Hodna, à queiques kilomètres de la Kalaa, dont ils menacèrent constamment les abords.

En-Nacer, fatigué des incursions continuelles de ces nomades, résolut de transporter sa capitale sur les bords de la mer, à Bougie (1067); mettant ainsi entre sa nouvelle résidence et les plaines parcourues par les Arabes, les hautes montagnes de la Kabylie. L'emplacement choisi fut celui de l'ancienne ville romaine de Saldo.

[ocr errors]

En-Nacer, nous dit Ibn-Khaldoun ', y construisit un palais d'une hauteur admirable qui porta le nom de château de la Perle. Ayant peuplé sa nouvelle capitale, il exempta les habitants de l'impôt et en 1069 il alla s'y établir lui-même. Ce fut sous le règne de ce prince, que la dynastie hammadite atteignit au faite de la puissance et acquit la supériorité sur celle des Badicistes d'ElMehdia... Ce monarque éleva des bâtiments magnifiques, fonda plusieurs grandes villes et fit de nombreuses expéditions dans l'intérieur du Mogreb. Il mourut en l'an 481 (1089). »

2

Gré

C'est à cette époque probablement que se place la correspondance amicale qui fut échangée entre En-Nacer et le pape goire VII au sujet de la nomination de l'évêque Servand à Bougie. Mas Latrie cite le texte d'une lettre écrite en 1076 par le pape Grégoire VII à En-Nacer. Elle débute ainsi : « Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu à Anzir, roi de Mauritania, de la province Setitienne en Afrique, salut et bénédiction aposto

1. IBN-KHALDOUN, Histoire des Berbères, traduction de Slane, t. II, p. 51. 2. MAS LATRIE, Relations de commerce de l'Afrique septentrionale avec les nations chrétiennes, p. 41.

lique..... » Nous verrons aussi plus loin que sous le règne d'ElMansour, fils d'En-Nacer, la ville de Gênes fournit des ouvriers d'art pour la construction du palais de Bougie.

En-Nacer mourut à Bougie en 1089; son fils El-Mansour lui succéda et transporta en 1090, définitivement, le siège du gouvernement à Bougie : << El-Mansour' sortit de la Kalaa l'an 483 (1090) et alla établir sa résidence à Bougie avec ses troupes et sa Cour. Il s'éloigna ainsi d'une région où la violence et la tyrannie des Arabes avaient tout ruiné. L'audace de ces brigands en était venue à ce point qu'ils portaient la dévastation dans les environs de la Kalaa et enlevaient tout ce qui se montrait en dehors de la ville. Ces entreprises leur étaient d'autant plus faciles que leurs montures pouvaient arriver par des routes toujours praticables. Il en était autrement à Bougie, où la difficulté des chemins mettait cette ville à l'abri de leurs attaques.

El-Mansour construisit à Bougie de nombreux palais, dont nous parlerons dans la dernière partie de ce livre. Il eut à soutenir de nombreuses guerres.

En 1993 il sut réprimer la révolte de deux de ses cousins qui commandaient l'un à Constantine, l'autre à Bône; puis il envoya son fils Abd-Allah combattre le gouverneur de Tlemcen, Mohamedben-Tinamer, de la secte des Almoravides 2, qui avait mis le siège devant Alger. Mohamed-ben-Tinamer fut battu, mais bientôt après El-Mansour, ayant voulu punir les tribus berbères qui avaient soutenu les Almoravides, marcha contre celles-ci et essuya une défaite complète. Il dut battre en retraite sur Bougie et là, plein de fureur, il fit mettre à mort sa propre femme, sœur de l'un des chefs des tribus révoltées, qu'il accusait de l'avoir trahi. En 1102 il prit sa revanche, leva une armée de 20.000 hommes

1. IBN-KHALDOUN, Histoire des Berbères, t. II, p. 51 et suivantes.

2. La secte des Almoravides avait pris naissance sur les bords du Niger et n'avait pas tardé à s'étendre sur tout le Maroc.

12

APERÇU HISTORIQUE SUR L'EMPIRE HAMMADITE

et entra dans Tlemcen; le pillage était déjà commencé lorsqu'une femme sanhadjienne, épouse du gouverneur, se jeta à ses pieds et obtint la cessation des hostilités.

La ville fut épargnée, et El-Mansour reprit dans la même matinée la route de la Kalaa, qui était toujours restée une place de guerre importante. Il y mourut en 1104, après avoir rétabli l'autorité hammadite dans la région correspondant aux trois provinces actuelles de Constantine, Alger et Oran.

Badis, fils et successeur d'El-Mansour, ne régna qu'un an. Cruel et fantasque, il commença son règne en faisant trancher la tête du grand vizir de son père. Il quitta ensuite la Kalaa 2 pour se rendre à Bougie, où il fit subir le même sort au gouverneur de la ville. Il mourut en 1095 et son frère El-Aziz lui succéda. Il est à remarquer que Badis vivait à la Kalaa avant son accession au trône, mais cela ne veut pas dire qu'il habitât le palais du Gouvernement, ce qui eût été contraire aux principes orientaux. En tous les cas, on peut admettre que ce palais n'avait subi aucun remaniement depuis 1089-90, date de sa fondation, et qu'il n'en subit pas plus tard, car Yahia, fils d'El-Aziz et héritier présomptif, ne vécut pas à la Kalaa pendant le règne de son père. Nous lisons en effet dans Ibn-Khaldoun 3 que Yahia reçut le commandement, à un moment donné, d'une armée formée à Bougie pour aller secourir la Kalaa bloquée par les Arabes.

