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tient quelquefois encore du tas de pierres tranconique ou cylindrique des anciens Lybiens (1).

Tous les traits de la vie courante confirment ce caractère exceptionnel de la société touareg. Le Targui est particulièrement heureux quand il a un fils, il élève ses enfants sans soin, pratique la circoncision lorsque le garçon a cinq ans, à sept l'envoie garder les troupeaux et le hisse sur un méhari. Mais les enfants ont souvent des noms de bêtes, les fils se voilent dès la puberté, les filles apprennent à jouer de l'amzad, violon dont les cordes et l'archet sont en crin de cheval. Et tout cela est très spécial aux Touareg. La vie conjugale a également ses régles particulières. La demande en mariage est faite par les marabouts et les tolbas; tous les parents de la fiancée doivent être informés, la fiancée est consultée, peut refuser le prétendant. L'époux peut répudier sa femme en restituant la dot, qui est de sept chamelles chez les nobles, d'une chamelle ou de moutons et de chèvres chez les imrad. Mais la femme peut divorcer à sa guise. En cas d'adultère, le mari peut tuer sa femme, mais il faut qu'il y ait flagrant délit, ce qui est rare.

La naissance des enfants, le mariage sont des occasions de fêtes, dont les rites sont réglés; les enfants jouent à une sorte de jeu de boules et modèlent divers objets avec de l'argile. Les hommes ont pour distraction des fantasia où le jet de la lance chez les Touareg du Nord, du javelot chez les Touareg du Sud, et les assauts au sabre et au bouclier sont les exercices principaux.

Si le Touareg meurt près d'un village il est porté au cimetière ; sinon il est inhumé sur place. Le mort, lavé à l'eau chaude, est enterré suivant le mode musulman. L'homme prend le deuil en restant trois jours sous sa tente; la veuve porte le deuil pendant quatre mois et dix jours: elle doit se couvrir les cheveux d'un voile noir, ne pas les peigner, porter des chaussures montantes au lieu de sandales, soustraire ses mains aux regards; en fin de deuil, il est fait une collecte à son profit. Il y a repas pour les tolbas et les pauvres les jours de funérailles.

L'héritage politique est réglé comme il a été expliqué, suivant les règles du matriarcat. L'héritage des biens privés est celui du droit musulman, le fils a droit à une part double de celle de la fille, les animaux sont estimés et l'on en fait des parts tirées au sort. «Chose étrange, dit Gautier, ce peuple a reculé au delà du vraisemblable les

(1) Sur tous ces points et les suivants concordance absolue chez tous les auteurs.

limites du dénuement ». Le mot richesse a, en pays targui, un sens qui n'est pas celui que nous lui accordons. Tout est relatif il est vrai, et la richesse du Touareg se modèle sur celle du Sahara.

Le Targui vit à peu près nu sur la terre nue. L'homme a une gandoura sans manche en cotonnade bleue, un pantalon à la hussarde serré à la cheville, son voile, des amulettes, un bracelet, de larges sandales plates. Les femmes ont une sorte de jupe, une chemise à manches, un haïk, des bracelets, des amulettes, des bagues, des boucles d'oreille. Les Touareg ignorent l'origine du voile; il sert, disentils, à cacher la bouche, organe impur, Frazer voit dans cet usage une survivance de l'animisme (1). Le Targui porte la barbe et rase la moustache. La tente touareg en peau de chèvre ou de mouton, est basse; elle contient peu d'objets, les uns en peau, les autres en bois de teborak ou d'acacia; la partie réservée à l'homme abrite la selle, les armes, de quoi abreuver les animaux, dans la partie réservée à la femme sont le violon, la selle féminine, les ustensiles de cuisine.

Le principal repas a lieu a midi, il est constitué par du sorgho à graines blanches, des dattes et du lait. Le soir, le Targui se contente de lait frais ou aigre ; il use rarement de viande et encore ne manget-il que du gibier. Tous sont friands de graminées, les riches ont un peu de blé, d'orge, boivent un peu de thé, le pauvre se contente de graminées et de graines de gommier. L'hospitalité est une loi.

