Images de page
PDF
ePub

bliées, le vol et l'assassinat à chaque borne détruite des anciennes routes impériales et sur le sol qui partout se couvre de lentisques, non plus la grande houle des blés mûris, mais la lueur des incendies; des populations apeurées qui fuient, se cachent dans les marais et les forêts, des bandes ivres de brigandage et de crime qui tiennent la campagne, des villes sans commerce redoutant la famine, sous la crainte constante d'incursions contre lesquelles les murailles presque entièrement rasées ne constituent plus une défense, tel est le sombre tableau qu'un peintre véridique doit tracer de l'Afrique au début du septième siècle.

II.

Classification des populations africaines.

Quelles sont ces tribus qui se déchirent ainsi entre elles et font pousser l'ortie sur toute civilisation?

Les auteurs grecs et latins ont divisé la Lybie ancienne, la Berbérie moderne en quatre grandes régions sans se soucier des subdivisions que les convenances administratives ou les nécessités politiques firent successivement adopter (1). Ils ont fait œuvre de géographes et leurs quatre divisions sont : l'Afrique proprement dite, ou LyboPhénicie, c'est-à-dire la Tunisie d'aujourd'hui ; la Numidie qui correspond à notre département de Constantine; la Maurétanie qui englobe les provinces d'Alger, d'Oran et le Maroc; enfin la Gétulie, qui est l'actuel Sahara. Les trois premières régions pourvues d'eau, de terres arables, de villes importantes, habitées par des peuples laboureurs ont été vantées par les historiens. La Gétulie leur apparaissait comme un vaste désert, parcouru par des peuples pasteurs, ils la comparaient à une peau de panthère parce que, çà et là, elle est parsemée de tâches que forment les lieux habités, les Auasis des Egyptiens, les oasis de nos jours; elle s'étendait jusqu'au Niger. La limite entre les provinces du nord et la Gétulie était à peu près l'Atlas saharien, une des régions de confins la plus connue était le lac Triton, notre chott Melrir. Tous les peuples au nord et au sud du revers montagneux saharien, parlaient des dialectes d'une même langue et étaient de même race (2). Leurs mœurs étaient parfois assez curieuses et bien des traits seraient à citer (3).

Ce sont ces populations primitives qui avaient plus ou moins subi la domination punique, la domination romaine, la domination vandale, la domination byzantine, et qui se trouvaient au début du

(1) Voir à ce sujet introduction générale.

(2) CARETTE, loc. cit. p. 10 à 12.

(3) PIQUET, loc. cit. p. 6 à 9.

septième siècle maîtresses sans frein de la terre africaine. Peut-on établir d'elles une classification?

Ibn Khaldoun l'a tenté. Carette reproduit son tableau avec quelques modifications. Mercier a creusé également ce sujet impor

tant.

D'après Ibn Khaldoun et Carette, les Lybo-Phéniciens, Numides, Gétules et Maures se divisent au moment de l'invasion arabe en deux vastes groupes de peuples, sortes de confédérations, les Branès et les Madres. Carette place les Branès au sud de l'Aurès et les Madres au nord. Il croit que Ksila, qui fut le chef de la révolte berbère contre les Arabes en 63 de l'hégire et les rejeta une première fois, était le chef du sud de l'Aurès et que Kahina, l'héroïne qui en 69 de l'hégire repoussa une seconde fois l'envahisseur, régnait sur le nord.

Les Branes auraient compris dix peuples : 1o Les Azdadja dans la région de l'Aurès; 2o les Masmouda, qui furent célèbres au MoyenAge et au seizième siècle; 3o les Aouria, disparus au 16° siècle; 4o les Adjica en Kabylie; 5o les Ketama qui disparaissent au 16o siècle et se fondent dans les Masmouda; 6o les Senhadja dont la belle période sera au 16o siècle; 7o les Aourira qui se rattacheront aux Zenata; 8o les Lemta qui occupent le désert et dont plus tard une fraction, les Lemtouna, aura une grande influence; 9o les Haskoura, qui sont au Maroc; 10o les Kezoula qui ont un habitat voisin de celui des Haskoura et seront comme eux assujettis aux Masmouda.

