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Marseille à Alger, la distance de Marseille à Paris ; car les productions sont celles de tous les rivages méditerranéens; car l'histoire a mêlé intimement les riverains de la mer centrale autour de laquelle s'est développée toute notre civilisation.

Si rapprochée et si lointaine cependant, pourrait-on croire, à constater l'ignorance dans laquelle vivent d'elle tant de Français !

Jeunes gens qui rêvez d'inconnu, n'usez pas vos forces à la recherche de trésors mystérieux en des contrées où tout vous sera souffrance, hostilité, déception. Une terre hospitalière est là, à portée de votre main, qui vous offre assez d'exotisme pour que vous vous y sentiez libres, assez de traits de mœurs se rapprochant de vos coutumes pour que le village natal ne soit pas trop oublié.

Jeunes gens qui rêvez d'inconnu, sachez ménager les transitions. Une terre sollicite vos énergies, qui vous comblera de ses dons et ne réclamera de vous aucun renoncement. Travaillez pour vous et pour votre pays. Restez Français et élargissez le domaine de la France.

Vous objecterez que vous ne savez pas ce qu'elle vaut, cette terre d'Afrique, et qu'on ne vous le dit pas et que bien peu s'inquiètent de vous l'apprendre. Il est vrai. Il ne suffit point pour éduquer un peuple que des compagnies de navigation tentent la curiosité des touristes en plaçant dans les halls des gares quelques affiches. Hélas ces noms d'Algérie, Tunisie, Maroc, n'évoquent dans l'esprit des enfants et de bien des hommes mûrs que l'envol d'une mouette vers une mosquée entourée de cactus.

Kilkich de Macédoine, juillet 1916.

Cinquante et un degrés à l'ombre. On devise par phrases courtes. Quelqu'un vient de noter les ressemblances qui rapprochent la Macédoine de l'Algérie. Et l'on discute.

Il est certain que ces ressemblances sont réelles. Mais que de différences! Non, ni les îles, ni la côte égéenne d'Asie, ni les Dardanelles, ni la Calchidique, ni la Struma ne sont des coins d'Afrique. Çà et là, oui, pendant quelques minutes, on peut trouver les lignes, les contours, les ombres, cette lumière qui font l'Afrique du Nord. Mais ces paysages sont restreints, ces instants fugitifs. Dans le Krusa-Balkan, ici -même à Kukus, des tableaux qui rappellent très exactement le cadre et la vie d'Algérie ou de Tunisie : la faille d'Avret-Hissar, ce mamelon de Kirec, qui comme un vaste mausolée domine la plaine, des jeux de soleil sur le blanc Poroj, les vergers de Karamudli, voilà de l'Afrique peut-être, et encore n'est-ce pas très sûr.

Comme on la connaît mal, cette nouvelle France! Combien peu nombreux sont ceux qui, l'habitant, ont eu la curiosité de la parcourir. Et que d'années devra encore la parcourir celui qui écrit ces lignes, pour se faire pardonner l'audace de les tracer. Afrique du Nord, France nouvelle...

Mais n'a-t-on pas le droit de songer à l'avenir de son pays, un soir de fête nationale, quand on vient de répondre à la harangue d'un comité vénizéliste, et que pour supporter la canicule, on n'a d'autre ressource que de boire à petites gorgées des citronnades... (1)

A l'avenir de son pays, qui, quelle que soit l'issue de cette guerre, demeure un avenir nord-africain.

Kasbah Tadla, 1919.

II. L'avenir de la France est en Afrique du Nord Prévost-Paradol, qui fut un penseur remarquable, et si l'on ose employer ce terme, un de nos meilleurs coloniaux, a écrit:

<< Il n'y a pas deux façons de concevoir les destinées de la France. Ou bien nous resterons ce que nous sommes, nous consumant dans une agitation intermittente et impuissante au milieu de la rapide transformation, des pays qui nous entourent et nous tomberons dans une douteuse insignifiance sur ce globe occupé par la postérité de nos anciens rivaux. Ou bien 80 à 100 millions de Français, fortement établis sur les deux rives de la Méditerranée, au cœur de l'ancien continent, maintiendront à travers les temps, le nom, la langue et la légitime prospérité de la France. »

Tous les auteurs ou presque tous ceux qui ont traité de l'Afrique du Nord, de son avenir, des civilisations qui se sont élevées sur son sol, ont reproduit ce passage de la « France nouvelle » et c'est par sa citation qu'Augustin Bernard a terminé son récent ouvrage sur le Maroc.

C'est qu'en effet ces quelques lignes de Prévost-Paradol sont tout le problème Nord-Africain.

