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les villages, les fermes et les villes; abattant tout à ras de terre et changeant ces lieux en une vaste solitude, après en avoir comblé les puits et coupé les arbres.

De cette manière, ils répandirent la désolation partout, et ayant forcé les Sanhadja, princes de l'Ifrikïa et du Maghreb, ainsi que leurs administrateurs dans les provinces, à s'enfermer dans les grandes villes, ils leur enlevèrent peu à peu les territoires qui leur restaient. Toujours guettant les moments favorables pour les surprendre, ils leur firent acheter par un tribut, la permission de se servir de leurs propres terres.

Fidèles à leurs habitudes destructives, les Arabes ne cessèrent de se livrer à toute espèce de brigandage, au point qu'ils forcèrent En-Nacer d'abandonner la Calà et de se transporter, avec ses trésors, à Bougie, ville qu'il avait bâtie sur le bord de la mer pour y établir sa résidence.

El-Mansour, son fils et successeur, fit aussi sa demeure à Bougie afin de se soustraire à l'oppression et aux brigandages que la race arabe exerçait dans les plaines les montagnes de Bougie étant d'un accès fort difficile, et les chemins étant presqu'impraticables pour des chameaux, mettaient son territoire à l'abri de toute insulte.

Tant que la dynastie des Sanhadja conserva le pouvoir, elle reconnut aux Athbedj le droit d'exercer le commandement sur les autres Arabes; mais, quand elle cessa de régner, la tribu qu'elle avait ainsi favorisée perdit toute son autorité et se désorganisa.

En l'an 544 (4446-7), les Almohades subjuguèrent les royaumes de l'Afrique septentrionale, et plus tard, leur cheikh, Abdel-Moumen, entreprit une expédition en Ifrîkïa. Arrivé à Alger, il reçut la visite de deux chefs de ces Arabes nomades : l'un était Abou-'l-Khalîl-Ibn-Keslan, émir de la tribu d'Athbedj, et l'autre, Habbas-Ibn-Mocheifer, personnage notable de la tribu de Djochem. Il leur fit un excellent accueil, et les ayant nommés au commandement de leurs tribus respectives, il reprit sa marche et s'empara de Bougie, en l'an 559.

1 Telle est la date donnée par tous les manuscrits; elle est cependant fausse; Bongie ayant été prise par Abd-el-Moumen en 547 (1152-3).

Plus tard, les Hilaliens se révoltèrent [contre les Almohades] et embrassèrent le parti des Sanhadja. S'étant placés sous les ordres de l'émir des Rîah, Mahrez-Ibn-Ziad, membre de la famille Fadegh, [branche de la tribu des Beni-Ali, fraction des Riah], ils rencontrèrent à Setif les troupes almohades qui s'avançaient contre eux sous la conduite d'Abd-Allah, [un des] fils d'Abd-el-Moumen. [Décidés à vaincre ou à mourir], ils coupèrent les jarrets de leurs montures [pour s'ôter leur seul moyen de fuite], et pendant trois jours ils se tinrent de pied ferme au milieu d'un champ de carnage. Le quatrième jour, ils reculèrent en désordre, après avoir essuyé des pertes énorLeurs troupeaux, leurs femmes et leurs chefs les plus distingués tombèrent au pouvoir des vainqueurs. Une fuite précipitée put seule soustraire les débris de l'armée arabe à une poursuite qui ne s'arrêta qu'à la plaine de Tebessa.

mes.

Cette rude leçon leur inspira des sentiments plus sages, et ils s'empressèrent de reconnaître l'autorité des Almohades et d'adopter la cause de ce peuple en partisans dévoués.

Abd-el-Moumen leur rendit alors les prisonniers qu'on leur avait faits, et depuis lors, les Arabes continuèrent à servir fidèlement la dynastie almohade. Ils lui fournirent même des troupes pour l'aider à faire la guerre sainte en Espagne. Les appels qu'Abd-el-Moumen leur adressait pour les exciter à cet acte de religion étaient quelquefois rédigés en vers.

