Images de page
PDF
ePub

La tradition locale fournit un troisième procédé de classification. Il y a très grande chance que quiconque se dit Berbère soit Berbère. Mais la réciproque n'est pas vraie. Beaucoup se prétendent Arabes qui ne le sont pas. La race arabe étant en effet la race conquérante, celle qui a donné sa foi et sa langue, passe pour plus noble que les autres et l'on tient à se réclamer d'une origine aussi haute.

Le langage fournit aussi des indications. Mais il faut ne les accepter qu'avec prudence (1) et dans le même sens que la tradition locale. Qui parle berbère est vraisemblablement berbère. Mais qui parle arabe n'est pas sûrement arabe. Car beaucoup de Berbères ont appris l'arabe et certains même ont oublié leur idiome maternel. Le quatrième mode d'appréciation n'est donc pas sans difficulté dans la pratique.

Le cinquième principe qui s'appuie sur la constitution sociale et les mœurs est de beaucoup le plus sûr, le plus général, celui auquel il faut s'adresser pour trancher les difficultés et qui permettra presque toujours de lever les doutes. La constitution sociale et les coutumes sont si profondément différentes chez les Berbères et chez les Arabes, qu'il sera possible la plupart du temps de discerner l'origine véri

(1) Ce n'est pas la thèse de tout le monde. M. Loubignac m'écrit par exemple: « Je crois au contraire que le véritable critérium en matière d'ethnologie est la langue, non pas le seul sans doute, mais le plus important. Une race, un groupe n'est vraiment dénationalisé que s'il a perdu l'usage de sa langue primitive pour adopter celle du vainqueur ou de l'élément absorbant. Voyez les efforts des Allemands pour imposer leur langue en Alsace-Lorraine et en Pologne. Voyez l'irrédentisme. Voyez les sympathies des Belges flamands pour l'Allemagne, des Belges Wallons pour la France. C'est qu'un changement de langue implique un changement dans la manière même de penser, qui lui même implique des changements physiologiques. » Certains de ces arguments sont forts, mais je suis loin d'être convaincu. J'ai à peine effleuré le sujet dans mes études de morale sociale. Je n'ai pas le loisir de le discuter longuement ici. J'espère pouvoir fournir ultérieurement une démonstration plus achevée de mon opinion sur ce point délicat. Je me bornerai ici à citer un passage des études du LieutenantColonel Cotten sur les races sénégalaises et soudanaises : « Il existe vers Tiguida à l'ouest d'Agadez en bordure des Touaregs, une tribu noire qui prétend être apparentée aux Djermas (de race Malinké); peut-être reste-elle en effet comme témoin de l'ancienne occupation Songhaï dans cette région ; il est vrai qu'elle parle tamacheq, mais la langue ne prouve rien ; car à côté une tribu maraboutique touareg parle Songhaï. >>

table des clans qui se sont pénétrés, mêlés et emprunté des modes de vie. Dans les notes que nous jetons sur le papier, le sommaire du chapitre relatif aux caractères essentiels de la race berbère est ainsi rédigé : instinct démocratique; la djemaa, les arbitres; instinct de propriété; âpreté au travail; esprit d'indépendance; lutte contre l'étranger, les cofs; quasi indifférence religieuse. Si l'on voulait au contraire caractériser la race arabe on reconnaitrait qu'elle possède, elle aussi, l'esprit d'indépendance et qu'elle hait l'étranger, que les luttes intestines la déchirent; mais ces traits si nets jadis s'atténuent en partie, l'Arabe s'incline, par force, sans trop de révolte cependant, sous la main étrangère et les querelles entre voisins s'apaisent peu à peu. Quant aux autres caractères qui distinguent si sûrement le Berbère, ils sont tout le contraire de la vie arabe. Organisation aristocratique, justice du maître, instinct nomade, fatalisme du laisser vivre, passion coranique, tels sont les signes auxquels se reconnaît une tribu venue des déserts lointains de la Mecque.

On a essayé de tirer argument d'autres considérations pour classer les tribus, par exemple de différences physiologiques, physiques ou psychiques. Sur ce point nous serons très affirmatifs. Ces considérations sont à peu près sans valeur. En effet, on possède aujourd'hui la presque certitude que les Berbères ont en partie un cousinage très ancien avec les Arabes; on ne peut donc guère tirer argument de la forme des crânes, des poitrines, du pigment de la peau, etc. D'autre part on sait que dès la préhistoire, les Berbères autochtones présentent au moins quatre types très nets et fort différents les uns des autres. Enfin la communauté d'habitat a unifié dans une certaine mesure les types, a prédisposé les corps aux mêmes maladies, a créé des accoutumances, des résistances assez semblables.