La question qui y est soulevée pouvait déjà être étudiée à juste titre lorsque Prévost-Paradol, des publicistes, des hommes politiques et d'affaires envisageaient, d'après les résultats déjà obtenus, l'essor qu'étaient susceptibles de prendre les territoires dont la France était alors en possession dans l'Afrique du Nord. Combien cette question mérite-t-elle d'être creusée davantage, depuis que le développement économique de l'Algérie s'est précipité jusqu'à atteindre à la brillante

(1) Des citronnades entre deux combats...

prospérité actuelle, depuis que la Tunisie a été mise en valeur à son tour, depuis que le Maroc est devenu terre française ?

Combien se pose-t-elle davantage au milieu des angoisses de la grande guerre ? Quelle émotion en Afrique du Nord pendant ces douloureuses journées d'août 1914 ! Car chacun y savait et y sentait bien que la défaite de la France, c'était la perte de son domaine Nord-Africain; et qui pourrait envisager sans frémissement de honte et de rage la perspective de devenir Prussien ?

Plus tard, la victoire des alliés ne fit plus de doute. Et l'intégrité du domaine national fut assurée ; même il parut fort probable que la France recouvrerait les territoires qui en 1871 lui avaient été violemment arrachés au mépris de tout droit, la chair de sa chair. Qu'on le veuille ou non, la réparation de cette infamie était le but de guerre essentiel des alliés.

Mais le problème de la position des races les unes par rapport aux autres restait entier. La trahison de la Russie ouvrait à l'Allemagne de vastes perspectives d'avenir dans ce monde slave, qui semblait devoir être fermé à tout jamais au germanisme et constituer pour lui le danger le plus grave et le plus rapproché.

L'Allemagne de 1914 voulait asservir le monde. Celle de 1917 songeait à signer une paix blanche. Si au début de 1918, par exemple, elle avait réussi à lasser les alliés, quelle Europe se serait constituée ? Et que seraient devenus quarante millions de Français, en face d'une Allemagne plus étroitement soudée que jamais à l'Autriche, ayant réalisé la Mittel-Europa, conservant son emprise sur l'Orient turc, ayant saisi la totalité de la Pologne, les provinces baltiques et régissant par des moyens divers elle est ingénieusele vaste hinterland chaotique qu'est la Moscovie en révolution ?

Plus que jamais donc l'avenir de la France et de la civilisation française était lié à la constitution de ce bloc de cent millions de citoyens fortement établis sur les deux rives de la Méditerranée, et poursuivant d'une âme commune le cours de leur destinée glorieuse.

La constitution de ce bloc est-elle possible? Encore une fois, tout le problème Nord-Africain se ramène à cette interrogation. La victoire ne lui enlève pas son intérêt.

Nous nous la sommes posée depuis longtemps. Et voici cinq années que nous travaillons à lui donner une réponse. Dix années au moins d'efforts seront nécessaires encore à la réunion de tous les éléments de discussion, car à mesure que l'on pénètre plus avant dans l'étude de la vie nord-africaine on rencontre des difficultés insoupçonnées ou non appréciées à leur juste valeur, qui suggèrent des

reflexions, modifient les opinions reçues et posent de nouvelles interrogations auxquelles force est de répondre, si l'on veut que le problème puisse être résolu.

D'une manière générale nous pouvons dire au bout de cinq années de lectures, de voyages et d'observations, que toutes les inconnues de la formule établie par les faits peuvent se classer en deux grandes catégories d'une part, toutes celles qui ont trait aux questions de race, d'autre part, toutes celles qui ont trait à la politique à appliquer à ces diverses races.

Car nous n'entendons étudier que des faits et des faits actuels, mais pour saisir ces faits actuels ea leur complexité, il est nécessaire de remonter aux faits anciens et de suivre l'évolution de l'histoire nord-africaine.

Une étude objective du présent conduit donc tout naturellement à une étude historique du passé. Et c'est de l'examen des faits anciens et des faits actuels, surtout des modifications ou des permanences que présentent ces faits, que l'on pourra tenter de déduire quelques prévisions d'avenir.

Insistons sur ces faits essentiels qui tombent sous les sens de quiconque veut se donner la peine de regarder d'un peu près et d'écouter avec quelque soin (1).

(1) Mais avant d'aborder ces divers aspects du problème Nord-Africain ne devons-nous pas nous poser une question préalable ? Nous demander pourquoi les Français connaissent si mal l'Afrique du Nord ?

