Images de page
PDF
ePub

partiments définis et de composer un chapitre sans être quelque peu obligé de revenir sur les précédents et d'amorcer les suivants.

Cette introduction générale commence, d'ailleurs, à s'allonger suffisamment pour qu'il soit nécessaire de mettre en lumière les idées et les faits principaux qui doivent émerger, servir de points de repère et dont la connaissance très exacte est indispensable au choix de la méthode à employer pour en vérifier l'exactitude ou la fausseté.

Nous sommes partis de ce postulat que si la France a l'ambition d'accroître sa puissance, son avenir ne peut être qu'en Afrique du Nord et que dès lors une étude approfondie s'impose des conditions de la vie nord-africaine. Nous avons voulu collaborer à ce grand œuvre. Et il nous est apparu que la besogne la plus urgente était de noter, en toute sincérité de conscience, l'état actuel de nos connaissances pour pouvoir utilement aiguiller nos recherches futures, préciser les points douteux, combler les lacunes de notre documentation et de nos opinions. Nous avons été amenés ainsi à formuler un certain nombre d'affirmations et à poser un certain nombre d'interrogations qui doivent être les premières démontrées, les secondes résolues. Quelles sont-elles? Elles se ramènent à six :

1o L'Afrique du Nord est un creuset où ont toujours bouillonné les races, et où aujourd'hui encore elles sont nombreuses; il faut que les mœurs et l'histoire de ces races diverses nous soient très familières, si nous prétendons émettre quelque prophétie sur la possibilité ou l'impossibilité de leur fusion future.

2o Deux races indigènes vivent côte à côte, qui toutes deux sont des races parvenues à un degré réel de civilisation, mais que de multiples caractères différencient. Les Berbères ont eu leur personnalité très accusée dès l'antiquité, ils l'ont toujours conservée plus ou moins, ils sont nombreux en Afrique du Nord ; c'est pourquoi il est si important, si l'on veut avancer quelque opinion sur leur francisation, de savoir à quel point ils ont subi l'influence des deux principaux conquérants de l'Afrique, à quel point ils ont été romanisés, à quel point ils ont été arabisés.

30 Les Arabes semblent avoir véritablement transformé l'Afrique en lui imposant leur loi religieuse. Mais parce que de nombreux indices montrent que l'islamisation des Berbères n'est pas aussi profonde qu'on le pourrait penser tout d'abord, il y a lieu d'entreprendre de ce fait religieux essentiel une critique très sévère.

4o Une race néo-européenne se crée par la fusion des colons français, italiens, espagnols, maltais, etc., qui sera très certainement une race à mentalité et à culture françaises, mais qui, comme les Arabes et les Berbères, subira un certain nombre d'influences dues au climat, au genre de vie, etc.

5o Tous les problèmes nord-africains voient leur position en partie modifiée par la guerre mondiale, qui équivaudra dans leur évolution générale à un demi-siècle peut-être d'efforts de toute nature; et on ne saurait trop attacher d'attention aux tranformations que cette guerre entraîne et entraînera dans la vie nord-africaine.

6o Les multiples problèmes de détail qui s'additionnent pour former le problème d'ensemble, il les faut traiter sous l'angle français, si nous avons acquis la certitude que l'Afrique du Nord ne peut être que française ; il les faut traiter par la méthode française dont le fondement essentiel est le respect des droits de chacun, Arabe, Berbère, Français, néo-français, seul fondement de la concorde et de la prospérité.

XI.

Etudier les livres c'est bien, ce n'est pas assez

De quels éléments disposer pour remplir le programme ainsi fixé? De très nombreux auteurs ont écrit sur l'Afrique du Nord. Plus loin on trouvera l'indication de ces sources. Pour l'instant il s'agit simplement d'énumérer les œuvres d'ensemble, qui formant étude générale ou corps de doctrine doivent être obligatoirement consultées.