Les Madres comprenaient quatre grandes divisions: 1o les Addaça qu'il est à peu près impossible d'identifier et qui, suivant Ibn Khaldoun, étaient mêlés aux Haouara; 2o les Nfouça qui sont en Tripolitaine dans le Djebel Nfous; 3o les Dariça qui sont soumis par les Zenata et disparaissent au 16° siècle; 4o les Beni Leoua ou Louata que nous retrouverons aux siècles suivants.

Mercier propose une autre classification (1). « Renonçons à reproduire les généalogies plus ou moins ingénieuses des auteurs arabes; nous ne tiendrons compte que de la situation générale de la race au moment que nous avons atteint, et, à défaut d'autre classification, nous proposerons de diviser les Berbères en trois groupes principaux de la manière suivante :

1o Berbères de l'ouest ou race de Loua, représentant les anciens Lybiens, les Ilasguas et Ilanguanten de Procope et de Corippus. Elle couvre le pays de Barka, la Tripolitaine et ses déserts, et le Midi de la Tunisie.

(1) MERCIER, loc. cit. I. p. 181 à 189,

2o Berbères de l'ouest ou race Sanhaga, répondant aux Gétules et aux Maures. Elle s'étend sur les deux Maghreb et leur désert jusqu'au Soudan,

3o Race Zénète. Elle est établie dans le désert, depuis l'ouest de la Tripolitaine jusque vers le méridien d'Alger, en couvrant partie de l'Aurès, de l'oued Rir', le Zab méridional et les hauts plateaux du Rached. (Djebel Amour). »>

Ayant posé ce principe, Mercier donne une énumération et des gisements dont voici le résumé fidèle.

A.

Berbères de l'est ou race de Loua.

Sept rameaux principaux: 1o les Louata (6 fractions principales) sont dans la région des Syrtes et s'étendent des environs de Tripoli jusqu'à Gabès; 2o les Houara, rameau anciennement issu des Aourira, comprennent 7 groupes et 3o les Aourira, formés de 16 fractions, tiennent le pays de Barka, le sud de la Tripolitaine, le Fezzan et s'avancent jusque vers le Djerid; 4o les Nefouça, trois tribus occupant le Djebel Nfous, limite de la Tunisie et de la Tripolitaine; 5o les Nefzaoua, 9 groupes principaux, ont pour habitat le Djerid, l'intérieur de la Tunisie et l'est constantinois; 7o les Aoureba, 7 tribus, sont en Ifrikia occidentale, dans la région du Zab.

B. Berbères de l'ouest ou race Sanhaga. Ce groupement important n'a pas moins de 14 rameaux essentiels: 1o les Ketama dont on connaît 18 tribus principales et dont quelques unes se subdivisent elles-mêmes en de nombreuses sous-fractions, tiennent la région littorale de l'Algérie, depuis Bône jusqu'à l'embouchure de l'oued Sahel et s'avancent dans l'intérieur des terres jusqu'à la ligne Constantine Sé if; 2o les Zouaoua, 11 tribus anciennes, 12 nouvelles, occupant très exactement la grande Kabylie; 3o les Senhadja, divisés en 9 clans ont pour voisins à l'est les Ketama et les Zouaoua, ils tiennent le littoral, de la grande Kabylie à l'embouchure du Cheliff, et aussi la plaine du Cheliff; 40 les Dariça, trois tribus ont deux gisements éloignés l'un de l'autre, un groupe les Adjiça est au sud de la Grande Kabylie des Zouaoua, l'autre, celui des Azdadja est aux environs d'Oran; 5o les Beni Faten comprennent 10 rameaux ; ils s'étendent du territoire Sanhadja à l'est, jusqu'à la Moulouïa à l'ouest ; ils couvrent ainsi le littoral et le centre de l'Oranie; les fractions Lemaia et Matmata sont dans l'Ouarsenis, les Marila sont dans le Cheliff; 6o les Zouaga, quatre tribus, tiennent le centre du Maroc et les premiers contreforts de l'Atlas marocain ; 7o les Oursettif, trois

tribus ramifiées en nombreuses sous fractions tiennent le Maroc, vers Fez-Meknès; 8o les Romara ou Ghomara, 6 groupes, sont les tribus du Rif, de l'embouchure de la Moulouïa à Tanger; 9o les Berghouata qui disparaissent de bonne heure se situent sur le littoral atlantique de Tanger à l'embouchure du Sebou; 10° les Masmouda, 14 tribus sont sur tout le versant occidental du Sebou au Sous; 11o les Heskoura, 7 clans ont pour zône le grand Atlas ; 12o les Guezoula, répartis en de nombreuses branches, sont entre le Sous et le Draa ; 13o Les Lamta, 2 tribus, se mélangent aux Guezoula; 13o les Sanhadja au Litham (Lemtouna, Lemta, etc.) occupent la région saharienne du Draa au Niger.

