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se tint avec un corps d'Arabes à El-Guetfa', afin de leur couper la retraite s'ils essayaient de s'enfuir vers le Désert. Il occupait encore cette position quand son camp fut attaqué par les Zoghba et les Oulad-Arif, tribus arabes qu'Abou-'l-Abbas était parvenu à gagner. Les Douaouida, qui se trouvaient avec Ibn-Khaldoun, prirent aussitôt la fuite et le mirent dans la nécessité d'opérer sa retraite vers le Zah. Les Hosein, soutenus par les vainqueurs, enlevèrent d'assaut le camp d'Abou-Hammou, et obligèrent ce prince à reprendre la route de Tlemcen.

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Pendant quelques années encore, Ibn-Khaldoun travailla à lui assurer l'appui des Arabes; mais enfin, il apprit que le sultan mérinide, Abd-el-Azîz, avait formé le projet de marcher contre les Abd-el-ouadites. « Je vis alors, dit-il, qu'il me serait très>> difficile de passer chez les Arabes rîahides où j'avais reçu >> l'ordre de me rendre; reconnaissant aussi que la guerre était >>> imminente et sachant que les insurgés avaient intercepté la >> route que je devais prendre, j'obtins l'autorisation de passer >> en Espagne. Arrivé au port de Honein, j'appris l'entrée du » sultan mérinide à Téza et la fuite d'Abou-Hammou qui s'était >> retiré vers le Désert. Ne trouvant pas de navire à Honein pour >> me transporter en Espagne, je cessai de m'en occuper, et ce >> fut alors qu'un misérable délateur eut la pensée d'écrire au » sultan Abd-el-Azîz que j'étais chargé d'un dépôt précieux » qu'Abou-Hammou m'avait ordonné de porter au souverain de » l'Andalousie. Abd-el-Azîz fit aussitôt partir de Téza un déta>> chement de troupes pour m'enlever ce prétendu dépôt, et >> comme on ne trouva rien sur moi, je fus conduit prisonnier >> auprès de ce sultan qui s'était avancé jusqu'aux environs de » Tlemcen. Il m'interrogea au sujet de ma mission, et quand je » lui eus expliqué la vérité, il me reprocha d'avoir quitté le >> service mérinide. Je m'en excusai en rejetant le blâme sur le

1 Voy. ce nom dans le Dictionnaire géographique qui suit cette introduction.

2 Ces Arabes occupaient alors le pays, au Sud-Est de Tîteri, qui est habité maintenant par les Oulad-Naïl.

>> régent Omar-Ibn-Abd-Allah. »>« Il me demanda, dans >> cette séance, des renseignements sur Bougie, et comme il laissait >> entrevoir le désir de s'en emparer, je lui montrai combien >> cela lui serait facile. Mes paroles lui firent un vif plaisir, et le >> lendemain il ordonna ma mise en liberté. Je me rendis aussi>> tôt au couvent du cheikh Abou-Medin [à une demi-lieue de » Tlemcen], heureux d'échapper au tracas des affaires mondaines et de pouvoir me consacrer à l'étude aussi longtemps >> qu'on me laisserait tranquille. »

Le sultan Abd-el-Azîz ayant occupé Tlemcen, résolut de faire poursuivre Abou-Hammou jusque dans le Désert, et il donna l'ordre de réunir un corps de cavaliers arabes à cet effet. Se rappelant alors l'influence qu'exerçait Ibn-Khaldoun sur les tribus rîahides, il se décida à l'envoyer chez ces peuplades afin de les rallier au parti des Mérinides. Notre auteur était maintenant installé dans le ribat ou couvent d'Abou-Medîn, avec la résolution de renoncer au monde; il avait même commencé à enseigner les jeunes élèves de cet établissement, quand il reçut du sultan l'invitation de se rendre à la cour. Il y fut accueilli avec une telle bonté qu'il ne put refuser la mission dont le prince voulut le charger, et, dans le moisd'août 1370, il partit pour sa destination, muni de lettres de recommandation et de pleins pouvoirs. Sans retracer ici ses démarches auprès des chefs arabes, nous dirons seulement qu'il les gagna complètement et que par ses renseignements et habiles dispositions, il procura au vizir mérinide, Abou-Bekr-Ibn-Ghazi, l'occasion de surprendre AbouHammou dans le Zab et de lui enlever ses bagages et ses trésors. Le prince abd-el-ouadite s'échappa à la faveur de la nuit pendant que ses fils et les dames de sa famille se dispersaient dans toutes les directions.Ce ne fut qu'aux bourgades de Mozab qu'il parvint à les rallier autour de lui, et bientôt après, il alla se réfugier à Tîgourarîn, un des oasis les plus réculés du Désert. Ibn-Khaldoun passa quelques jours à Biskera, au sein de sa famille, et rentra ensuite à Tlemcen où le sultan Abd-el-Azîz l'accueillit avec la plus grande distinction.

