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éprouver de grandes pertes, il les força à se réfugier sur les somnets des collines qui s'élèvent au milieu du marais formé par les eaux de la mer dans la province d'Azghar. Réduits enfin à un petit nombre, ils descendirent au rang des tribus soumises aux impôts, et finirent par s'éteindre tout-à-fait. Tel est le sort qui attend chaque peuple à son tour.

HISTOIRE DE SÉADA, RÉFORMATEUR DES MOEURS, QUI S'ÉLEVA

PARMI LES RIAH.

Séada appartenait aux Rahman, famille de la tribu des Moslem, branche de celle de Rîah. Sa mère, Hodeiba, femme d'une piété extraordinaire, se livrait aux pratiques de la dévotion la plus exaltée, et lui inspira, dès son enfance, les mêmes sentiments dont elle était animée. Dans sa jeunesse, Séada visita le Maghreb, et rencontra à Tèza le chef des saints docteurs de l'époque, Abou-Ishac-et-Teçouli. Ayant étudié la jurisprudence sous cet habile maître, il rentra dans le Zab, pays occupé par les Rîah, et se fixa à Tolga. Rempli d'une parfaite connaissance de la loi, et poussé par un zèle ardent, il entreprit de corriger la conduite. peu régulière de ses parents, compagnons et amis. La réputation qu'il s'acquit dans l'accomplissement de cette tâche, lui gagna un grand nombre de partisans, tant au sein de sa propre tribu que parmi les peuplades voisines. Plusieurs personnages de haut rang se mirent au nombre de ses disciples et s'obligèrent à marcher dans la voie qu'il leur avait tracée.

Parmi ses prosélytes les plus notables il compta plusieurs cheiks douaouidiens tels qu'Abou-Yahya-Ibn-Ahmed-Ibn-Omar, chef des Beni-Mohammed-Ibn-Masoud, Atïa-Ibn-Soleiman-IbnSebâ, chef des Aulad-Sebâ-Ibn-Yahya, Eïça-Ibn-Yahya-Ibn-Idris, chef des Aulad-Idrîs, branche des Açaker, et Hacen-Ibn-Selama, chef des Aulad-Talha-Ibn-Yahya-Ibn-Doreid-Ibn-Masoud. Il fut soutenu aussi par Hadjrès--Ibn-Ali de la famille de Yezîd-IbnZoghba, et par quelques grands personnages de la tribu d'Attaf, branche de celle de Zoghba. Plusieurs dépendants de ces chefs et tous les gens pauvres de leurs tribus s'empressèrent de seconder les vues du réformateur.

Fortifié par l'appui de tant de partisans, Séada parvint à faire respecter les prescriptions de la sonna 1, à réprimer les abus de toute nature et à châtier les brigandages des nomades qui infestaient les grandes routes. Encouragé par ces premiers succès, il porta ses vues plus haut, et s'étant adressé à Mansour-Ibn-FadlIbn-Mozni, gouverneur du Zab, il l'invita à supprimer les impôts contraires à la loi, et à faire cesser les injustices dont on accablait les cultivateurs. A cette demande Mansour répondit par un refus; il frit même la résolution d'en punir l'auteur; mais aussitôt, les partisans de Séada vinrent au secours de leur maître et prêtèrent entre ses mains le serment solennel de faire respecter la sonna, et de le protéger lui-même, dussent-ils y perdre la vie.

Ibn-Mozni leur ayant déclaré la guerre, appela à son secours les tribus sœurs et rivales de celles qu'il allait combattre. A cette époque, les Aulad-Mohammed reconnaissaient l'autorité d'AliIbn-Ahmed-Ibn-Omar - Ibn - Mohammed, et les Aulad - Yahya obéissaient à Soleiman-Ibn-Ali-Ibn-Sebâ. Ces deux chefs, qui se partageaient ainsi le commandement des Douaouida, s'empressèrent d'assister Ibn-Mozni contre Séada et contre les gens de leurs tribus respectives qui avaient cru servir la religion en embrassant le parti du réformateur.

