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bique. Khald, surnommé Khaldoun, huitième descendant de Ouaïl, passa en Espagne avec un détachement de troupes tirées du Hadramout, et se fixa dans Carmona. Vers le milieu du troisième siècle de l'hégire, sa famille alla s'établir à Séville, et pendant longtemps elle fournit à l'Espagne musulmane une suite de généraux habiles et de savants distingués. La puissance des Beni-Khaldoun et la haute influence qu'ils exercèrent dans cette ville se maintint jusqu'à la conquête de l'Espagne par les Almoravides; Youçof-Ibn-Tachefîn, souverain de ce peuple africain, y détruisit pour toujours la domination de l'aristocratie arabe.

Dans la première moitié du septième siècle de l'hégire, la famille Khaldoun, prévoyant la chute prochaine de Séville que menaçaient déjà les armées de Ferdinand III, roi de Castille, émigra en Afrique, et s'allia par des mariages aux Beni-Azéfi, famille puissante qui habitait Ceuta. El-Hacen, trisaïeul de notre auteur, suivit la fortune de l'émir hafside Abou-Zékérïa2, et mourut à Bône dans la jouissance des bienfaits et des honneurs dont ce monarque l'avait comblé. Son fils, Abou-Bekr-Mohammed, obtint du sultan El-Mostancer, fils et successeur d'AbouZékérïa, les mêmes faveurs et les mêmes avantages dont son père avait été reconnu digne. Employé ensuite par le sultan AbouIshac en qualité de ministre des finances, il déploya une grande habileté dans cette charge importante. L'usurpateur Ibn-AbiOmara lui ôta la vie après avoir confisqué ses biens. Mohammed, fils d'Abou-Bekr et grand-père de notre auteur, remplit avec

1 Plusieurs grandes maisons d'origine arabe adoptèrent de bonne heure l'usage de se distinguer par un nom particulier qui se transmit à leurs descendants. On le choisissait ordinairement dans la liste ancêtrale de la famille, et l'on adoptait celui qui était le moins usité et par conséquent, le plus remarquable. C'est ainsi que l'on disait les Beni-'lDjedd, les Beni-'l-Houd, les Beni-'l-Ghania. Quand tous les noms dans la liste des ancêtres étaient d'un emploi trop général pour servir d'appellation distinctive d'une famille, on en choisissait un, composé de trois lettres radicales, et on y ajoutait la syllabe oun. Ce fut ainsi que se formèrent les noms de Bedroun, Abdoun, Sadoun, Zeidoun, Azzoun, Khaldoun. En Espagne surtout cet usage fut très-répandu.

2 Voyez l'histoire des Hafsides dans cet ouvrage.

distinction les hauts emplois auxquels les sultans Abou-Hafs et Abou-Acida l'avaient successivement élevé. Il mourut en 737 (1336-7). Son fils, Abou-Bekr-Mohammed, s'adonna à l'étude et aux pratiques de la dévotion. Enlevé par la peste terrible qui sévit à Tunis en 749 (1348-9), il laissa trois enfants: Mohammed, Abou-Zeid-Abd-er-Rahman et Abou-Zékérïa-Yahya. L'aîné de ces frères n'a rien fait qui pût transmettre son nom à la postérité; le cadet nous a laissé une histoire de Tlemcen ', et sa triste fin forme le sujet d'un chapitre de l'ouvrage qui a donné au nom de son frère, Abou-Zeid Ibn-Khaldoun, une grande et souvent une juste célébrité parmi les nations chrétiennes et musulmanes.

Abou-Zeid-Abd-er-Rahman Ibn-Khaldoun naquit à Tunis, le 4er Ramadan 732 (fin de mai 1332). Animé, dès sa première jeunesse, de cet amour de l'étude qui le domina pendant toute sa vie, il approfondit de bonne heure les principales sciences cultivées par les docteurs musulmans. Sous la direction des maîtres les plus habiles de sa ville natale, il acquit une parfaite connaissance du texte du Coran, tel qu'il est représenté par les sept éditions de ce livre sacré 2. Il apprit aussi les Hadith ou traditions relatives à Mahomet, célèbre recueil des maximes, sentences et récits qui forme, après le Coran, la principale base de la loi islamique; il travailla en même temps à se rendre maître de la jurisprudence, de l'histoire du Prophète, des chefs-d'œuvre de la littérature arabe et de la philologie de cette langue. Telle fut sa passion pour la culture des lettres, qu'à l'époque où les Mérinides, sous les ordres d'Abou-'l-Hacen, occupèrent la capitale du royaume hafside, il s'empressa aussitôt de travailler sous la dictée de plusieurs savants docteurs que ce monarque y avait amenés dans sa suite. Il était alors âgé de dix-sept ans.