Le règne d'El-Aziz fut assez paisible. Le Khalife donna tous ses soins à l'embellissement de la capitale (Bougie) et y attira les savants de l'Espagne et de l'Afrique.

Il eut à combattre les Arabes, ainsi que nous venons de le voir, et aussi ses parents d'El-Mehdia. Déjà les Normands de Roger II de Sicile commençaient à s'intéresser aux querelles intestines des

4. IBN-KHALDOUN, t. II, p. 54.

2. IBN-KHALDOUN, t. II, p. 55.

3. IBN-KHALDOUN, t. II, p. 53 et suivantes.

petits monarques de la Berbérie et menaçaient les ports de Tunisie. Il semble toutefois qu'ils aient entretenu de bons rapports avec El-Aziz.

« Sous le règne d'El-Aziz', en 1114, les chrétiens africains et berbères avaient encore à la Kalaa une église dédiée à la Vierge Marie. Leur évêque habitait une maison voisine de l'église. C'est le dernier prélat indigène dont nous puissions constater l'existence et déjà la population, peut-être ses propres fidèles, qu'envahissait d'années en années l'influence du langage et des habitudes arabes, le désignaient sous le nom musulman de Khalife. Pierre Diacre conserva même cette dénomination en rappelant les circonstances miraculeuses qui accompagnèrent la présence du bienheureux moine du Mont-Cassin. En cette année 1114, des moines du MontCassin revenant de Sardaigne en Sicile tombèrent entre les mains des pirates et furent conduits en Afrique. Peu de temps après, une tempête ayant poussé sur les côtes de Sicile des moines que l'abbé renvoyait en Afrique pour racheter leurs frères, le comte Roger, jaloux de rendre hommage au glorieux père Benoit, dit Pierre Diacre, s'empressa d'envoyer ses propres messagers au roi de la ville de Kalama (la Kalaa) que les Sarrasins appelaient Al Chila. Le roi, qui accéda du reste à toutes les démarches du comte Roger, était El-Aziz, sultan de Bougie, arrière-petit-fils d'EnNacer. »

En 1121 Yahia succéda à son père El-Aziz. Il passa sa vie dans les plaisirs. Il répudia la souveraineté des Khalifes fatimites, se plaça sous le protectorat des Abbassides et frappa des monnaies d'or en son nom.

Son voisin, le Ziride El-Hassan, battu par les Normands de Roger II de Sicile, abandonna les côtes de Tunisie à son vain

1. MAS LATRIE, cité par Féraud, p. 164. Mas Latrie a puisé ses renseignements dans les archives du Mont-Cassin.

2. Saint Arzon, doyen de l'abbaye de la Kalaa.

14

APERÇU HISTORIQUE SUR L'EMPIRE HAMMADITE

queur, déjà maître de Tripoli (1148), et se réfugia à Bougie. Yahia l'interna à Alger; il n'avait du reste lui-même que bien peu d'années à régner.

En 1148, Yahia se rendit à la Kalaa « pour y faire des perquisitions, dit Ibn-Khaldoun, et en emporter tous les objets précieux qui s'y trouvaient encore ». Parmi ces matériaux de valeur il faut compter probablement les colonnes, les chapiteaux et même les marches d'escaliers, car il m'a été impossible, pendant mes fouilles, d'en trouver en bon état. J'ai dû me contenter de quelques débris informes.

En 1152, le sultan Almohade Abd-el-Moumèn, après avoir conquis tout le Mogreb extrême, se présenta devant Alger qui se soumit, puis marcha sur Bougie. Yahia envoya au-devant de lui toutes ses troupes disponibles, mais celles-ci se débandèrent avant de combattre. Bougie se rendit le lendemain, sans tenter de résister.

Yahia s'embarqua, avec toutes ses richesses, sur deux navires qui le conduisirent à Bône où commandait un de ses frères; il se réfugia ensuite à Constantine, chez un autre de ses frères.

De Bougie, Abd-el-Moumèn envoya son fils Abd-Allah, avec une armée, soumettre les régions de l'intérieur. La Kalaa, commandée par Djouchem, fils d'Abd-el-Aziz, offrit une résistance sérieuse, mais elle fut emportée d'assaut par les Almohades (1152). Ceux-ci la détruisirent de fond en comble, Djouchem fut tué, 18.000 habitants furent massacrés dans les rues, le reste fut dispersé 2.

lci encore nous voyons un fils du souverain régnant défendre la Kalaa, mais c'était un simple gouverneur militaire, dont la demeure devait être bien peu luxueuse puisque Yahia avait enlevé des palais royaux tout ce qui pouvait avoir de la valeur.

1. IBN-KHALDOUN, p. 57.
2. EDRISI, Op. cit., p. 100.

« PrécédentContinuer »