On a prétendu également que la race berbère était plus intelligente que la race arabe. Cela semble en partie démontré. Mais il est difficile d'établir sur cette constatation une théorie quelconque, car les tribus arabes et surtout berbères, présentent à la même époque, dans un pays aussi cloisonné que l'Afrique du Nord, des âges de civilisation très distincts. Gardons-nous d'ailleurs de prendre trop au pied de la lettre cette règle de la supériotié berbère, car elle souffre de très nombreuses exceptions. Ni la plus rapide adaptation aux méthodes modernes, ni l'aptitude aux arts mécaniques ne peuvent permettre d'affirmer cette prééminence du Berbère; il suffit pour contrebalancer ces mérites de mettre par exemple en parallèle l'habileté et le goût de l'ouvrier arabe.

XIX. - Un peu de bibliographie

Tunis, Alger, Janvier 1922-Novembre 1923.

Continuons à recevoir des lettres et des demandes. (1) « Vous serait-t-il possible de nous indiquer ceux des auteurs qui ont particulièrement traité de l'Afrique du Nord ? » Comment répondre à question pareille? Quelles sont les sources générales de l'étude nord-africaine, voilà ce que demande notre correspondant !

Oui, question bien indiscrète... et bien difficile, à laquelle cependant nous allons essayer de satisfaire, car aussi bien cette recherche est indispensable au développement de nos études. Du moins, cet essai rapide de classification, ne peut être qu'un travail préliminaire et approché.

Nous nous étendrons assez longuement sur l'œuvre d'Ibn Khaldoun parce qu'on nous en a prié.

Observations préliminaires.— Au paragraphe XI de cette introduction générale, cinq auteurs ont été signalés comme ayant donné au public qu'intéresse le Nord-Africain des études d'ensemble qu'il est indispensable d'avoir lues.

En parcourant ces cinq auteurs on connaîtra la plupart des écrivains antiques et modernes auxquels on puisse se référer utilement. Presque tous ont été utilisés et cités par Ibn Khaldoun, par Fournel, par Mercier, par Piquet, par Stephane Gsell.

De ces écrivains antiques et modernes nous allons essayer de dresser une liste, qui sera loin d'être complète, mais dans laquelle nous espérons n'omettre aucun ouvrage de valeur reconnue.

Ce travail a tenté, au moins partiellement, plusieurs de nos devanciers. C'est ainsi que Carette ouvre son traité « Origine et migrations des principales tribus de l'Algérie » en citant des géographes anciens qui se sont efforcés d'établir une classification des peuples africains dans l'antiquité. On consultera également avec fruit Quedenfeldt, dont les premières pages forment une excellente introduction historique.

Mais une bibliographic, comme celle que nous désirons ébaucher, ne saurait contenir uniquement des noms de géographes ou d'historiens. Notre but n'est pas de décrire géographiquement l'Afrique du

(1) Quelques feuillets de cette introduction générale ayant été publiés dans le Bulletin de la Société de Géographie d'Alger, nous avons reçu de nombreuses lettres sur le sujet.

Nord et de résumer historiquement les faits et gestes des races qui la peuplent. Nous recherchons ce que le continent sera demain au triple point de vue ethnologique, politique et économique. Notre enquête doit donc être très large et notre bibliographie, pour avoir quelque utilité, doit englober tous les auteurs qui ont étudié le Nord de l'Afrique sous l'angle juridique, sociologique, agricole, militaire, etc...

La tâche devient donc singulièrement ardue. Et l'on comprendra que dans le foisonnement des études, nous devions nous borner, au moins en ce qui concerne la période contemporaine, à indiquer seulement celles qui ont connu le succès, celles qui offrent des idées. originales, celles qui ont été particulièrement discutées, etc...

Nous insistons sur ce point que cette bibliographie n'est qu'un schema très imparfait, destiné à faciliter des études personnelles plus poussées à qui voudra bien la parcourir,

A.

Historiens et Géographes de l'Antiquité. Dans les multiples notes qui enrichissent les quatre volumes parus de son histoire antique de l'Afrique du Nord, il arrive à Stéphane Gsell de citer d'anciens auteurs comme Hécatée, Eratosthème, Artémidore. Mais les plus connus de ces écrivains des premiers âges sont Scylax et Hérodote, qui, trois siècles avant la chute de Carthage ont étudié, Scylax les villes, Hérodote les peuples de l'Afrique du Nord. Au temps de Scipion Emilien l'Arcadien Polybe (208-105 avant Jésus-Christ) donne en grec sa remarquable histoire générale ; il cite les grecs Silenos et Sosylos. Ajoutons S. Fabius Pictor, qui, vers 200 avant J.-C., est un bon historien.