La première en date de ces œuvres d'ensemble est l'histoire des Berbères d'Ibn Khaldoun. Cet ouvrage remarquable est resté longtemps peu connu faute d'une traduction : c'est en 1852 que le baron de Slane a commencé à mettre Ibn Khaldoun à la portée des lecteurs français. Il faut accorder crédit à cet historien et tous ceux qui prennent l'Afrique du Nord pour sujet de leurs travaux lui font de larges emprunts. Le titre même qu'Ibn Khaldoun a choisi laisse entrevoir l'idée maîtresse qui l'a guidé. Il glorifie les Berbères et voici un passage que tous les auteurs ont reproduit et que nous citerons non seulement pour rester dans la tradition, mais encore parce qu'il est significatif : «Les Berbères, dit-il, ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux, un vrai peuple, comme tant d'autres en ce monde... On a vu des Berbères, des choses tellement hors du commun, des faits tellement admirables qu'il est impossible de méconnaître le grand soin que Dieu a eu de cette nation. >>

Encore qu'Ibn Khaldoun exagère un peu nous sommes d'avis, comme lui, que les Berbères ont toujours fait preuve d'une vitalité qui semble leur garantir un brillant avenir. D'autre part, beaucoup de vues de cet historien sont justes et l'on peut tirer profit de ses observations. Il ne faut donc pas craindre de puiser chez lui. Mais les problèmes qui sont à aborder pour quiconque traite de l'Afrique du Nord au début du vingtième siècle ne se posent plus de la même manière qu'au temps où écrivait Ibn Khaldoun.

L'œuvre considérable et vraiment magnifique de Fournel, commencée en 1843 et publiée en 1875, a elle-même déjà vieilli. On sait comment Fournel, ingénieur des mines appelé à accomplir de longues missions en Kabylie, fut tout surpris de saisir les différences profondes qui séparaient la race berbère de la race arabe, différences que les plus érudits ignoraient presque totalement en France à cette époque, et comment, pour dissiper l'erreur dans laquelle vivaient ses contemporains et ses compatriotes, il se mit à compulser tous les auteurs grecs, latins et arabes, et put ainsi donner en deux volumes publiés par l'Imprimerie nationale, une histoire complète de l'Afrique du Nord depuis ses origines jusqu'au onzième siècle.

Les idées maîtresses de Fournel ont déjà été exposées. On sait qu'il est un guide à suivre souvent ; mais à n'avoir en mains que son histoire, un lecteur moderne resterait dans le vide par le seul fait même que l'âge à forcé Fournel à borner sa narration au XIe siècle.

De la même époque que l'œuvre de Fournel est celle de Mercier, qui commence à présenter ses études au public en 1875 et donne en 1888 sa grande histoire de l'Afrique septentrionale en trois volumes. On est d'accord pour considérer la connaissance des trois tomes de Mercier comme indispensable à quiconque veut entreprendre des études nord-africaines.

Mercier est un guide toujours sûr. Son ouvrage embrasse toute l'histoire du nord de l'Afrique et elle est la première à présenter ce caractère de généralité. Mais on peut remarquer qu'en pays neuf comme l'est le continent africain trente années amènent bien des changements dans la manière d'envisager les choses. Force est donc d'achever la pensée de Mercier, de reviser peut-être quelques-uns de ses jugements et surtout de noter l'accélération des mouvements de tous ordres qui sont la manifestation de la vie intense de notre Afrique du Nord.

On peut dire de Mercier qu'il est un auteur indispensable; il faut avoir son œuvre à portée de la main, car elle marque vraiment une

étape, elle fixe l'état de nos connaissances à une date déterminée ; et on doit la bien posséder avant de vérifier sur le terrain toutes conclusions émises en matière nord-africaine.

Plus récent et presque d'hier est l'ensemble des travaux de Victor Piquet. La plupart sont d'ordre assez général, et son livre sur les « Civilisations de l'Afrique du Nord » paru en 1909 est particulièrement utile à méditer. Dans cette introduction générale il a déjà été fait appel plusieurs fois aux idées de Piquet dont les recherches nous seront précieuses dans toute la partie purement historique des pages qui suivont celles-ci. Entre autres avantages, l'étude de Piquet sur l'évolution des civilisations nord-africaines offre ces deux d'être complète et rédigée à une heure où se précise le sens de cette évolution.

