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Ce n'est pas le moment de les souligner. Il nous suffira de citer quelques opinions et nous les prendrons dans les ouvrages fondamen

taux.

Quelles ont été les relations des Berbères et des Romains?

Si nous le demandons à Fournel, il nous répondra que la domination romaine en Afrique a duré 585 ans et que ces six siècles ne représentent qu'une série ininterrompue de guerres entre les autochtones berbères défendant jalousement leurs foyers et leurs coutumes, et les conquérants romains, poussés par la nécessité des choses à étendre chaque jour davantage leur domaine africain et à consolider leur impérialisme méditerranéen.

Massinissa, par haine de Carthage, a aidé les Romains à vaincre la métropole africaine. car l'ennemi le plus dangereux, celui qu'il fallait abattre à tout prix, était le plus immédiat. Mais lorsque les Romains voudront s'implanter trop solidement en Afrique, le vieil esprit numide dressera tout aussitôt contre eux de nombreuses tribus. Jugurtha combattra les Romains pendant six années avec une énergie farouche.

Un prince cependant d'une grande valeur et d'une haute culture essaiera de concilier les coutumes numides avec les règles romaines. Juba a été élevé à Rome, c'est un homme calme et juste; il règne pendant cinquante et un an. Il peut donc tenter l'expérience du rapprochement. Mais dès sa mort (23 après Jésus-Christ), la lutte recommence aussi ardente, aussi âpre et elle se continue sans arrêt.

Tous les auteurs anciens nous parlent de ces guerres. Nous citons au hasard de la mémoire et des notes prises: Polybe, Velleius Paterculus, Plutarque, Florus, Tacite, Salluste, Dion Cassius, Zonare, Aelius Spartianus, Sextus Aurelius, St-Cyrien, St-Augustin, St-Optat, Ammien Marcellin, Zozime, Salvien, Prosper d'Aquitaine, Procope, Victor de Vite...

Durant tout la période que l'on est convenu d'appeler la période romaine, c'est-à-dire de 40 (assassinat de Ptolémée, dernier roi berbère) à 415 (invasion vandale), les révoltes des Berbères contre l'autorité impériale sont si nombreuses qu'il est difficile de les résumer.

Mercier dont l'œuvre considérable et particulièrement les trois volumes sur l'histoire de l'Afrique septentrionale seront toujours consultés avec fruit, est du même avis que Fournel. Il insiste sur l'énergie que déploient les autochtones pour conserver le plus d'indépendant qu'il est possible de conserver, au prix d'une lutte sans répit, aujourd'hui guerrilla sanglante, demain combat de véritables armées, enseignes déployées.

Veut-on résumer Louis Bertrand dont les romans sont basés sur une étude consciencieuse des sources et son admirable St-Augustin? On y trouvera la même note. Un fait le frappe tout spécialement. C'est l'esprit de particularisme dont, à toutes les époques, ont témoigné les Africains. Et à l'occasion des méfaits des Donatistes qui mettent l'Afrique à feu et à sang, il a ce mot profond : « Le donatisme est un accès suraigu d'individualisme africain. »

Cependant tous les auteurs ne partagent pas ces idées. Victor Piquet écrit (dans « les civilisations de l'Afrique du Nord ») : « Au temps de Rome, ce sont les Numides, pères des Kabyles d'aujourd' hui qui, sous la direction des colons firent la grandeur de la province romaine d'Afrique. On sait que la fusion fut complète entre les deux races : il est extrêmement important de le signaler, car c'est la preuve que la race autochtone n'est pas inaccessible aux civilisations européennes. Il est vrai qu'à cette époque, elle n'avait pas subi l'empreinte de l'islamisme.»>

A l'appui de cette opinion on peut en effet fournir des arguments sérieux, la durée même de la période romaine, l'étendue de la zone soumise aux Empereurs, l'impression produite en Afrique par la grandeur romaine, les ressources, hommes et vivres, que l'Italie tira du Nord de l'Afrique.

Si bien que le problème de la fusion ou de la non fusion entre les deux races mérite d'être examiné de très près, qu'il sera nécessaire de l'aborder en tout esprit d'impartialité, sans idée préconçue et de ne pas se borner à une lecture rapide des ouvrages principaux. Il est vraisemblable qu'il sera utile d'enchaîner étroitement la période romaine aux périodes qui l'on précédée et à celles qui l'ont suivie, pour la mieux éclairer au jour des événements passés et futurs.