1 M. l'abbé Bargès a donné une notice de cet ouvrage dans le Journal asiatique de 1841 et de 1842. C'est une histoire qui n'est pas dépourvue de mérite; mais elle est bien inférieure aux chapitres sur le même sujet qui se trouvent dans l'histoire des Berbères. En comparant les deux traités ensemble, on reconnaît que notre Ibn-Khaldoun a eu sous les yeux le travail de son frère et qu'il s'est efforcé à rendre le sien plus exacte et plus complet.

2 Voy. ci-après, page 252, note 1.

Ayant perdu à la fois son père et sa mère, qui lui furent enlevés vers cette époque, il chercha des consolations dans l'étude et y consacra encore trois années. «Alors, dit-il, dans son autobio>> graphie, je me trouvai savoir quelque chose. »

L'évacuation de Tunis par les Mérinides procura à l'ex-ministre des Hafsides, Ibn-Taferaguîn, l'occasion d'y relever le trône de cette dynastie. Il fit proclamer sultan le prince Abou Ishac, jeune homme qui n'avait pas encore atteint l'âge de puberté, et il attacha Ibn-Khaldoun au service du nouveau monarque en qualité d'écrivain de l'Alama ou paraphe royal. Cet office consistait à valider tous les écrits du sultan en y traçant en gros caractères une certaine formule qui, dans le cas actuel, se composait des mots Louange à Dieu; reconnaissance à

Dieu.

Ce fut ainsi que le futur historien des Berbères se vit lancé, à l'âge de vingt-un ans, dans la carrière épineuse de la politique. La prévoyance dont il donna plus tard des preuves si nombreuses, ne lui fit pas défaut en cette occasion: reconnaissant que le parti d'un souverain encore dans l'enfance ne pouvait résister aux entreprises d'un rival plus âgé et mieux soutenu, il mit en pratique un principe que pendant le reste de sa vie, il n'oublia jamais, savoir de veiller à ses propres intérêts quand ceux de ses maîtres étaient compromis. Aussi il prit la résolution d'abandonner son emploi le plus tôt que cela lui serait possible et de se rendre à Fez, auprès des savants mérinides dont il avait fait la connaissance à Tunis. En l'an 753 (1352), il quitta cette dernière ville à la suite du sultan Abou-Ishac, et, profitant de la défaite de l'armée tunisienne par celle de Constantine sous les ordres du prince hafside, Abou-Zeid, il s'enfuit de Mermadjenna à Tebessa, d'où il se rendit à Biskera, en traversant la ville de Cafsa. De Biskera il se dirigea vers Fez, mais arrivé à El-Bať❜ha, sur le Mîna, il y rencontra un officier mérinide de haut rang qui allait s'installer dans le gouvernement de Bougie. Ayant consenti à accompagner ce fonctionnaire, il passa quelques mois dans cette place forte, et, profitant alors du départ d'une députation qui se rendait auprès du sultan mérinide, Abou-Einan, il se mit

en route avec elle. Arrivé à Fez, il trouva auprès de ce prínce l'accueil le plus flatteur. « Je fus surpris, dit-il, des faveurs et des honneurs qu'il me prodiguait, à moi, jeune homme encore imberbe. >> Rentré ensuite à Bougie, il y passa encore quelque temps, mais, vers le commencement de l'an 755 (1354), il reçut l'ordre de se rendre à la cour.

