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1o Les diverses races qui ont été étudiées dans les chapitres précédents ont-elles des traits communs ? Et quelles sont les principales différences qui les séparent?

2o La nature africaine n'exerce-t-elle pas sur les diverses races une influence certaine et ne crée-t-elle pas chez elles des rapprochements ?

3o Y a-t-il oui ou non une unité africaine ? Une unité physique, c'est-à-dire une unité géographique ? Une unité ethnique, à l'origine, dans le présent? Peut-on parler d'une unité d'intérêts qui rende les divers habitants solidaires les uns des autres ?

4o L'avenir créera-t-il une race africaine, résultat de la vie en commun, du rapprochement des races, d'une certaine unification des tempéraments, d'une communauté d'intérêts ? C'est le problème de la justaposition des races, ou de l'assimilation ou de la fusion.

5o L'Afrique sera-t-elle un jour un état indépendant ? Comment et dans quelles limites?

le

Ces cinq problèmes principaux ayant été examinés, nous ne disons pas résolus, on pourra passer, avec quelque chance de ne pas commettre trop d'erreurs, avec l'espérance de n'en commettre que strict minimum, à l'énoncé, pour ainsi dire doctrinal, des principes qui doivent régir la politique africaine. La matière de ce dernier livre sera le parallèle établi entre les droits et les devoirs de la France d'une part, les droits et les devoirs de l'Afrique du Nord d'autre part. Ce sera à la fois le couronnement de l'édifice et la raison d'être de tout le travail. Car si on n'a pas perdu de vue le but vers lequel tend cette œuvre, on reconnaît que les premiers livres n'ont d'autre valeur que de fournir les éléments des réponses que le dernier se propose de formuler.

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Avec quelque soin nous avons visité en 1920 toute la région marocaine qui nous demeurait inconnue, la côte de Mazagan, Safi, Mogador, Agadir et le Sous. Dans les derniers mois de 1920 et les premiers de 1921 nous avons complété notre documentation algérienne, en refaisant le vaste périple de toutes les contrées déjà connues, en parcourant les trois cantons qui nous demeuraient quelque peu étrangers, la région Nedroma-Nemours, le Sersou, l'Aurès; nous avons étendu par plusieurs voyages notre documentation tunisienne.

Et, sauf incident imprévu, nous allons gagner le Sahara Central. A la veille d'entreprendre ce grand voyage, nous avons donné à la Société de Géographie d'Alger un résumé de celles des idées nordafricaines qui sont exposées dans les dix premiers paragraphes de cette introduction.

Confrontons ces idées avec la réalité du jour.

XVII. La situation en Afrique du Nord au début de 1921

Rien à changer, à vrai dire, aux opinions générales émises de 1914 à 1919. Quelques remarques simplement, car l'aspect des problèmes ne s'est pas modifié. Au Maroc les questions sont toujours d'allure d'abord militaire; en Algérie le côté économique l'emporte ; en Tunisie il faut saisir la portée politique des actes. Une seule modification, le Sahara encore troublé en 1918-1919, est entièrement pacifié en 1921. Des raids d'automobiles et d'avions, un judicieux emploi des forces disponibles, ont remis toutes choses au point.

Trois faits cependants, deux de valeur locale, spéciaux à l'Algérie, un d'ordre général, se sont produits, qui exigent qu'on les souligne et qu'on les commente.

Les deux faits locaux sont le désastre agricole de l'année 1920 et l'insécurité qui règne depuis six mois en Algérie. La disette des grains et la mévente des vins sont d'autant plus sensibles qu'elles se produisent au lendemain d'années excellentes, durant lesquelles Européens et indigènes n'ont guère été engagés dans la voie de l'épargne ou des restrictions, au lendemain de la grande guerre qui a apporté dans les mœurs et dans les lois les changements nombreux et profonds que l'on sait. Quant aux attentats contre les personnes et les biens, ils emplissent aujourd'hui les pages des journaux de chaque matin.

Déficit des récoltes, misère du bled, crimes et délits répétés ont fait l'objet, en Afrique du Nord et en France, de polémiques très vives. Et comme il arrive toujours en pareil cas, deux opinions se sont opposées. Deux opinions également exagérées, celle des optimistes qui veulent prouver que tout est pour le mieux en Algérie, celle des pessimistes qui prêchent que tout y est perdu.

