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la statue du défunt. Cette effigie, plus grande que nature, en pierre dure du pays, sorte de grès grisâtre, nous représente un personnage couché sur son lit de pierre, la tête reposant sur un coussin à glands. Il est coiffé d'une sorte de calote en fer reliée au camail, consistant en un système très curieux et très compliqué de chaînons ouvragés descendant jusqu'à la poitrine. Le corps, jusqu'aux genoux, est vêtu d'un haubert recouvert de la cotte d'armes chargé d'un écu blasonné, suspendu par deux larges lanières passées autour des épaules. Les bras sont repliés sur la poitrine, et les mains jointes tiennent la garde d'une large épée à deux tranchants. Les jambes manquent des genoux jusqu'aux pieds, qui étaient appuyés sur un lion couché, la tête relevée.

Malheureusement, comme nous venons de le dire, ce monument, si intéressant pour l'archéologue et pour l'artiste, est loin d'être intact. Il a considérablement souffert des injures du temps et des hommes, et sans nul doute disparaîtra bientôt irrémédiablement si l'on n'y avise. Déjà la statue n'a plus ni nez ni mains, et les jambes, des genoux aux pieds, ont disparu.

Une malencontreuse promenade que l'on a fait faire à ce vénérable monument, il y a plusieurs années, a beaucoup aidé à sa détérioration. Ne s'était-on pas avisé, lors d'une exposition rétrospective au château de Pau, d'y vouloir faire figurer cette pierre tombale. On se mit en devoir de l'y faire transporter par des ouvriers inhabiles, de simples bouviers, qui la hissèrent sur un char à bœufs. Dans le transport, le chargement ou le déchargement, le monument a été brisé. Est-ce alors que la partie manquante aujourd'hui a disparu? C'est probable.

Au-dessus du tombeau a été pratiquée une arcature assez profondément encastrée dans la muraille. Cette arcature est occupée par deux arcades géminées, surmontées d'une rose d'assez vastes proportions; cette dernière est composée de trois trèfles découpés superposés, deux et un. Chacune de ces deux arcades se décompose à son tour en deux autres surmontées d'un quatrefeuille.

Comment ce tombeau se trouve-t-il à l'extérieur et non à l'intérieur de l'église? Nous n'en savons trop rien. Nous croirions cependant assez volontiers que le mur de l'édifice dans lequel il a été établi faisait jadis partie du cloître de la Commanderie. C'était alors, en effet, l'endroit tout indiqué pour élever à un défunt de marque un monument funéraire. Et là, séparé seulement de l'in

térieur de l'église par cette mince arcature ajourée, on pouvait le considérer comme, pour ainsi dire, dans l'édifice sacré.

Ce qui donne à penser que c'était bien là que se trouvait le cloître de la Commanderie, c'est qu'une masure, appuyée de ce côté au mur de l'église, montre d'anciennes substructions, et que de nombreux vestiges de vieilles murailles se trouvent à l'entour.

Contre l'arcature qui sépare l'église du tombeau, s'appuie intérieurement un pinacle pyramidal assez élancé, dont le sommet se perd dans le plafond; ce pinacle présente des crochets en forme de feuilles de chou, frisés et arrondis; sa partie centrale est occupée par l'écusson du défunt, déjà représenté sur l'écu qui repose sur sa poitrine (fig. 4). Cette arcature, si délicatement ouvragée, a été, il y a un certain nombre d'années, aveuglée jusqu'à une certaine hauteur, à l'aide de briques de plâtrier posées de champ, et le meneau central de la baie de gauche, qui avait disparu, a été remplacé par un piquet de bois qui la soutient tant bien que mal, en attendant que, brûlé par le soleil et pourri par la pluie, il tombe en faisant crouler la fenêtre entière sur lui. Le tombeau, exposé à toutes les intempéries, dans lequel l'eau s'infiltre, désagrégeant les pierres les unes après les autres, est destiné à disparaître avant peu. La pierre sur laquelle est sculpté le lion contre lequel sont appuyés les pieds du gisant, posée à l'envers et de biais, ne se soutient plus sur le vide que par une sorte de miracle d'équilibre. L'intérieur du sarcophage ne renferme absolument rien, comme il est facile de s'en rendre compte par une large fissure existant au-dessous de la pierre sur laquelle repose la statue.

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Fig. 4.

Des bâtiments claustraux de la Commanderie et de ceux de l'hôpital qui en faisait partie, il ne reste plus que d'infimes vestiges.

Ce serait une erreur de croire que ce spécimen du style gothique de la fin du XIII ou du commencement du xiv, date d'une époque postérieure à celle à laquelle ses caractères principaux correspondent, s'en rapportant à cette idée ancrée chez de nombreux archéologues, qui veulent que dans le midi l'arc brisé ne se soit implanté que beaucoup plus tardivement que dans le reste de la France, et n'y ait même pénétré que difficilement. Le fait peut être vrai jus

qu'à un certain point; mais il ne faut pas non plus oublier que lorsque les tailleurs de pierre et architectes méridionaux adoptèrent ce style nouveau pour eux, ils le prirent dans l'état où ils le trouvèrent, n'en adoptant que ce qu'ils jugeaient bon, l'adoptant aux besoins de la région et surtout aux matériaux dont ils avaient l'habitude.