L'agriculture abandonnée aux esclaves est fort peu de chose, quelques champs de céréales, de maigres jardins, des bosquets de palmiers, voilà toute la végétation entretenue. La principale ressource est le troupeau, il y a quelques moutons, quelques chèvres, trente bœufs dans tout le Hoggar, et des chameaux. Le chameau est l'animal le plus précieux. L'industrie est nulle, un seul ouvrier existe, le forgeron, et c'est un réprouvé. Tout le nécessaire de la vie et c'est peu qui ne se tire du pas pays, est apporté par caravanes du Tidikelt et du Touat, de Ghat et Ghadamès, de l'Aïr et du Niger; ainsi arrivent les étoffes, les cotonnades, le tabac, le sucre, le thé, le riz, le sel, des armes, quelques outils.

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Les Touareg parlent un dialecte berbère et l'écrivent avec un alphabet dont les caractères très primitifs, les tifinars, auraient été ceux de Minos quinze cents ans avant Jésus-Christ. Ils n'ont pas de

(1) On pense tout naturellement que le voile protège la peau et la respiration. Le chèche ne nous garantit-il pas contre le siroco, le froid, le sable, etc... GAUTIER n'accepte pas cette explication. « On n'imagine pas, écrit-il, pareille délicatesse chez des hommes aussi près du grand fauve... C'est d'ailleurs en plein désert, là où il serait utile, que les Touareg en prennent à l'aise avec leur voile.»

livres écrits en tamaheq, pas de chiffres et pour compter font des trous dans le sable (1).

VI. Démographie des Touareg. Les Touareg sont très peu nombreux. Gautier note qu'ils se connaissent tous entre eux et que les dures nécessités de l'alimentation au désert les ont soumis à la limitation des naissances; les guerres civiles d'ailleurs empêchent la population de croître. Au combat de Tit, les Touareg ont mis en ligne 299 combattants, ils ont eu 93 morts et ce combat a suffi à briser à tout jamais la résistance du Höggár. Ce fut pour lui un désastre dont aucune saignée de notre histoire européenne ne peut donner l'idée. Dans la grande guerre de trois ans qui a mis aux prises les deux confédérations du nord, les Ahaggar avaient réuni 800 guerriers, nobles et imrad, les Adzjer 900; et c'est le maximum de l'effort (2). Pour dénombrer les Touareg du Hoggar en 1907, Benhazera a dressé la liste nominative des nobles de chaque tribu : les Kel Rela, la tribu la plus noble du Hoggar, celle qui détient toute l'influence compte cinquante-quatre chefs de famille ! La totalité de la population touareg représente donc à peine quelques milliers d'individus.

VII. L'avenir de la race. Une race très peu nombreuse, qui seule a échappé aux transformations qui depuis quatre siècles ont plus ou moins fait évoluer toutes les tribus du Nord-Africain, une race qui plus sûrement qu'aucune autre descend des Maziques de Ptolomée et des cavaliers lanceurs de javelots de Massinissa, que les Marabouts andalous n'ont pas courbée sous l'orthodoxie musulmane, une race en un mot que le désert a protégée, et qui constitue aujourd'hui un <«< archaïsme ethnographique », tel est le peuple touareg. Il a vécu dans le désert, par lui, se façonnant à son image, en faisant la police, en assurant la garde, conservant les «connaissances hydrauliques legs de l'Egypte». Il a assisté « au desséchement progressif du Sahara et il est resté cramponné à ce cadavre en décomposition, luttant héroïquement et obscurément contre l'envahissement du néant. Nous avons relevé les Touareg de leur faction et nous avons assumé leurs responsabilités ; c'est une grosse révolution qui commence... Ils vont devenir sans doute des hommes comme les autres, en

(1) Comparer BISSUEL, loc. cit. p. 115 à 123.