C'est ici que nous allons mériter l'épithète qui nous a été décernée d'homme de juste milieu. Nous croyons que rien n'est perdu. Nous affirmons même que rien n'est compromis. Mais c'est aller contre toute vérité et contre tout bon sens que de nier la réalité de la misère et de l'insécurité. Nous venons de traverser l'Algérie en tous sens. Partout les colons sont gênés; les restrictions du crédit des banques

s'ajoutent aux déboires agricoles, les ruines se succèdent et si plusieurs s'expliquent par l'imprévoyance ou l'exagération des dépenses, beaucoup sont imméritées. Partout les indigènes ont faim : qu'ils ne donnent pas l'effort de travail qui serait nécessaire, cela est certain ; mais avons nous la prétention de changer leur mentalité ? Et qu'ils soient insouciants, peu laborieux et qu'ils aient tous autres défauts que l'on voudra, cela les empêche-t-il d'avoir faim?

Quand le pain coûte trente sous le kilogramme et que la semoule est au même prix, comment n'y aurait-il pas de misère en un pays qui n'a pas les réserves d'une Métropole vieille de vingt siècles d'effort et de civilisation?

A cette situation existe-t-il des remèdes ? Tout ce qui peut être fait a été fait. Et l'administration, loin de faillir à sa tâche, a réellement mérité des éloges. Il n'est à la portée d'aucun Gouverneur de forcer la nature. Aucune mesure ne peut parer totalement à l'absence de pluie.

Quant à l'insécurité

qui est aussi réelle que la famine et le

typhus et qui n'est d'ailleurs que la conséquence de la misère générale, du manque de grain, de la disparition du cheptel, elle a causé chez le colon des inquiétudes et des angoisses qu'on ne peut passer sous silence. Dans ce domaine encore l'autorité française a fait ce qu'elle a pu. Mais il y a dans les douars bien des démobilisés indigènes, à qui la guerre a appris à avoir encore plus d'audace que leurs ancêtres pillards et qui constituent un danger pour quelques mois.

Il a plu davantage au Maroc qu'en Algérie et la récolte a été à peu près suffisante, les troupeaux n'ont pas trop souffert. La Tunisie, par une politique économique remarquable, possède des stocks de céréales qui la sauvent. Le malaise, le mal même, est donc localisé en Algérie.

Le fait d'ordre général auquel il a été fait allusion est la propagande panislamique. L'immense vague de la guerre a laissé des remous en pays d'Islam. Toutes les nations musulmanes sont plus ou moins étroitement solidaires les unes des autres et l'agitation qui naît dans l'une risque de se transmettre à l'autre, mais de manière différente et avec plus ou moins de vivacité.

En Algérie des discussions assez ardentes et non sans intérêt se sont élevées et se poursuivent présentement, que les uns qualifient de campagne pro-indigène et que d'autres dénomment campagne anti-indigène. C'est dans la situation économique délicate de l'Algérie qu'il faut chercher l'origine de ces discussions; et elles n'ont au fond

qu'une portée restreinte. Mais l'existence dans le monde oriental d'un vaste mouvement à la fois politique, social et religieux risque toujours de compliquer les problèmes musulmans ; et que certains s'en effraient c'est compréhensible. Car on ne sait jamais à l'avance sur quelle ligne du sol on arrêtera un incendie qui se propage.

Pour nous, dont l'optimisme tenace a tant de raisons de s'affirmer, nous n'attachons à ces campagnes d'idées que la valeur restreinte qu'elles nous paraissent posséder. Que certains indigènes réclament ce qu'ils croient être une amélioration de leur statut politique, on ne saurait leur en faire un grief. Que la nation protectrice étudie avec soin ce qui peut-être fait en leur faveur, c'est son devoir. Et si les Français d'Algérie disent un mot sur la question, c'est bien leur droit. Nous ne redoutons nullement ce choc des idées. Nous considérons la domination de la France comme suffisamment assise en Algérie, pour qu'elle ne puisse pas être sérieusement menacée ; et d'autre part les peuples même les plus figés au point de vue politique et social subissent une évolution qu'il n'est au pouvoir d'aucune force de coercition d'arrêter; double raison pour que nous tenions grand compte de l'état d'esprit de nos Indigènes français. C'est le premier principe qui doit guider notre politique en pays musulman. Et le second est aussi simple et aussi juste : la France doit, dans l'intérêt même de ses sujets africains, conserver une maîtrise absolue sur l'Afrique du Nord.