C. Race Zenète. Elle se subdivise en 11 groupes qui sont : 1o les Ifrène, 2 tribus, occupent le sud de la Tunisie et le sud de l'Aurès, le Zab; 2o les Magraoua, 11 tribus occupent le Hodna, le Zab et le sud de l'Aurès; 3o les Demmer ont 6 rameaux principaux les uns sont à l'ouest de Tripoli, les autres à l'ouest du Djebel Amour; 4o Les Irniane sont au sud de Tlemcen; 5o les Djeraoua sont dans l'Aurès; 6o les Ouagdiguen ne sont pas exactement situés; 7o les Ouarmert ou Romert se trouvent dans le Djebel Amour; 8o les Ouargla et 9o les Ouacine, trois tribus principales, de nombreuses sous divisions, sont dans l'oued Rir et au Sahara; 10° les Ouemannou et 11o les Iloumi sont à l'ouest du Hodna.

La situation géographique est donc en résumé la suivante (1):

10 Tripolitaine. Quatre grands peuples de la race Loua, les Louata, les Houara, les Aourira et les Nefouça ; quelques éléments de la race Zénète, du rameau Demmer.

2o En Tunisie. Un peuple Loua les Nefzaoua et un peuple Zénète, les Ifrène.

30 Province de Constantine. - Deux peuples Loua au centre les Nefzaoua, prolongement de ceux de Tunisie, et les Aoureba, un peuple Sanhaga au nord les Ketama; trois peuples zénètes au sud, Djeraoua, Ifrène et Magraoua; deux peuples zènètes dans le Sahara constantinois, les Ouargla et les Ouacine.

40 Province d'Alger. Deux peuples Sanhaga au nord, les Zouaoua et Sanhadja ; un peuple Sanhaga au centre, les Adjiça, fraction des Dariça; trois peuples zénètes sur les Hauts-Plateaux, les Quemannou, les Iloumi et les Ouarmert.

(1) Voir page 218 la carte qui donne cette situation.

50 Province d'Oran.

Une grande tribu Sanhaga, les Beni Fatten au nord et au centre, un petit rameau Sanhaga des Dariça les Azdadja au nord; deux peuples zénètes sur les Hauts-Plateaux oranais, les Ournid et les Irniane.

6o Maroc. Il est exclusivement peuplé par des peuples Sanhaga; sur la rive méditerranéenne, les Romara; sur la côte nord de l'Océan, les Berghouata; dans la région du Sebou Central, les Oursettif; dans les montagnes centrales et dans les contreforts du Moyen Atlas, les Zanaga et une fraction des Beni Fatten, les Matrara ; dans le Grand Atlas, les Heskoura; dans l'immense quadrilatère formé par l'Océan, l'Atlas, le cours du Sebou et celui du Sous, les Masmouda; entre Sous et Draa, les Guezoula et les Lamta.

70 Sahara central. Entre le Draa, la bordure saharienne de l'Oranie et de la province d'Alger au nord et le Niger au sud, un peuple Sanhaga, les Sanhadja au Litham.

III. - Nécessité d'une classification de base. Les migrations qui vont affecter les tribus berbères dès l'arrivée des Arabes en Afrique du Nord et qui s'effectueront pendant plusieurs siècles, devront retenir toute notre attention; il est indispensable de les connaître pour établir le caractère actuel berbère ou arabe des régions que la France a à administrer. Il était donc nécessaire de disposer d'une classification de base; et ce travail était à établir pour le début du septième siècle, époque à laquelle la venue de l'élément arabe, va profondément modifier la situation ethnique. Les classifications d'Ibn Khaldoun, de Carette, et de Mercier coïncident; des tribus qui ont joué un aussi grand rôle que les Masmouda, les Ketama, les Sanhadja, les Zenaga, les Sanhadja au Litham peuvent assez aisément être suivies dans leurs évolutions.

« PrécédentContinuer »