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en Kabylie, le développement de firmes commerciales d'origine berbère au Maroc, tout cet ensemble de certitudes constitue un troisième fait, d'ordre économique, qui a sa valeur. Fait social intéressant, quatrième argument qu'on puisse fournir : l'instruction est chaque jour plus répandue chez les Berbères, chaque jour en Algérie et au Maroc des indigènes d'origine berbère sont associés à la conduite des affaires ; la masse paysanne berbère algérienne qui a fait la guerre et qui a voyagé, la masse paysane berbère marocaine, qui se civilise, commerce avec nous, les Berbères sahariens dont certains, comme les Mozabites, ont toujours été très avertis, dont d'autres comme les ksouriens sont en contact de plus en plus étroit avec l'européen, dont d'autres enfin, comme les Touareg se soumettent de manière définitive, tous ces Berbères, en tous cantons du continent africain, progressent au point de vue intellectuel. Cinquième fait, sociologique celui-là: la valeur du nombre. Nous avons montré dans le chapitre intitulé démographie des Berbères, que la venue du Maroc au bloc français nord-africain, bouleversait complètement la proportion jusqu'ici existante entre l'élément berbère et l'élément arabe dans la masse indigène et que si l'on ne prenait pas davantage conscience de cette rupture d'équilibre ethnique et si elle n'offrait pas de cause de perturbation, c'est que les Berbères Marocains étaient dans toute la partie riche et pour l'instant importante de l'Empire, fortement arabisés.

Toutes ces choses, des Berbères en nombre croissant les savent. Et sentant leur force, ils peuvent avoir des désirs. Ils peuvent entrevoir les lois de leur évolution. Car ils peuvent fixer ce qui doit rester intangible de leur coutume et de leurs mœurs et ce qu'ils ont loisir d'emprunter sans danger à la vie européenne. S'ils arrivent à faire ce départ, ils seront vraiment une race supérieure.

Y parviendront-ils ? Peuvent-ils clairement concevoir et réaliser cet amalgane? A cela deux conditions: d'abord que l'amalgame soit possible; secondement que la France le favorise. Nous aurons à rechercher si, greffant des idées neuves sur le vieux tronc numide, les Berbères du vingtième siècle peuvent faire pousser en sol nord-africain des arbres vigoureux. Et nous démontrerons que, si cette œuvre est réalisable, la France seule peut la réaliser.

Mais si l'heure n'est pas encore venue pour nous d'aborder cette discussion qui formera l'une des parties les plus dignes d'intérêt d'un volume ultérieur on conçoit que d'autres l'aient déjà abordée et qu'elle soit de nature à passionner de nombreux Berbères.

En est-il qui aillent jusqu'à rêver d'une Afrique exclusivement berbère et qui ne considèrent la France que comme l'éducatrice chargée

d'élever un enfant et de lui laisser, quand il sera grand, la pleine liberté du vouloir et de l'agir? Ce n'est pas impossible. Mais pour l'instant, la formule « la Berbérie aux Berbères » n'est pas encore de mise. Le sera-t-elle jamais ? Nous ne le pensons pas et nous dirons pourquoi. Quoiqu'il en soit, en terminant cette longue étude, à laquelle nous avouons avoir pris un vif plaisir, formulons en quelques lignes, les questions que nous laissons en suspens.

V. — Les problèmes berbères. — On peut les résumer ainsi :

1o La Berbérie absorbera-t-elle la civilisation et la race arabe, comme elle s'est assimilée les civilisations et les races qui ont antérieurement dominé en Afrique : Carthage, Rome, les Vandales, les Byzantins?

20 Si la Berbérie s'annexe avec le temps tout le monde arabe nord-africain, n'est-elle pas capable d'attirer à elle et de façonner à son moule même les Européens ?

Si nous répondons par l'affirmative, il est tout à fait superflu de parler de colonisation, de peuplement et notre effort en ce pays est parfaitement inutile. Si nous répondons par la négative à l'une des questions ou aux deux, d'autres points d'interrogation surgissent.