(2) Sur la faiblesse des effectifs de guerriers, voir à titre d'exemple, la razzia de Daiet ed Drina et le Combat de Hassi Inifel. BISSUEI. (loc. cit. p. 193 et seq).

un petit nombre d'années ils passeront de l'âge de la pierre à celui de l'aviation ».. Nous venons de résumer les conclusions de Gau

tier (1).

Mais alors une question se pose: si ces Touareg sont bien les plus purs types de l'ancien Lybien, les mœurs particulières, qui les caractérisent et les différencient aujourd'hui de tous les autres Berbères, étaient-elles celles des anciens Lybiens? Le matriarcat, par exemple cst-il d'essence berbère antique ? L'horreur de l'agriculture, qui est bien le trait le moins berbère qui se puisse trouver, existait-elle au temps préhistorique en Afrique du Nord? Ou bien les Touareg ont-ils ajouté ces caractères particuliers à d'autres qui les apparentent sûrement aux premiers habitants de leur continent, et comment et pourquoi ? La question est d'importance. Nous essaierons de l'élucider plus tard.

(1) Comparer Commandant DUCLOS: « Les territoires du sud de l'Algérie› p. 195, vol I.

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I.-Vue d'ensemble sur le Mzab et les Mozabites. Gautier a dit dès Touareg qu'ils constituaient un archaïsme ethnographique. Si la société targui est un anachronisme, le Mzab est une gageure. Il est né d'une crise de désespoir et d'un acte de foi. On peut le définir une colonie fondée par un groupe de persécutés dans le pays le moins propre à être colonisé. En cherchant dans le lit de l'oued Mzab, les rares points qui permettent l'éclosion et le développement de la vie de cette contrée, l'une des plus déshéritées de la terre (2), les Mozabites (3),

(1) Bibliographie. On trouvera une bibliographie très complète sur le Mzab dans l'ouvrage de Marcel MERCIER : « La civilisation urbaine au Mzab»>, Alger 1922. L'auteur cite 68 sources différentes. En dehors des ouvrages déjà connus de MARMOL, IBN-KHALDOUN, FOURNEL, MERCIER, DAUMAS, RINN, etc.

1o Quatre études de DUVEYRIER, (1857-1861-1876-1878), toutes quatre consacrées au Mzab;

2o Cinq études de MASQUERAY (1878-1879-1880-1886) dont deux consacrées spécialement au Mzab;

3o Six études de RENÉ BASSET (1885-1887-1888-1890-1893-1899) dont deux traitent uniquement du Mzab;

4o Neuf études de MOTYLINSKI (1884-1885-1889-1899-1905-1907) dont trois uniquement consacrées au Mzab;

5o Trois études d'AMAT (1884) sur l'anthropologie, la géologie, la flore et les eaux du Mzab;

6o Trois études de ZEYS (1886-1891-1891) dont deux sur le droit mozabite, une, récit de voyage au Mzab;

7° Une étude de géographie humaine de J. BRUNHES sur le Mzab 1902 ; 8o Deux études de droit de MORAND (1910 et 1921);

9o Des récits de voyage : EL AIACHI et MOULAY AHMED 1846; COLONIEU, 1863; VILLE, 1872; LIOREL, 1893; TROTTIGNON, 1897; DE L'EPREVIER, 1897; CHOBAUT, 1898; HUGUET, 1899;

10o Des études diverses: VILLE; TRISTAM; AUCAPITAINE ; NAPHEGYI ; SOLEILLET; COYNE; ROBIN ; IBRAHIM EL BERRADI ; ROLLAND; ECH CHEMAKHI ; SCHIRMER; KOENIG; IDOUX; CHENEVESSE; IMBERT; CHARLET; AUGUSTIN BERNARD et LACROIX ; FELIN; WATIN; HENRI BASSET.

(2) M. MERCIER, loc. cit. p. 28.

(3) Il y a unanimité sur ce point chez tous les Mozabites avec lequel nous avons traité du sujet, à Ghardaïa, à Tiaret, à Touggourt, à Alger, etc. Comparez MERCIER, p. 31 à 40.

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