Ils combattirent en Espagne sous Abd-el-Moumen et sous son fils Youçof, comme on le verra dans l'histoire de la dynastie almohade, et jusqu'à l'an 584 (1185-6) ils demeurèrent fidèles à cette famille.

Yacoub-el-Mansour [fils de Youçof] venait de monter sur le trône quand les fils de Ghania, émirs de Maïorque et membres de la tribu [almoravide] des Messoufa, traversèrent la mer avec une flotte et surprirent la ville de Bougie. Levant alors le masque, ils se déclarèrent les adversaires des Almohades, et ayant fait un appel au peuple arabe, ils l'entraînèrent dans ses anciennes habitudes de révolte. Parmi les tribus hilaliennes, on vit celles de Djochem et de Rîah, ainsi que tous les Athbedj, répondre à

cette invitation; mais la tribu de Zoghba se joignit aux troupes que le gouvernement almohade envoya en Ifrikïa pour étouffer l'insurrection.

Les fils de Ghanîa se rendirent à Cabes avec toute la tribu de Djochem et toute celle de Rîah. Arrivés là, ils rallièrent autour d'eux les débris de leur peuple; les Messoufa, ainsi que leurs frères de la tribu de Lemtouna, accoururent de l'extrêmité du pays et proclamèrent la suprématie des Abbacides, principe que les émirs de la famille de Tachefin avaient toujours soutenu dans le Maghreb et propagé chez tous les peuples et dans tous les royaumes qui reconnaissaient leur autorité. Installés à Cabes, les fils de Ghania firent demander au khalife El-Mostancer 1. le renouvellement de l'acte qui assurait à leurs aïeux le droit de régner sur le Maghreb. Leur secrétaire Abd-el-Berr-Ibn-Ferçan, se rendit à la cour de Baghdad et obtint pour Ibn-Ghanîa, la reconnaissance de son autorité et l'autorisation de faire la guerre aux Almohades.

Ali-Ibn-Ghanîa, ayant réuni sous ses drapeaux toutes les branches de la tribu de Soleim-Ibn-Mansour (peuplade qui avait passé en Afrique à la suite des Hilal) et se trouvant appuyé par Caracoch l'arménien (personnage dont nous raconterons les aventures plus tard) et par un corps très-nombreux d'Almoravides, d'Arabes et de Ghozz2, se rendit maitre de la campagne, et soumit Cafsa, Touzer, Nefta et les autres villes da Djerîd.

El-Mansour marcha contre lui, et partit de Maroc, traînant à sa suite les populations du Maghreb. Son armée renfermait des troupes zenatiennes et masmoudiennes, celles de la tribu de Zoghba et la grande majorité de la tribu d'El-Athbedj. Son avantgarde ayant été écrasée par Ibn-Ghanîa, dans la plaine d'Omra, aux environs de Cassa, il sortit lui-même de Tunis pour aller à

1 Ceci est une erreur ce fut à En-Nacer, fils d'El-Mostancer, qu'ils s'adressèrent. L'auteur lui-même le dit dans une autre partie de cet ouvrage.

2 Ibn-Khaldoun donne assez souvent aux Kurdes et aux Turcomans le nom de Ghozz. Caracoch ou plutôt Caracouch (oiseau noir) est un nom

turc.

la rencontre des insurgés. Les ayant mis en déroute, il les refoula dans le désert de Barca, et leur enleva le pays de Castilia ainsi que les villes de Cabes et de Cafsa.

Les tribus de Djochem et de Rîah s'étant alors empressées de faire leur soumission, il les déporta dans le Maghreb-el-Acsa où il établit la première dans la province de Temsna, et la seconde dans le canton d'El-Hebet et dans les régions maritimes d'Azghar, province située entre Tanger et Salé.

Depuis la défaite des Zenata par la tribu de Hilal, le Mozab, territoire situé entre le Désert de l'Ifrikïa et celui du Maghreb central, devint un pays limitrophe, servant à séparer ces deux peuples. On y voit encore plusieurs bourgades érigées par les Zenata et dont chacune porte le nom de la famille qui l'avait fondée.