Le premier siècle avant notre ère compte trois auteurs célèbres, qui se sont occupés du nord-africain : Cornélius Nepos (94-30) qui écrit les Annales, les Exemples et un De Viris ; Salluste (86-35) qui administre l'Africa Nova pendant dix-huit mois de 46 à 45 et écrit de 42 à 40 son Jugurtha, dont on peut suspecter parfois l'impartialité mais dont on ne peut nier la couleur ; enfin Tite Live (59-16) dont l'Histoire Romaine ne comprenait pas moins de 142 livres.

Au premier siècle de l'ère chrétienne nombre d'écrivains célèbres sont à consulter en matière nord-africaine. Voici d'abord Silius Italicus, le poète des Puniques (25-101) et l'historien Pline l'Ancien (24-79). Voici Velleius Paterculus, officier de Tibère, dont l'histoire narre la fin du règne d'Auguste et le commencement de celui de Tibère. Trogue Pompée donne les Histoires Philippiques. Valère Maxime, les Faits et dits mémorables en neuf livres. Le grec Diodore de Sicile publie la Bibliothèque historique, sorte d'histoire universelle; il utilise les

historiens grecs Ephore, Timée et Philinos. Le grand Tacite, qui compose les Histoires et les Annales nait en 55 et meurt en 120. Le grec Plutarque, auteur des vies des hommes illustres de la Grèce, est son contemporain (50-125). Parmi les géographes le grec Strabon de Cappadoce, écrit un siècle et demi après la chute de Carthage, au moment où Rome domine l'Afrique jusqu'à Bougie ; il meurt sous Tibère; sa géographie est précieuse. Pomponius Mela dans son «Etat du monde» fournit quelque cinquante ans plus tard des renseignements de prix. Beaucoup des auteurs du deuxième siècle écrivent en grec.

C'est le cas d'Appien, d'Elien de Preneste et quelquefois de Suetone. A ces trois noms d'historiens ajoutons celui de Florus qui donne d'après Tite Live, un abrégé de l'histoire romaine assez discutable, celui de Justin, abréviateur de Trogue Pompée et surtout celui d'Apulée, qui, romancier, avocat, savant et philosophe, inaugure brillamment, écrivant parfois en langue grecque, la littérature africaine. Un grand géographe dans ce siècle, Ptolémée, grec d'Egypte.

Au troisième siècle l'historien Dion Cassius écrit en grec et Aelius Spartianus est l'un des six auteurs de l'histoire Auguste qui embrasse la fin du troisième siècle et le commencement du quatrième. On trouve des détails plein d'intérêt dans les œuvres de Saint-Cyprien et SaintHippolyte insère dans sa chronique (234) le « stadiasme de la grande mer », c'est-à-dire les instructions nautiques de Carthage.

Eutrope, qui écrit un abrégé historique, composé sous le règne de Valens, Orose qui base sur l'action divine tout le développement de son histoire contre les païens », Ammien Marcellin, d'Antioche, qui écrit une œuvre historique allant du règne de Nerva à la mort de Valens (378) et Aurélius Victor, qui, né à Leptis, édite à la fin du siècle une grande histoire des empereurs, sont les quatre principaux représentants au quatrième siècle de l'effort historique intéressant le nord-africain. Citons encore Macrobe. L'Eglise chrétienne produit Saint-Jérôme l'Illyrien (331-420), esprit encyclopédique et l'incomparable Saint-Augustin, dont on ne célébrera jamais assez le rôle en ces pays. Nommons également Solin.

Au cinquième siècle les tenants de l'histoire romano-lybique sont : Prosper d'Aquitaine (403-465) auteur de l'Epitome chronica, sorte d'histoire universelle ; Zozime, grec qui compose l'histoire nouvelle. L'Eglise offre Salvien de Marseille (390-484), prêtre et orateur et Victor de Vite (ou d'Utique) qui, né à Vite en Byzacène, écrit le traité << de Persecutione-Wandalica», meurt en 490 et est canonisé. Dans le domaine géographique, voici le philosophe Ethicus, auteur d'une cosmographie appréciée, qui donne sur l'Afrique de nombreux détails.

« PrécédentContinuer »