Si Piquet nous ouvre des aperçus heureux sur l'Afrique d'aujourd'hui, aucun auteur ne nous renseigne mieux sur les siècles de la préhistoire, de la domination punique, romaine, vandale et byzantine que Stephane Gsell. La série de ses publications est un monument d'érudition claire et sagace. C'est par la date de son apparition la cinquième des œuvres d'ensemble que nous tenions à citer. Sans doute Gsell ne traite que de l'Afrique ancienne et laisse totalement de côté le fait arabe. Mais son exposé si complet de la vie antique de l'Afrique du Nord aide remarquablement à saisir et à interpréter les événements postérieurs.

Ces cinq auteurs nous les avons dès maintenant parcourus. C'est à dessein que nous n'employons pas d'autre terme, car nous ne saurions prétendre avoir entièrement dépouillé ces quelques milliers de feuillets. Nous en sommes cependant à ce point que nous croyons connaître non seulement les directives générales de leur travail, mais encore posséder quelques-uns des détails de leurs démonstrations. Nous en sommes au point d'où l'on peut découvrir une vaste perspective, embrasser du regard tout le terrain à parcourir, juger des difficultés que l'on y rencontrera et qu'il sera obligatoire de surmonter. Libre à nous donc de dresser un plan général auquel pourra se conformer un effort de longue haleine.

Mais le principal fruit que nous retirons de ce commerce avec les auteurs énumérés est cette constatation déjà indiquée que pour mener à bien un travail de la nature de celui qui nous intéresse si vivement, il ne saurait suffire d'une science livresque. Annoter soigneusement les auteurs, les résumer, comparer leurs thèses ne permet pas de se créer une opinion. Cette période d'étude ne peut être qu'une période préparatoire. Elle est nécessaire mais non suffisante.

En la supprimant on s'agiterait en vain. En la négligeant on travaillerait mal dans la suite. En se bornant à elle on raisonnerait faux: il faut contrôler ses enseignements par le contact avec les réalités.

XII. Le contact de la vie nord-africaine est indispensable à qui veut la bien connaître

Et non pas le contact du voyageur qui décore du nom de mission d'étude le circuit d'agrément qui le promène pendant dix ou trente jours dans des sites célèbres ou dans un bled désert. Rien n'est plus dangereux que de se croire renseigné parce que l'on a estimé voir des choses intéressantes, neuves parfois en apparence, parce que l'on peut sur un ou deux exemples infirmer ou corroborer les conclusions des livres. Ce curieux des réalités de la vie, aussi ouvert soit son esprit et qu'il vienne de Paris, de Tunis ou d'Alger, ne peut en pénétrer le sens dans ce temps si court que limitent une arrivée et un départ de paquebots ou de wagons-lits. On se plait à citer, pour en faire saillir le ridicule, cette anecdote humoristiquement contée : un étranger débarqué à Boulogne et rencontrant sur le quai une femme aux cheveux roux écrit sur son carnet de route, les Françaises ont les cheveux roux. Que de fois cette anecdote se renouvelle en Afrique...

Il est permis de parler avec quelque connaissance de cause d'une région sans qu'on y ait longuement demeuré, mais à condition qu'on l'ait traversée plusieurs fois, en plusieurs sens, qu'on ait visité des régions voisines et analogues. Il est permis d'émettre des reflexions sur un usage, même sans en connaître à fond l'origine, si on l'a vu pratiquer en plusieurs lieux. C'est là, croyons-nous, le minimum que l'on puisse demander, et il ne faudrait pas descendre au-dessous du degré de certitude qu'offrent ces exemples. Le départ n'est pas difficile à faire entre l'honnêteté et le bluff; nous entendons naturellement le bluff inconscient, car il ne viendrait à l'idée de personne de tenir compte d'un avis, que celui qui l'avance saurait sans fondement.

Cette méthode consiste à ne pas borner au séjour dans quelques grandes villes ou à un court passage dans le bled sa documentation nord-africaine. Certes, celui qui habite Alger, Tunis, Fez est mieux préparé en principe qu'un Lyonnais ou un Rémois à parler des hommes dont il est asssez rapproché, des événements dont il subit un contre-coup plus immédiat. Mais il n'aura une vue exacte de ces hommes et de ces événements ne craignons pas de le répéter qu'en pénétrant dans les tribus, en observant sur place les rapports entre indigènes, entre indigènes et européens. N'exagérons pas

« PrécédentContinuer »