Maintenant, quel est le personnage pour lequel a été élevé ce monument? C'est sans doute, comme le veut la légende, Guilhem Arnaud, baron d'Andoins, mort en 1301. Ses armes figurant sur un sceau apposé à une charte datée de Morlaas du 10 mai 1286, par laquelle Guillaume, fille de Gaston VIII de Béarn, renonce à tous ses droits sur la Bigorre (), sont absolument identiques à celles figurées sur l'écusson qui surmonte le tombeau, et sur l'écu apposé sur la poitrine du défunt, figurant un lion rampant. Les puissants seigneurs d'Andoins, comme il a été vu dans la première partie de cette étude, ayant été presque constamment mêlés à l'histoire de la Commanderie de Caubin, il n'y a rien que de très naturel à ce que l'un d'entre eux ait été inhumé dans le cloître de l'église de la Commanderie.

Nous avons dit tout à l'heure que ce tombeau allait à une destruction prochaine. Il serait temps, grand temps d'aviser (2). Les monuments de ce genre ne sont pas communs dans nos provinces du Sud-Ouest, où l'on en rencontre beaucoup moins fréquemment encore que dans le Nord ou le centre de la France, probablement par suite des guerres de religion qui y ont été implacables et y ont eu de si terribles conséquences.

Paul LAFOND.

(1) Paul Raymond, Sceaux des archives du département des Basses-Pyrénées. (2) Il appartient au département des Basses-Pyrénées de se rendre acquéreur de cette pierre tombale; l'achat n'en grèvera pas beaucoup son budget, et il devra cette fois la faire transporter, avec les précautions nécessaires, au chef-lieu du département, où il lui sera facile de lui trouver un abri provisoire dans les dépendances du musée de Pau.

LES ARMES DE FRANCE

SUR LES PORTES DE LA VILLE DE BAR

ET SUR LES VITRAUX DE SAINT-PIERRE,

PAR M. L. MAXE-WERLY.

Sous le titre Armes de France, on trouve, dans le tome 1354 de la collection Joly de Fleury (1), tout le développement d'une affaire qui, en son temps, eut un grand retentissement dans notre pays et donna lieu à de nombreuses enquêtes dans lesquelles furent appelées à témoigner quantité de personnes de Bar; je veux parler de la destruction des armes de France placées, en 1482, par ordre du roi Louis XI, sur une des portes de la ville.

Il ne m'a pas paru utile de transcrire dans tous ses détails l'instruction qui, commencée le 28 novembre 1701, devait seulement prendre fin au 27 mai 1702: la cour ordonnant le rétablissement desdites armes sur la porte de l'Armurier et la publication de son arrêt au bailliage de Bar. Il me suffira de rappeler sommairement les faits les plus saillants de cette affaire, dont l'examen devait nous révéler plusieurs faits intéressants, non encore rapportés par nos chroniqueurs et nos historiens, puis nous conduire à la découverte d'un dessin colorié d'un vitrail exécuté vers 1482, par ordre du roi Louis XI, dans le chœur de l'église collégiale de Saint-Pierre de Bar, ainsi que celle d'une représentation, faite au lavis, de la statue en pied de ce prince, placée autrefois sur le parvis de cette église.

Pour expliquer la présence des armes de France et la statue de Louis XI dans la capitale du Barrois, il convient de se reporter quelques années en arrière et de se rappeler les tentatives réitérées du

(1) Bibliothèque nationale, Département des manuscrits.

roi de France pour obtenir de René d'Anjou la cession du Barrois, qui, prétendait-il, devait lui revenir comme héritier de Marie d'Anjou, sa mère (1).

N'ayant pu obtenir, malgré toutes ses instances, la révocation de la donation faite en 1474, par le roi de Sicile, du duché de Bar, à son petit-fils, René de Vaudémont, le roi de France, qui s'était fait céder par Marguerite d'Anjou des droits éventuels sur cette part de l'héritage paternel, faisait, sans plus attendre, occuper par des troupes la partie du Barrois mouvant de la couronne; puis peu après, en novembre 1479, il amenait son oncle René d'Anjou à lui abandonner pour six années la ferme de la ville et de la prévôté de Bar, moyennant une rente annuelle de 6,000 livres et sous la condition expresse d'entretenir à ses frais les fortifications (2).

Ce fut à cette époque de l'occupation de Bar par une garnison française, période comprise entre la date de cette cession et le 30 août 1483, jour de la mort du roi Louis XI, que les armes de France durent être placées sur les portes de la ville.

La porte par laquelle on pénétrait dans la partie de la ville haute, voisine du château, en suivant les rampes des rues BricheBrichy (de l'Horloge) et Saint-Jean, est désignée, sur le plan de 1617, sous le nom de Porta dicta Lacimurica, dénomination évidemment fautive qu'on ne rencontre dans aucun auteur latin, ni dans le Glossaire de Ducange, mais dont on ne saurait s'étonner outre mesure quand on étudie la légende placée au bas du plan intitulé: Description de la ville de Bar.

Si cette vue cavalière, publiée par Hoëfnagel, est une pièce suffisamment exacte et riche en renseignements pour l'histoire de notre cité, les indications inscrites au tableau explicatif laissent

(1) Cette tentative du roi de France sur le duché de Bar me remet en mémoire que, considérant les Alpes et le Rhin comme les limites naturelles de son royaume, Louis XI ne voulait aucunement qualifier du titre d'aubains ceux qui, bien qu'ils ne lui fussent pas nominalement soumis, habitaient en deçà de ces limites. «Car le Roy a voulu et veult tousjours soubstenir et maintenir que le royaume s'extend d'une part jusques ès Alpes où est encloz le pays de Savoye, et jusques au Rin où est encloz le pays de Bourgoigne." (Registres consulaires de la ville de Lyon. G. Guigne, Bibl. historique du Lyonnais, p. 448).

(2) L'acte rapporté par Joly de Fleury dit en effet que le roi fit redresser les murailles et les portes sur lesquelles furent mises ses armes.

ARCHÉOLOGIE.

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