Ce labeur minutieux, ne nous y trompons pas, est indispensable, d'une importance exceptionnelle. Car nous sommes les descendants des Romains, nous représentons les mêmes idées d'ordre et de paix, comme eux, nous possédons la totalité du Nord de l'Afrique. Certes, les conditions de notre domination ne sont plus celles des premiers siècles : les découvertes scientifiques modernes permettent de coloniser plus facilement et plus vite qu'au temps de la Rome impériale. Mais agissent-elles très profondément dans le domaine des consciences? Si donc l'examen des relations berbéro-romaines qui durèrent six siècles et huit si l'on ajoute la période vandale et la période byzantine, ne nous donne pas la clé des problèmes que les relations franco-berbères soulèvent, du moins pourrons-nous en tirer quelques enseignements, quelques directives qui ne seront pas sans influence sur nos

décisions futures. Car ne l'oublions pas, il n'y a ni huit cents ni six cents ans que nous gouvernons l'Afrique du Nord; nous ne sommes installés en Algérie de manière stable que depuis un demi-siècle et nous ne nous y sommes avisés de l'existence des Berbères que depuis deux ou trois lustres. Au Maroc, où nous débarquâmes en 1907, la véritable zone berbère de l'Atlas et du Rif, nous demeure encore fermée.

VI. Le contact des Berbères et des Arabes

Si l'étude des rapports romano-berbères a une certaine valeur d'indications, sans plus, puisqu'une des deux races a disparu, de quel intérêt ne sera pas l'étude des rapports arabo-berbères ?

Le travail n'est pas aisé.

La discussion réapparaît dès le début et l'incertitude renaît dès qu'il s'agit de délimiter Berbères et Arabes.

Il s'agit en effet de déterminer aussi exactement que possible, quelles sont les parties du sol africain occupées par chacune des deux grandes races. Il s'agit ensuite d'établir avec netteté si ces races sont restées étrangères l'une à l'autre, si elles se sont emprunté des habitudes et des lois, si l'une a tendance à s'assimiler l'autre.

On saisit de suite l'importance capitale de cette étude, qui doit être aussi approfondie que possible. Car si nous constatons que la race berbère n'a pas été entamée par la race arabe, quelque puissante qu'ait été l'invasion musulmane, nous pourrons en tirer des conclusions très solides en faveur de la vitalité et de l'avenir de la race berbère. Suivant que nous la verrons se soumettre aux divers conquérants arabes de l'Afrique ou lutter énergiquement contre eux, nous pourrons en induire peut-être, mais ce n'est pas sûr, qu'elle est plus ou moins assimilable par des éléments européens. On aura quelque chance de voir juste en combinant les résultats acquis par l'étude des rapports romano-berbères et des rapports arabo-berbères. Des Berbères inassimilables aux Romains et aux Arabes, des Berbères assimilés par des Romains et des Arabes ou des Berbères réfractaires aux uns et se fusionnant avec les autres, voilà trois hypothèses qui entrainent des conclusions bien différentes.

Les mêmes recherches sont à effectuer sur la race arabe. Sa domination a-t-elle été solide ou éphémère ? Dure-t-elle encore, ou son joug est-il secoué, ou s'est-il établi entre Berbères et Arabes une sorte de modus vivendi qui ait la valeur d'un régime stable ?

Toute notre œuvre de politique africaine dépendra évidemment des constatations que nous serons parvenus à faire dans ce domaine. Et c'est ici précisément, que si nous nous en tenons aux idées reçues

nous nous sentons sur un terrain mouvant. Que de contradictions et d'incertitude!

Fournel, dans ses deux volumes sur les Berbères, a consacré au sujet qui nous occupe plus spécialement en l'instant, quelques pages intitulées «< Echec de la conquête arabe ». Ces pages sont célèbres et avant de les discuter il est bon de les reproduire.