Nous avons déjà parlé des Hosein, tribu remuante qui se plai

la

sait dans le désordre. Vers cette époque elle céda de nouveau aux instances d'Abou-Zian; mais cette fois-ci elle se révolta contre l'autorité mérinide. Le sultan fit marcher son vizir pour combattre, pendant qu'Ibn-Khaldoun alla encore rassembler les Arabes douaouida et occuper son ancienne position à El-Guetfa. Les Hosein furent attaqués avec tant d'impetuosité qu'ils perdirent tous leurs troupeaux et durent se jeter dans le Désert avec AbouZian. Ce prince passa alors dans le pays des Ghomert ou Ghomra, région occupée de nos jours par les Aulad-Naïl, et il parvint à les soulever contre le sultan. Ibn-Khaldoun reçut l'ordre de marcher avec ses Arabes contre les insurgés. Cette démonstration ayant suffi pour les faire rentrer dans le devoir, il envoya une dépêche au sultan pour l'instruire du résultat de l'expédition; puis il alla séjourner à Biskera en attendant les ordres de la

cour.

Pendant qu'il travaillait ainsi pour le service du sultan Abdel-Azîz, l'influence qu'il avait acquise sur les Arabes excita les appréhensions d'Ahmed-Ibn-Mozni, seigneur de Biskera. Ce chef, trompé par de faux rapports, céda à ses craintes et même à sa jalousie, de sorte qu'il écrivit au ministre mérinide une lettre dans laquelle il se plaignit amèrement de la conduite de son hôte. Il en résulta le rappel d'Ibn-Khaldoun qui partit de Biskera avec sa famille (septembre 1372), afin de se rendre auprès du sultan. Arrivé à Milîana, il prit le chemin du Désert qui suit le bord du Tell; mais, parvenu aux sources de la rivière Za, il fut attaqué par les Aulad-Yaghmor, peuplade arabe qu'Abou-Hammou, du fond de sa retraite à Tîgourarîn, avait lancé contre la caravane. << Quelques-uns des nôtres, dit-il, échappèrent à cette embus» cade, grâce à la vitesse de leurs chevaux, et se réfugièrent » dans la montagne de Debdou, mais, le reste, et j'étais de ce >> nombre, fut réduit à s'enfuir à pied. Tous nos bagages nous >> furent enlevés. Nous marchâmes ensuite pendant deux jours » dans un désert aride, et je parvins enfin à rejoindre mes com>pagnons qui se tenaient encore sur le Debdou. » Arrivé, enfin, à Fez, il y trouva un excellent accueil; le vizir Abou-Bekr-IbnGhazi, devenu maintenant régent de l'empire par suite de la

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mort d'Abd-el-Azîz et l'avènement d'un jeune enfant, fils de celui-ci, lui accorda un traitement et des icta tels qu'il ne s'y attendait pas. Outre ces faveurs, Ibn-Khaldoun conserva le rang qu'il tenait à la cour et il obtint une place d'honneur aux audiences du sultan.

