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lisations de plusieurs de ses traits constitutifs et ne peut nier qu'elle demeure leur débitrice.

A ce groupe de ceux qui passent en apportant leur pierre à la construction de l'édifice nous croyons que l'on peut ajouter les deux contingents ethniques méditerranéens qui, par leur importance numérique, tiennent une place dont il faut tenir compte dans l'Afrique du Nord telle qu'elle vit sous nos yeux. Il est certain que les Italiens et les Espagnols ne pénètrent en Algérie, en Tunisie, au Maroc, que par individus isolés et qu'ils ont tendance à se fondre dans la race méditerranéenne, qui lentement s'élabore de Sousse à Casablanca. Mais peut-être à la longue, par la somme même des petites immigrations successives, imprimeront-ils quelques touches de leur caractère propre à la race en formation. Dans le creuset africain la fusion sera lente et le métal demandera bien des années avant que sa coulée durcisse. Mais on peut prévoir que l'influence espagnole et italienne sera minime en comparaison de l'influence française parce qu'elle ne sera soutenue ni par la puissance des lois, ni par celle de la langue.

Enfin trois races constituent véritablement le peuplement de l'Afrique du Nord, les Berbères, les Arabes, les Français : les Berbères qui en certaines régions sont encore les frères très ressemblants de ceux qu'ont gouvernés Massinissa et Juba, dans d'autres régions s'éloignent déjà quelque peu de ce type classique ; des Arabes, qui selon les tribus, diffèrent plus ou moins des Arabes envahisseurs, des conquérants venus d'Asie, mais qui ont certainement moins évolué dans l'espace et dans le temps et paraissent moins susceptibles d'évoluer que les Berbères ; des Français, qui sous l'influence de l'habitat, des apports italiens, espagnols ou maltais, ne sont plus toujours des Français de France mais ne pourraient cependant survivre en dehors de la civilisation française.

Cette complexité ethnique, très accusée en Afrique du Nord, ne lui est pas spéciale. Dans une étude qui remonte à quelque deux ans, Jean Brunhes montrait dans la France le carrefour de toutes les invasions et établissait sur les preuves les plus irréfutables, la multitude des origines du type français. Et cependant aucune nation, toutes les sciences comparées le reconnaissent, ne présente un caractère d'unité plus certain. Toutes les racines diverses se sont, par un phénomène d'adaptation remarquable, unies pour former un seul arbre puissant, dans lequel circule une sève riche, où ne se peuvent retrouver les saveurs diverses, néanmoins existantes, qui en composent la matière.

Ces divers groupes sociaux qui ont peuplé l'Afrique du Nord, se fondront-ils un jour en une quelconque unité, aussi achevée que celle que nous offre la France? Conserveront-ils au contraire entre eux des différences aussi nettes que celles qui existent actuellement entre un Européen et un indigène ? S'établira-t-il un type intermédiaire qui réalisera en lui une union moins parfaite que celle que réalisent les grandes nations occidentales, des diverses souches ayant contribué à les créer, mais qui néanmoins marquera le pays et l'époque où il apparaitra ?

tion.

La question, ainsi posée, est insoluble.

Elle est trop complexe pour pouvoir recevoir d'emblée une solu

Pour y répondre il est nécessaire d'étudier séparément chacune des grandes races qui coexistent actuellement dans l'Afrique du Nord. A cette condition seulement on pourra parvenir à connaître le sens général de l'évolution de chaque race, la force que chacune représente intrinséquement et par rapport aux autres, les affinités qui les rapprochent, les différences radicales qui les peuvent séparer.

A cette condition seulement on pourra peut-être découvrir les règles politiques et sociales qui doivent être appliquées à chacune. Quelles règles appliquées et dans quel but ? Si une fusion est possible une race prendra-t-elle le pas sur une autre et laquelle ? Si un type intermédiaire se crée, se forgera-t-il à lui même ses lois, sa morale, son économie politique et privée ?

Ces divers points d'interrogation se dressent devant quiconque ayant posé le pied sur le sol Nord-Africain, se résout à y vivre durant quelque temps. Le touriste, qui effleure les hommes et les choses, entraîné seulement par une curiosité hâtive, ne les aperçoit point, ou s'il les aperçoit, ne s'en soucie guère, mais qui fait halte, ne peut les ignorer.