Comme gouverneur du Zab, Ibn-Mozni tenait son autorité de l'émir Khaled-Ibn-Abi-Zékérïa, prince hafside qui régnait à Bougie. Il s'adressa, en conséquence, à Abou-Abd-er-RahmanIbn-Ghamr, ministre de ce souverain, et en ayant obtenu des

1 Les actes et paroles (hadith) de Mahomet avaient été recueillis par ses immédiats disciples et transmis par eux aux autres musulmans. Ces paroles, décisions et pratiques se rapportent au dogme, au rituel et au droit islamique; elles portent le nom de sonna (voie à suivre), et ont chez les musulmans orthodoxes, le même poids, la même autorité que le texte du Coran. Transmises d'abord par la tradition orale, elles furent ensuite mises en écrit. Il y a six recueils authentiques de ces traditions, faits par El-Bokhari, Moslem, Et-Termidi, Abou-Dawoud, En-Neçaï et Ibn-Madja. La sonna est pour les Musulmans ce que le Michna est pour les Juifs, le complément de leur loi révélée. Les Chiites ou partisans d'Ali rejettent ces recueils parce que la plupart des traditions qu'ils renferment avaient été rapportées par des hommes qui avaient repoussé les prétentions d'Ali au khalifat.

renforts, il ordonna aux habitants de Tolga d'arrêter Séada. Le proscrit sortit de la ville, et on bâtit dans le voisinage un zaouïa 1 pour lui-même et pour ses disciples.

Ayant alors convoqué ses partisans marabouts 2, auxquels il donna le nom de Sonnites, il marcha avec eux contre Biskera et y mit le siége. Ses bandes coupèrent les dattiers qui entouraient la ville, mais découragés bientôt par la résistance qu'IbnMozni et sa garnison leur opposèrent, ils prirent le parti de se retirer. En l'an. . . 3, Séada reparut devant Biskera, mais ses efforts furent encore inutiles. En 705 (1305-6), les partisans que ce morabet s'était faits parmi les Douaouida rentrèrent dans leurs quartiers d'hiver, et le laissèrent dans son zaouïa, près de Tolga. Pendant leur absence, il rassembla tous les nomades de son parti qui étaient restés dans le Zab et alla mettre le siège devant Melîli.

Averti par les habitans de cette ville du danger qui les menaçait, Ibn-Mozni fit monter à cheval le corps de troupes que le sultan laissait toujours auprès de lui à Biskera, et l'expédia, pèn

1 Le mot zaouia signifie angle, coin. Il s'applique à certains édifices bâtis ordinairement sur les tombeaux de saints personnages et habités par des marabouts (morabet), hommes retirés du monde, qui s'adonnent à la prière et à l'enseignement. Il y a des zaouia qui renferment des bibliothèques et qui sont fréquentées par de nombreux étudiants (toleba). Les zaouia s'appellent quelques fois ribat. (Voyez la note suivante.)

2 Morabet (le marabout des Européens) signifie attaché à un ribat. Les ribat étaient d'abord des forts bâtis sur la frontière du territoire musulman pour tenir en respect les nations voisines. Il devint de mode chez les dévots d'aller passer quelques mois dans un de ces établissements afin de se donner le mérite d'avoir fait la guerre sainte. Plus tard, les ribat perdirent, presque partout, leur caractère militaire et devinrent des couvents, où les hommes pieux s'occupaient de la prière et de l'étude. Ribat signifie lien; on appelait ces forts ainsi, parce qu'ils servaient à lier les bras à l'ennemi. Un historien arabe rapporte que, de son temps, il y avait une ligne non interrompue de ribats sur la frontière musulmane, depuis l'Océan Atlantique jusqu'à la Chine.

3 L'auteur a laissé la date en blanc, mais l'événement dont il parle à dù se passer vers l'an 700 de l'hégire.

dant la nuit, au secours des assiégés. Avec cette troupe marchérent aussi les Aulad-Harbi, branche des Douaouida. Le lendemain, de bonne heure, ils surprirent les insurgés, et dans le combat qui s'ensuivit, ils tuèrent Séadâ et un grand nombre de ses partisans. On porta la tête de cet aventurier à Ibn-Mozni.

Les autres disciples du réformateur ayant appris cette nouvelle, quittèrent leurs quartiers d'hiver et rentrèrent dans le Zab sous la conduite d'Abou-Yahya - Ibn-Ahmed-Ibn-Omar, chef des Aulad-Mahrez. Cet émir avait sous ses ordres Atia-Ibn-Soleiman, chef des Aulad-Sebâ, Eïça-Ibn-Yahya, chef des AuladAçaker, et Mohammed-Ibn- Hacen, chef des Aulad-Atïa. Ayant alors bloqué Biskera, ils abattirent les dattiers aux environs de la ville et brûlèrent vifs tous les percepteurs d'Ibn-Mozni qui tombèrent entre leurs mains.