« Dans la première période de la conquête arabe (plus d'un siècle) on verra l'impuissance de vingt-sept gouverneurs successifs amenant (en 184) le découragement des khalifes et l'établissement de la dynastie arabe des Aghlabites, qui, après une existence de cent douze ans, est chassée par celle des Fatimites à l'avènement de laquelle Bagdad perd toute autorité sur l'Ifrikia. Il ne s'écoule que quatre vingt-six années pour qu'on voie enfin se terminer la longue lutte des Arabes et des Berbères, par l'abandon que les premiers sont obligés de faire aux seconds (en 361 de l'Hégire) d'une domination, que décidément ils ne peuvent exercer. C'est la famille berbère des Zirites qui reçoit des mains des Fatimites le pouvoir à titre de vasselage, moyennant un tribut dont le paiement est refusé après beaucoup moins d'un siècle (en 440); et si plus tard les Arabes ont encore un rôle à jouer en Afrique (invasion désordonnée de 443), ce n'est plus qu'un rôle secondaire. A dater de l'an 362 de l'Hégire (972 de J.C.), ils perdent à tout jamais l'autorité qui ne sort plus des mains des indigènes : les Almoravides, les Almohades dépossédés eux-mêmes successivement par les BeniH'afs, les Beni-Zaïan, les Beni-Merin, toutes ces dynasties de sang berbère occupent seules la scène et c'est à l'année 362 que je m'arrête, laissant à d'autres le soin de continuer une histoire que mon âge avancé ne me permet pas de pousser plus loin, et que d'ailleurs, j'ai conduite jusqu'au fait principal que j'avais à cœur de mettre en saillie, à savoir l'échec des Arabes comme conquérants de l'Afrique. »

C'est au début même de sa préface que Fournel a tenu à exprimer ses idées, pour bien marquer le sens général qu'il entendait donner à son œuvre ; il les a longuement développées dans son second volume, dans les chapitres consacrés aux dernières dynasties arabes d'Afrique. Il raconte le départ du dernier Fatimite qui, las de lutter contre les Berbères se résout à donner à l'un d'eux, Bolokkin, l'investiture du pouvoir et qui, doué d'un sens politique très sûr, profite d'une heure favorable pour quitter l'Afrique et aller régner au Caire. El Moizz est alors le maître de l'Océan au Nil. Il ne règne sur ce vaste territoire que d'une manière fort théorique, mais il demeure environné d'un prestige immense, du fait même de l'étendue de ses droits. Aussi peut-il couvrir sa défaillance d'un semblant de gloire, et abandonner

une terre qui lui est ingrate pour une capitale plus fidèle, sans avoir l'air de déserter. Il continue en apparence à être possesseur de l'Afrique, attachée à lui par les liens du vasselage, il morcèle de lui-même entre ses lieutenants l'administration d'un empire trop vaste pour qu'un seul souverain le puisse gouverner directement. Mais en réalité il abdique. Et Fournel d'ajouter :

« Voici donc les Berbères enfin maîtres de ce sol que, depuis tant de siècles, ils disputent avec un si redoutable acharnement à tous les envahisseurs, de quelques points qu'ils soient venus. Ils sont maîtres à la vérité sous le vasselage d'une dynastie originaire de l'Orient, mais la domination de l'Afrique n'en est pas moins à tout jamais perdue pour les Arabes, car la petite dynastie Zirite ne s'éteindra pas sans avoir secoué le joug des Fatimites, et lorsqu'elle sera renversée, ce sera pour faire place à d'autres dynasties appartenant toutes à la race autochtone. Les Almoravides, les Almohades, les Beni-Merin, les Beni-Hafs, les Beni-Zaïan ou Beni-Abd-el-Ouad, sont tous de sang berbère. L'Orient n'aura plus rien à déméler avec l'Afrique, jusqu'à l'instant où une poignée de Turcs commandée par deux forbans, qui étaient deux hommes de génie, la placera sous le vasselage de Constantinople (924 de l'Hégire 1518 de J.C.); et après trois siècles d'existence, ce nouveau vasselage disparaîtra devant le drapeau de la France. Sans une circonstance que je vais indiquer rapidement nos soldats n'auraient pas plus trouvé d'Arabes en Afrique qu'ils n'y ont trouvé de Romains, de Vandales ou de Byzantins, car les Arabes que nous avons combattus n'ont aucun rapport avec ceux de la conquête des premières années de l'Islamisme, il y a une solution de continuité complète.»>

Cette circonstance qu'indique Fournel, c'est la seconde invasion de l'Afrique par les Arabes. Le huitième fatimite, furieux de voir ses vassaux berbères se rendre indépendants, lance des bords du Nil une nouvelle armée de conquérants arabes, qui occupent d'abord la région de Gabès, puis se répandent de proche en proche dans les diverses plaines et sur divers plateaux du continent nord-africain.

L'âge l'y obligeant, Fournel a arrêté à l'année 362 de l'hégire son œuvre magistrale. Or la grande invasion arabe du Moyen Age est de l'année 443 de l'hégire (1051-52 après Jésus-Christ). Il ne l'a donc pas étudiée en ses détails, et c'est pour ce motif qu'il n'en a pas saisi toute l'importance. S'il avait eu le temps de poursuivre sa carrière d'historien de l'Afrique, il aurait certainement apporté quelques modifications aux conclusions trop tranchées que nous venons de re

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