Encore celui-là ne les distingue-t-il qu'au bout d'un certain temps, avec de la réflexion et en appliquant sa pensée à des objets moins frivoles que le superficiel et le transitoire qui chaque jour le sollicitent. Car en ces pays de lumière, le bonheur de vivre est tout d'abord si prenant, que l'on éprouve comme une irrésistible tendance à subir les sensations sans les analyser. Et la première qui saisit le nouveau venu est celle de cette diversité des aspects, des pensées et des coutumes, dont il paraît tout à fait superflu de rechercher les raisons.

L'Afrique du Nord est un creuset où bouillonnent les races.

IV. Distinction fondamentale entre l'Arabe et le Berbère

Voici une deuxième idée qu'il faut mettre tout de suite en lumière la race berbère diffère totalement de la race arabe.

Certes, l'Arabe n'est pas aussi distant du Berbère, que le Peau Rouge l'est du Chinois. Cependant dès l'origine les caractères des deux races ont été très tranchés et un très long contact n'a pas réussi non seulement à les unifier, mais même à en atténuer entièrement les oppositions. Il y a de très nombreux Berbères arabisés et quelques Arabes berbérisés. Mais grattez la gaine superficielle qui a entouré le noyau résistant des mœurs ancestrales et de l'âme atavique, presque toujours vous retrouverez facilement les traits distinctifs essentiels de la race primitive, pure de tout alliage.

Lorsque les Français du général de Bourmont s'emparèrent à Staouéli du camp d'Ibrahim, les ravins garnis de lauriers roses, les palmiers, les grenadiers, les orangers et toutes les tentes bariolées, dressées parmi des cactus géants, leur dessinèrent un décor de féerie; et quelques jours plus tard, lorsque la ville dont ils rêvaient leur apparut toute blanche, enserrée entre les hauts remparts, étagée au flanc de sa colline depuis le port barbaresque jusqu'à la casbah turque, ce fut pour eux la révélation d'un monde nouveau. Cette cité c'était la capitale des Arabes, tous les hommes qui peuplaient ce continent étaient des Arabes. Le terme était vague et l'on ne savait trop quelles mœurs étaient celles de ce peuple. Mais un seul terme englobait et durant de longues années engloba les diverses tribus, que peu à peu nos armées soumettaient.

Si l'erreur était naturelle chez le soldat ou le premier colon, comment pouvait-elle se glisser dans des classes instruites? Ne suffisait-il pas de lire les auteurs anciens pour apprendre qu'antérieurement aux invasions arabes des civilisations avaient fleuri en Afrique du Nord, qui n'avaient rien de commun avec un état social qui ne date que du septième siècle après Jésus-Christ? Il y avait donc quelque chance que les peuples qui avaient connu ces siècles de vie ardente eussent laissé quelques empreintes de leur existence.

Et cependant l'erreur fut générale. Si bien qu'en publiant en 1875, son histoire des Berbères « études sur la conquête de l'Afrique du Nord par les Arabes », d'après les textes arabes imprimés, Henri Fournel pouvait débuter en ces termes :

«De 1845 à 1846, dans mes contacts journaliers avec les indigènes d'Algérie j'avais été frappé des nombreuses différences qui caracté

risent les deux races, berbère et arabe, que l'on est dans l'habitude de confondre sous le nom collectif et très inexact d'indigènes. Dès 1849, j'avais indiqué quelques-uns des traits qui les différenciaient, et je me demandais alors comment deux races si distinctes pourraient être plus longtemps traitées uniformément par nous, sans que nous songeassions à rechercher, si nous n'aurions pas le devoir de manifester une préférence sur laquelle se baserait dans l'intérêt de tous, vainqueurs et vaincus, une politique qui semblait nous manquer complètement. C'est en méditant les données de ce problème que j'ai été amené à conclure que depuis 1830 nous étions dans une fausse voie, par cela seul que nous nous étions occupés beaucoup trop exclusivement des Arabes, négligeant à tort les véritables indigènes, les Berbères (Kabyles), race éminemment laborieuse, non fanatique, attachée au sol par des propriétés encloses où elle vit dans de petites maisonnettes couvertes en tuiles, pratiquant à l'état encore grossier quelques industries au perfectionnement desquelles nous pouvions les initier, en un mot tous les rudiments d'habitudes qui les rapprochaient beaucoup plus de nous que ne pouvaient le faire les habitudes qui constituaient la vie des Arabes.»