Nous ne pouvons développer davantage ces idées, nous ne saurions exposer en quelques pages de préface, ce qui constitue précisément la matière du livre que nous avons entrepris d'écrire. Nous nous bornons à dire : l'avenir de l'Algérie est dans l'union des races pour et par le travail ; il y a place pour tous sous le soleil d'Afrique.

Nous y insistons: la fermentation qui n'est point grave - est en Algérie issue des conditions économiques et elles ne paraît prendre par instant un caractère politique que sous l'influence de quelques rares personnalités indigènes ou européennes - et de quelques idées que l'on craint de voir venir plutôt qu'elles ne sont venues de Russie, du Caucase ou d'Anatolie. En Tunisie au contraire l'aspect économique du problème se voile et ce sont de véritables revendications politiques que formulent les jeunes tunisiens, dont les relations avec les milieux orientaux ne sont guère niables. Ce ne sont pas ces revendications où perce plus d'aigreur que de bonne foi, auxquelles nous devons nous attacher. Si par hasard et par malheur les protestations d'une infime minorité devenaient plus véhémentes et se teintant de communisme, constituaient un danger, le Gouvernement de la Régence ne manquerait pas d'appliquer la règle qui est en trois

mots tout le programme nord-africain de la France civilisatrice : fermeté sans brutalité.

Mais disons tout de suite que si en matière de politique NordAfricaine et de sociologie musulmane tout doit être pris au sérieux, ce serait une faute grave que de prendre trop vite les choses au tragique. Rien n'existe en Tunisie qui soit comparable à ce qui se passe en Egypte, où le mouvement anti-anglais est un mouvement en largeur et en profondeur, résumant les aspirations générales du pays et traduisant un patriotisme exaspéré que des mesures draconiennes empêchent d'éclater librement.

A qui voudrait connaître exactement les améliorations de tous ordres qui peuvent être très vite et sans difficultés apportées à la vie de la Tunisie, nous recommandons de lire les études publiées sous la signature Rod Balek dans le bulletin de l'Afrique française (1921). Ces articles dont la publication durera encore plusieurs mois constituent l'enquête la plus loyale qu'on puisse imaginer. Le sens des réalités, des possibilités, s'y allie au souci constant de justice. Quiconque veut faire œuvre coloniale dans le Nord de l'Afrique doit se pénétrer de ces pages. Heureuse nation que celle qui peut établir et qui réalisera des programmes si près de la vérité, si sains ! Et comme des enquêtes de ce genre nous confirment dans l'opinion que nous avons longuement exposée aux chapitres précédents que la France est digne de sa mission africaine !

Cette mission africaine se double aujourd'hui d'une mission dans le Proche Orient. Le mandat que la France a reçu charge d'exercer en Syrie l'oblige à assouplir à nouveau ses procédés de gouvernement; et les circonstances la forcent à être prudente en matière d'action militaire.

Les opérations présentent des analogies avec celles d'Algérie et du Maroc. Mais une différence est essentielle : l'ennemi a des troupes régulières, encadrées, disposant de mitrailleuses et de canons. Aussi sommes nous obligés de mettre en œuvre tous les moyens modernes, avions, chars d'assaut, etc.

Les principes de la progression et de l'organisation du pays sont ceux qui ont fait leurs preuves en Algéro-Tunisie et au Maroc. Il n'est que de les modifier à la demande des circonstances locales. Nous ne parlons que de ce qui a trait à l'aspect militaire des problèmes à résoudre.

Car en matière politique, tout est différent. Nous n'avons plus affaire à un peuple en somme homogène comme le Maroc, mais à une mosaïque de nationalités, rivales de religions, différentes d'idées politi

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