Notre auteur raconte en ces termes, les motifs de son rappel à Fez : « Quand Abou-Einan fut de retour à la capitale et que les savants eurent commencé à se réunir chez lui, selon l'habitude, on parla de moi dans une de ces assemblées; et comme le prince avait l'intention d'y admettre quelques jeunes lettrés pour discuter des questions scientifiques, les docteurs que j'avais rencontrés à Tunis me désignèrent comme parfaitement digne de cet honneur. Le sultan me fit aussitôt appeler à la cour, et m'ayant inscrit au nombre des personnes qui faisaient partie de ses réunions littéraires, il m'autorisa à assister aux prières avec lui. Bientôt après, il m'employa comme secrétaire des commandements, chargé d'apostiller les placets qu'on lui présentait. Je continuai, toutefois, à me livrer aux études et je pris des leçons de plusieurs docteurs maghrebins ainsi que des cheikhs andalousiens qui venaient quelquefois pour remplir des missions politiques. De cette manière, je pus atteindre à un degré d'instruction qui répondit à mes désirs. »

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Présenté à la cour vers la fin de l'an 756 (déc.-janv. 1355-6) et comblé tout d'abord de la faveur du souverain, Ibn-Khaldoun s'attira l'envie de quelques personnes jalouses de sa haute fortune, et bientôt on le dénonça au sultan comme entretenant des liaisons avec le prince hafside, Abou-Abd-Allah-Mohammed, ex-émir de Bougie, qui, après avoir été détrôné par les Mérimides. se trouvait alors détenu dans le Maghreb. On l'accusait de s'être engagé à procurer l'évasion de ce prince à condition d'en devenir le premier ministre. « La vérité en est, dit-il, que, depuis quelque temps, une étroite intimité s'était formée entre l'émir et moi; intimité à laquelle j'étais d'autant plus disposé que mes aïeux avaient été au service de sa famille. Je négligeai cependant les précautions qu'il fallait prendre en pareil cas, et la

méfiance du monarque ayant été éveillée, il nous fit emprisonner tous les deux. L'émir fut bientôt relâché, mais ma détention se prolongea pendant deux ans et ne finit qu'à la mort du souverain. On verra plus tard l'émir lui envoyer un diplôme de premier ministre, circonstance qui nous paraît justifier l'accusation qui lui coûta ainsi la liberté.

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<< Le sultan Abou-Einan, continue-t-il, mourut le 24 de Dou'l-Hiddja 759 (1358), et aussitôt le vizir, régent de l'empire, El-Hacen-Ibn-Omar, me tira de prison et m'ayant revêtu d'une pelisse d'honneur, il me fit monter à cheval et réintégrer dans tous mes emplois. Je voulus retourner à ma ville natale, mais je ne pus obtenir son assentiment; aussi, je continuai à jouir des honneurs qu'il se plaisait à m'accorder. A la fin, les Mérinides se révoltèrent contre lui et il succomba. >>

Le ministre avait placé sur le trône un fils du monarque défunt, jeune enfant de cinq ans, sous le nom duquel il espérait gouverner l'empire. Il ne se doutait guère que le prince AbouSalem, frère d'Abou-Einan, viendrait bientôt de l'Espagne où il s'était réfugié et enlèverait au jeune sultan le commandement des Mérinides. Abou-Salem s'étant fait débarquer sur le territoire des Ghomara, au Sud-Est de Ceuta, travailla à se gagner des partisans, pendant que son agent, Ibn-Merzouc, agissait à Fez dans le même but. « Cet homme, dit Ibn-Khaldoun, connaisait l'amitié » qui régnait entre moi et les principaux Mérinides; aussi, eut-il >> recours à mes services dans l'espoir de gagner ces chefs. En » effet, je décidai la plupart d'entre eux à promettre leur appui » au prince. J'étais alors secrétaire du régent Mansour-Ibn>> Soleiman, lequel venait d'être placé par les Mérinides à la tête » de l'empire, et tenait El-Hacen-Ibn-Omar assiégé dans la » Ville-Neuve de Fez. » — « Quand j'eus obtenu des Mérinides » la promesse de soutenir le sultan Abou-Salem, Ibn-Merzouc >> invita El-Hacen-Ibn-Omar à reconnaître ce prince pour sou» verain. Fatigué de la longueur du siége, El-Hacen y consentit >> avec empressement, et aussitôt on vit les chefs mérinides aban» donner Mansour et passer dans la ville assiégée. Je partis sur » le champ pour annoncer cette bonne bonne nouvelle à Abou

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