Ils ne connaissent, nous l'avons déjà noté, que fort mal sa géographie ; et c'est que, dans la grande masse, le peuple français voyage peu, il fait trop bon vivre dans la métropole. Quant à l'histoire, nul, hors les érudits spécialisés, n'en a cure. Si l'on possède quelques détails sur la période romaine, qui pourrait parler avec quelque aisance de la vie de la Berbérie au moyen-âge ? Et c'est cependant la période essentielle pour nous Français du vingtième siècle, car c'est celle durant laquelle l'élément arabe en s'implantant dans le pays a imposé à notre ingéniosité politique la recherche assidue des solutions délicates. Lisez ce qu'écrit fort justement MARÇAIS sur ce point (Les Arabes en Berbérie, introduction p. 1).

« L'histoire de la Berbérie au moyen-âge n'excitera jamais chez le lecteur français l'intérêt qu'il trouve en celle des pays européens. Il aborde vraiment ici une terre étrangère où le charme de l'exotisme ne suffit point à le retenir, alors que tant de choses concourent à le repousser. Des noms propres aux âpres consonnances, aux transcriptions compliquées et cependant toujours maladroites, blessent son œil et découragent sa mémoire, y créant de perpétuelles confusions ; une chronologie nouvelle l'égare ou lui impose un fastidieux travail. S'il s'accoutume à cet aspect hostile, s'il surmonte ces difficultés quasi matérielles, sera-t-il au moins payé de sa peine ? Des raisons plus profondes risquent encore de le décevoir.

<<< Prise dans son ensemble cette histoire manque presque absolument d'unité. Nous ne découvrons ici rien de comparable à l'effort inconscient et laborieux,

III. L'Afrique du Nord creuset de races

L'Afrique du Nord est un creuset où bouillonnent les races. C'est-à-dire que de très nombreuses races ont passé sur ce sol, les unes n'y laissant que le souvenir d'une domination éphémère, d'autres y semant des vestiges de toute nature, d'autres enfin s'y maintenant et y prospérant.

et encore

Parmi les conquérants dont le nom seul demeure n'est-il connu que des hommes ayant quelque culture on peut citer les Vandales et les Byzantins. Ils ont été maîtres d'une grande partie de l'Afrique du Nord, les Vandales pendant près d'un siècle (de 439 à 534) les Byzantins pendant plus d'un siècle (de 534 à 648) et à peu près aucune trace ne subsiste de leur passage. Pas d'influence sur la langue, sur les mœurs, sur la religion. Peu de monuments dressés sur le sol africain (1).

Parmi ceux qui ont semé de nombreux vestiges de leur passage sont les Phéniciens et les Romains. Nous essaierons de délimiter avec quelque exactitude la nature et l'étendue de leur apport. Mais dès maintenant on peut affirmer qu'au vingtième siècle, l'Afrique du Nord est encore, dans une certaine mesure, redevable à ces deux grandes civiparfois si hésitant sur son but et si contrarié dans sa marche, qui semble entraîner les peuples européens vers la réalisation d'un idéal social ou la constitution d'un plus grand Etat. La Berbérie ne paraît pas capable de progresser par ses propres moyens ; elle doit se mettre à la remorque d'autrui. Une sorte de fatalité semble l'empêcher d'être autre chose qu'une terre vassale. Réservoir de forces sans cohésion, elle a besoin de recevoir ses influences directrices du dehors, de Phénicie ou de Rome, de l'Orient musulman ou de l'Espagne. Et quelle vigueur elle montre dans sa réaction contre le progrès imposé! Combien de fois, pour reprendre le sens du vieux mot latin « berbère et « barbare » sont-ils équivalents! Dans le grand duel que la barbarie livre à la civilisation, combien de fois cette dernière tombe-t-elle vaincue !

« Dépourvue dans son ensemble d'un principe d'évolution qui pourrait en relier les chapitres successifs, l'histoire de la Berbérie présente dans le détail la même incohérence décevante. Il est peu de sol aussi agité et où l'agitation humaine apparaisse aussi stérile. Ces roitelets du moyen-âge qui, chaque printemps, partent en guerre pour conquérir l'empire voisin ou simplement leur propre empire, n'acquerront quelque puissance que pour redevenir roitelets. Parfois, cependant, un sultan énergique se dresse au-dessus de la foule indistincte des princes débiles et jette autour de lui des masses qui submergeront l'Afrique du Nord et viendront même déferler sur l'Europe. Mais il semble que la Berbérie soit un trop modeste théâtre pour un drame de quelque grandeur. L'empire ébauché s'éteindra en Andalousie ou fleurira dans la vallée du Nil. Cependant, le pays où il prit naissance retombera dans ses agitations mesquines.»>

(1) Nous dirions pas de monuments du tout, s'il ne fallait tenir compte des forteresses byzantines.

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