En effet si nous arrivons à cette conclusion que la race berbère ne peut absorber ni les Arabes, ni les Européens et si elle est obligée de subir leur action, trois hypothèses se présentent. Ou bien la race berbère, qui aura dû aux Arabes quelques enseignements, rares certes mais réels tout de même pour un peuple qui a oublié tout le passé latin, et qui sera redevable à la France de son initiation à la vie moderne, s'estimera désormais à même de se diriger elle-même et voudra se libérer de tout maître. Cette conception la conduira à rejeter la France hors d'Afrique et comme il est certain que la France n'abandonnera pas bénévolement sa conquête, une ère de troubles s'ouvrira qui pourra être longue et grave. Remarquons que nous n'envisageons pas le conflit entre les Berbères et les Arabes pour cette double raison que les Berbères ont emprunté aux Arabes toute une série de traits de mœurs qui constituent précisément l'arabisation de la Berbérie et que pratiquement les Berbères ont depuis plusieurs siècles résolu le problème de vivre à côté des Arabes sans être gênés par eux.

Ou bien les Berbères, bien qu'ayant le désir d'être maîtres en Berbérie, ne se sentiront pas assez forts pour réaliser ce rêve et alors bon gré mal gré, ils s'accommoderont de la présence des Français. Ce sera de bon gré si la réflexion, l'instinct, des sentiments évolués leur

montrent toute la valeur et tout le profit de cette association; ce sera malgré eux, si ayant essayé de se libérer, par la ruse ou la violence, ils n'ont pu y parvenir et ont dû s'avouer vaincus. Il va sans dire que dans cette hypothèse, les Arabes ont également leur place en Afrique du Nord.

Ou enfin par une évolution lente et que l'histoire ne semble pas présager, les Berbères viendront loyalement à la vie occidentale moderne et demanderont à la France de s'asseoir en fils à son foyer. Ce futur trop beau paraîtra chimérique à beaucoup de bons esprits. Mais notons que dans un aperçu d'ensemble qui envisage toutes les hypothèses plausibles, nous n'avons pas plus le droit de rejeter cette éventualité que celle de l'insurrection générale contre notre domination.

Et nous sommes ainsi conduits à poser de nouvelles interrogations que nous numérotons trois, quatre, cinq, six.

3o La race berbère croyant avoir appris de ses éducateurs fran- . çais l'art de se conduire elle-même, cherchera-t-elle à les rejeter, pour réaliser la formule « La Berbérie aux Berbères».

Qu'on ne nous accuse pas de sacrilège. Nous répétons que dans cet examen impartial nous devons examiner toutes les hypothèses, même les plus douloureuses à notre patriotisme, même celles qui ne semblent avoir aucune chance de se poser.

4o La race berbère devant renoncer après échec à toute tentative de vie autonome absolue ou comprenant l'inanité d'un tel dessein, tendra-t-elle à une adaptation à la vie moderne : en association avec la race arabe ou avec les Européens, ou avec les deux, association d'abord basée sur la communauté des intérêts économiques?

La question, on le remarquera, pourrait être posée de manière plus générale. Si nous la posons sur un terrain aussi étroit, c'est que nous croyons d'ores et déjà ceci établi : trop de différences séparent le Berbère de l'Européen, pour que nous puissions envisager à échéance rapprochée une collaboration étroite, fondée sur autre chose que la communauté des intérêts économiques. Et si une union plus intime, intellectuelle, morale, etc., doit jamais exister, elle aura certainement été précédée par l'accord sur le terrain économique.

5o L'Islam qui n'a pas imprégné jusqu'au fond l'âme berbère, n'a-t-il cependant pas agi suffisamment pour rendre notre action sur la Berbérie plus difficile que celle de Rome?

Cette question peut paraître secondaire, elle a son intérêt. Ne serait-ce que pour éviter des généralisations hâtives, des imitations serviles et peut-être des déboires inutiles.

6o La race saura-t-elle modifier suffisamment son âme et ses coutumes ancestrales pour se moderniser tout à fait et collaborer avec la France, loyalement, entièrement, dans une union qui créera un peuple nouveau; dans une union qui ne sera pas l'absorption de l'un par l'autre, mais une fusion heureuse et définitive?

TABLE DES MATIÈRES

Introduction générale aux Etudes Nord-Africaines

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Coran et les Berbères, 34. - Marabouts et confréries, 35. —L'Islam et

la vie moderne, 36.

IX. Nouvelle position donnée par la guerre de 1914 aux problèmes nord-africains.
Au Maroc, 37. - L'action politique et militaire, 37. En Algérie,

Tunisie, 38. - Effort de recrutement, 38. Effort économique, 39.

Leurs conséquences, 40. Questions diverses, 40.

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