Après l'avènement d'Abou-Bekr-es-Saîd, fils du feu sultan Abd-el-Azîz, deux autres princes de la famille royale mérinide se présentèrent simultanément sous les murs de la Ville-Neuve 1 avec l'intention de s'emparer du trône. L'émir Abd-er-Rahman, surnommé Ibn-Abi-Ifelloucen, et l'émir Abou-'l-Abbas réunirent leurs efforts afin de réduire cette forteresse après avoir pris l'engagement mutuel de se partager les états de l'empire mérinide. Le vizir Ibn-Ghazi fut contraint à se rendre, et Abou-'lAbbas prit possession de la capitale et des provinces situées au nord de l'Omm-Rebiâ, laissant à son parent, Abd-er-Rahman, le soin d'occuper et de gouverner la ville de Maroc et les contrées qui en dépendent. Comme Ibn-Khaldoun avait su gagner la faveur d'Abd-er-Rahman, l'autre sultan en prit ombrage et le fit emprisonner; mais, au bout de trois jours, il consentit à le relâcher sur les instances de son allié. Peu rassuré sur l'état des affaires, Ibn-Khaldoun obtint alors l'autorisation de passer en Espagne. Ce fut en l'an 776 (août-sept. 1374), qu'il se présenta de nouveau à la cour d'Ibn-el-Ahmer. Accueilli, d'abord, avec bienveillance, il encourut bientôt la haine du sultan qui, trompé par les faux rapports que lui adressait le cabinet de Fez, ordonna l'arrestation de son hôte et le fit déporter à Honein, ville maritime du royaume de Tlemcen. Le sultan Abou-Hammou s'étant alors souvenu de la défaite qu'il avait essuyée dans le Zab et de la part active qu'Ibn-Khaldoun y avait prise, vit de trèsmauvais œil la présence de son ancien serviteur et ennemi sur le sol de ses états. Un des nombreux amis qu'Ibn-Khaldoun avait toujours eu la prévoyance de se ménager pendant ses missions diplomatiques, intercéda pour lui et le fit appeler à Tlemcen.

Arrivé dans cette ville, il alla demeurer avec une société de

Voy. ce nom dans l'index géographique.

gens pieux; il y avait même commencé à enseigner, quand Abou-Hammou, ayant jugé nécessaire de s'attacher les Douaouida, lui ordonna de se rendre auprès d'eux en qualité d'envoyé. « Comme j'avais renoncé aux affaires, dit-il dans ses mémoires, » pour vivre dans la retraite, j'eus la plus grande répugnance à » me charger de cette mission; cependant, je fis semblant de

l'accepter. M'étant mis en route, je me rendis à El-Bat'ha, et » de là je tournai à droite pour gagner Mindas. Arrivé au midi » du Mont-Guezoul, je rencontrai les Aulad-Arîf, tribu arabe >> dont j'étais bien connu, et je trouvai chez eux un accueil si >> hospitalier que je me décidai à y rester. Ils envoyèrent à Tlem>> cen chercher ma famille, et ils se chargèrent de faire recon>> naître au sultan l'impossibilité de la mission dont il m'avait >> chargé. » Notre auteur s'établit alors dans la Cala-t-Ibn-Selama, château qu'un chef arabe, nommé Abou-Bekr-Ibn-Arîf, avait fait construire quelques années auparavant. Cet édifice se voit encore à Taoughzout, dans le voisinage de Frenda. « J'y » demeurai, dit-il, quatre ans, tout-à-fait libre du tracas des » affaires, et j'y commençai la composition de mon grand ou>> vrage historique. Ce fut dans cette retraite que j'achevai mes » Prolégomènes, traité dont le plan était entièrement original, >> et pour l'exécution duquel j'avais pris la crême d'une immense >> masse de documents.» « Pendant le long séjour que je fis » au milieu des Aulad-Arîf, j'oubliai les cours du Maghreb et » de Tlemcen pour m'occuper uniquement de cet ouvrage. Quand >> j'eus terminé les Prolégomènes, je désirai consulter certains >> traités et recueils de poésie qui ne se trouvent que dans les » villes. Mon but était de retoucher et corriger mon travail, » que j'avais presqu'entièrement dicté de mémoire; mais vers >> ce temps je fis une maladie tellement grave, que, sans la faveur >> spéciale de Dieu, j'y aurais succombé. »

En l'an 780 (oct.-nov. 1378), Ibn-Khaldoun partit pour sa ville natale, accompagné de plusieurs voyageurs, et il traversa le Désert jusqu'à la frontière occidentale du Zab. Arrivé près d'EdDoucen, il rencontra quelques cavaliers arabes qui le conduisirent au camp de l'émir Ibrahîm, fils d'Abou-'l-Abbas, sultan de Tunis.

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