En explorant le sol kabyle, l'ingénieur des mines Fournel venait de découvrir, ou plutôt de retrouver la race berbère.

Jusqu'à ce qu'il proclamât cette découverte, dans une œuvre d'ensemble, dont bien des conclusions ont pu être précisées et retouchées, mais qui n'en demeure pas moins le premier grand document français des études africaines, nul parmi les administrateurs de la nouvelle France ne s'était soucié de cette division fondamentale des tribus en deux races. Sous le Second Empire, après trente années de pénétration, on n'en avait pas encore la moindre idée, et c'est Napoléon III qui prétendait élever des mosquées en villages kabyles.

L'erreur, d'ailleurs, persista pendant de longues années. Et ce n'est guère que de 1890 à 1900, sous l'influence de très nombreuses recherches, dont les résultats devenaient de plus en plus connus, grâce à quelques fonctionnaires et officiers de mérite, que la vérité cessait d'être l'apanage de quelques initiés et commençait à se répandre.

L'administration algérienne se pénètre de cette distinction essentielle. Bientôt l'occupation du Maroc, demeuré plus berbère que l'est du continent nord-africain, donne une vigueur nouvelle aux études berbères. Et par la force même des choses, en voyageant, en commerçant, les Européens qui peuplent l'Algérie Tunisie, prennent conscience des différences qui séparent les deux races.

Mais dans la métropole, qui ne se soucie peut-être pas assez de la question, vitale pour elle, de l'organisation de l'Afrique, on demeure toujours assez ignorant des conclusions enfin établies. Si bien qu'en 1909, Victor Piquet peut écrire à la fin de son étude sur les Civilisations de l'Afrique du Nord:

« Nous avons voulu réagir nettement contre cette opinion que l'Afrique du Nord est peuplée d'Arabes. L'étude de la lente progression des tribus arabes vers l'ouest n'a pas eu d'autre but.

<< Les habitants de l'Afrique du Nord, pas plus que les Maures d'Espagne, ne sont des Arabes. Ce pays est le patrimoine de cette belle race berbère, parente des autres races du bassin méditerranéen qui peuple encore les montagnes de Kabylie et la majeure partie du Maroc, forte race qui sait unir les instincts guerriers à la plus paisible et la plus laborieuse activité. »

Nous souscrivons à ces conclusions et nous tenons désormais pour acquise cette vérité que dans les trois grandes régions nord-africaines on a enfin posé toutes questions sur la véritable base, la distinction nettement établie entre Arabes et Berbères.

V. - Personnalité des Berbères dans l'antiquité

Ces Berbères dont l'individualité ethnique, la personnalité historique et l'originalité sociale sont aujourd'hui faits patents, suivant quelle courbe évoluent-ils ?

Quelle a été leur attitude en face des conquérants dont la civilisation est entrée en contact avec eux ?

En négligeant les influences préhistoriques trop mal connues, ou les influences historiques trop courtes, quatre grands courants se sont développés en Afrique du Nord: les courants carthaginois, romain, arabe, français. Ont-ils submergé la Berbérie, ainsi qu'une plaine basse? Etait-elle une falaise abrupte qu'ils n'ont pu entamer? Ou bien la vérité ne serait-elle pas entre ces deux hypothèses ?

En ce qui concerne l'influence punique, il semble que l'on puisse affirmer qu'elle a été réelle, en tant qu'influence de contact, mais non en tant qu'influence dominatrice. Carthage comme Tyr, était une cité marchande, une cité de navigateurs. Les côtes appelaient surtout son attention car elle y installait des escales, indispensables à son négoce maritime. Mais elle n'a jamais pénétré très profondément dans l'intérieur du continent africain.

Il n'en fut pas de même de Rome. Et ici vraiment la discussion s'ouvre.

Les livres présentent de graves contradictions.

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