Les deux partis en étaient ainsi venus à une rupture ouverte quand Ibn-Mozni fit un appel aux partisans qu'il avait parmi les Douaouida. Deux puissants chefs, les plus braves guerriers de cette tribu, Ali-Ibn- Ahmed, cheikh des Aulad-Mohammed, et Soleiman-Ibn-Ali, cheikh des Aulad-Sebà, répondirent à son invitation, et marchèrent avec Ali, fils d'Ibn-Mozni, à la rencontre des marabouts. Dans le combat qui s'ensuivit et qui eut lieu dans le Désert, en l'an 713 (1343-4), Ali-Ibn-Mozni, qui commandait les troupes du sultan, perdit la vie. Les insurgés remportèrent une victoire complète, et ayant fait prisonnier Ali-IbnAhmed, ils le conduisirent devant Eiça-Ibn-Yahya. Ce chef lui rendit la liberté par égard pour son collègue, Abou-Yahya-IbnAhmed, qui était frère du captif.

Dès lors la puisssance des Sonnites prit un grand accroissement; mais, enfin, Abou-Yahya-Ibn-Ahmed mourut ainsiqu'EïçaIbn-Yahya, et les Aulad-Mahrèz se détachèrent de la coalition. Alors les Sonnites tinrent conseil à l'effet de se choisir un docteur capable de les éclairer sur les points obscurs de la loi et sur les pratiques de dévotion qui pourraient les embarrasser, et ils jetèrent les yeux sur Abou-Abd-Allah-Mohammed-Ibn-el-Azrac, natif de Maggara. Ce savant jurisconsulte avait fait ses études à Bougie sous Abou-Mohammed-ez-Zouaoui, un des principaux

docteurs de cette ville. Étant allés le trouver, ils le décidèrent à les accompagner dans leur pays. Il se fixa alors chez Hacen-IbnSelama, chef des Aulad-Talha, et ayant rallié tous les Sonnites autour de lui, il rendit la puissance des Aulad-Sebâ trèsformidable. Dès ce moment ils recommencèrent leurs incursions dans le Zab, et pendant long-temps ils continuèrent à guerroyer contre Ali-Ibn-Ahmed.

Abou-Tachefîn, le sultan [abd-el-ouadite], ayant envahi le territoire hafside, remarqua l'empressement des Arabes à abandonner la cause de cette dynastie. Il envoya donc des présents aux Sonnites dans le but de se concilier leur appui, et accorda une pension annuelle au docteur Ibn-el-Azrac.

Les choses restèrent en cet état pendant quelque temps, mais enfin, Ali-Ibn-Ahmed, chef des-Aulad-Mohammed, reprit le dessus sur les sectaires. La mort de leur chef, Hacen-Ibn-Selama, brisa leur puissance, et Ibn-el-Azrac alla habiter Biskera. Nommé cadi de cette ville par Youçof-Ibn-Mozni, qui voulut ainsi les affaiblir encore davantage, il continua, jusqu'à sa mort, à remplir les fonctions de cet office.

Quelque temps venait de s'écouler ainsi, quand Ali-Ibn-Ahmed lui-même entreprit de soutenir la cause des Sonnites. En l'an 740 (1339-40), il rassembla un corps de troupes pour cet objet et alla mettre le siége devant Biskera. Soutenu par les renforts que lui firent passer les habitants du Rîgh, il tint cette forteresse bloquée pendant plusieurs mois. Découragé enfin par la résistance des assiégés, il renonça à son entreprise, se réconcilia avec Youçof-Ibn-Mozni et lui resta attaché jusqu'à la fin de ses jours.

La postérité de Séada, composée de plusieurs fils et petit-fils, continue à habiter le zaouïa qu'il s'était bâti. La famille Mozni ne cesse de leur témoigner une grande considération, et les Arabes de la tribu de Rîah qui habitent le Désert, leur reconnaissent le droit de donner des sauf-conduits aux voyageurs.

De temps à autre, quelques individus appartenant à la tribu des Douaouida essayent de relever la cause des Sonnites, non pas par esprit de religion et de piété, mais parce qu'ils y trouvent un moyen de se faire payer la dime par la classe des cultivateurs.

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