:

La portion des Zenata appelée les Beni-Badîn et qui se composa des Beni-Abd-el-Ouad, des Toudjîn, des Mozab, des BeniZerdal et des Beni-Rached se montra partisan dévoué des Almohades, dès le commencement de leur puissance. Les BeniBadîn s'étaient beaucoup plus rapprochés de cette dynastie que leurs rivaux, les Beni-Merîn dans le Maghreb central ils possédaient une plus grande étendue des plateaux et du littoral qu'aucune autre section des Zenata, et, dans leurs courses d'été, pénétraient plus avant qu'il n'aurait été permis à aucune autre tribu nomade de le faire; bien plus, ils formaient une partie de l'armée almohade et du corps de troupes chargé de protéger les frontières de cet empire. A l'époque dont nous parlons, ils étaient sous les ordres du prince du sang, gouverneur de

Tlemcen.

ils

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Ce fut chez ce peuple que les Zoghba allèrent s'établir quand on obligea leurs frères [les Djochem et les Rîah ] à se transporter [dans le Maghreb-el-Acsa]. Cette tribu passa alors dans le Mozab et le Djebel-Rached, localités situées au sud du Maghreb central; elle qui, auparavant, avait obtenu en partage les villes de Cabes et de Tripoli; elle, qui avait soutenu des guerres contre les Beni-Khazroun, souverains de Tripoli, et tué Saîd-Ibn-Khazroun, un des princes de cette famille. Ainsi, la révolte suscitée par Ibn-Ghanîa et la préfèrence que les Zoghba montrèrent en

cette occasion pour la dynastie almohade, eurent pour résultat leur établissement dans cette région.

Ils formèrent alors une confédération avec les Beni-Badîn. Les deux peuples s'obligèrent par serment, à vivre en bons voisins et à se prêter mutuellement secours pour la défense de leur territoire, qui était toujours exposé aux attaques de leurs ennemis. Leur alliance s'étant ainsi opérée par un contrat formel et par l'influence du voisinage, les Zoghba s'établirent dans le Désert, et les Beni-Badin sur les plateaux et dans les plaines du Maghreb. Plus tard, Masoud-Ibn-Soltan-Ibn-Zemam, émir des Rîah, s'évada d'El-Hebet [avec une portion de la tribu qui avait été déportée en Maghreb]. Après s'être arrêté chez les Zoghba et les Debbab, branches de la tribu de Soleim, il alla avec ses Rîah au secours de Caracoch et assista, sous ses ordres, à la prise de Tripoli, où il mourut. Le commandement de sa tribu passa alors à son fils Mohammed. Abou-Mohammed-Abd-el-Ouahed le hafside, ayant établi son indépendance en Ifrîkïa, marcha contre [Yahya-Ibn-Ghania-Jel-Maïorki et le défit à El-Hamma. Cette bataille coûta la vie à un grand nombre de partisans d'Ibn-Ghania, et la liberté à plusieurs parents de Mohammed, fils de Masoud. Dans le nombre des prisonniers se trouvèrent son fils Abd-Allah, son cousin paternel Haracat-Ibn-es-Cheikh-Ibn-Açaker-Ibn-Soltan, et le grand cheikh de la tribu de Corra. Abd-el-Ouahed leur fit trancher la tête à tous, et Yahya-Ibn-Ghanîa s'enfuit dans le Désert, sa retraite ordinaire.

Laissant là les affaires des tribus de Hilal et Soleim, ainsi que des peuplades qui les avaient accompagnées, nous allons raconter successivement l'histoire de chacune de ces grandes familles, et faire l'énumération de leur subdivisions. Toutefois, nous parlerons seulement de celles qui vivent encore aujourd'hui sous la tente, et nous en négligerons les peuplades qui se sont éteintes. Nous commencerons par les Athbedj, parce que ce furent eux qui, les premiers, exercèrent le commandement sur le corps entier des Arabes qui vinrent en Afrique; commandement qui date du temps de la dynastie sanhadjienne, comme nous venons de le dire. Nous passerons ensuite à la tribu de Djochem, parce

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