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Les gens de la campagne se réfugièrent dans Cairouan, et comme les Arabes continuaient à en presser le siége et à commettre des ravages épouvantables, les habitants finirent par s'enfuir à Tunis et à Souça.

Toute la province de l'Ifrîkïa fut pillée et saccagée, et en l'an 445 (1053-4), les villes d'Obba et de Laribus tombèrent au pouvoir des Arabes. Pendant ce temps, les Zoghba et les Rîah se tenaient aux environs de Cairouan. Mounès étant alors venu camper sous les murs de la ville, accorda sa protection aux membres de la famille Ziri [famille dont El-Moëzz faisait partie], et les conduisit à Cabes et autres lieux. Les Arabes s'emparèrent ensuite du pays de Castîlïa, et un de leurs chefs, Abed-Ibn-Abi-'l-Ghaïth, ayant entrepris une expédition contre les Zenata et les Maghraoua, s'en revint avec un fort butin.

En l'an 446 (1054-5), les Arabes se partagèrent les villes de l'Ifrîkïa : la tribu de Zoghba s'appropria la ville et la province de Tripoli, pendant que la tribu de Mirdas, branche de celle des Riah, occupa Bedja et les lieux voisins. Un nouveau partage se fit plus tard, et la région située au couchant de Cabes devint la propriété des tribus de Rîah, Zoghba, Makil, Djochem, Corra, Athbedj, Cheddad, Kholt et Sofyan, branches de la grande tribu de Hilal. De cette manière, l'empire d'El-Moëzz se morcela et lui échappa. Abed-Ibn-Abi-'l-Ghaïth s'empara de Tunis et réduisit les habitants en esclavage, pendant qu'Abou-Masoud, un autre de leurs chefs, prit la ville de Bône par capitulation.

Quant à El-Moëzz, il chercha sa sûreté en mariant ses trois filles aux émirs arabes, Farès-Ibn-Abi-'l-Ghaïth, Abed-Ibn-Abi'l-Ghaïth et El-Fadl-ben-Bou-Ali, le mirdacide. En l'an 448, il donna à son fils Temim le commandement d'El-Mehdia, et l'année suivante, il se fit escorter à Cairouap [lisez El-Mehdia], par les chefs arabes, ses gendres. Comme les Arabes ne tardèrent pas à l'y suivre, il s'embarqua et partit [pour Tunis]. Le lendemain, son fils El-Mansour [qu'il avait laissé à Cairouan], informa les habitants du départ de leur sultan ̧ Alors ceux-ci évacuèrent la ville sous la conduite d'El-Mansour et de la troupe des nègres [que le gouvernement san

ħadjien entretenait à son service ]. Les Arabes y pénétrèrent aussitôt après, et commencèrent l'œuvre de dévastation, pillant les boutiques, abattant les édifices publics, et saccageant les maisons; de sorte qu'ils détruisirent toute la beauté, tout l'éclat des monuments de Cairouan. Rien de ce que les princes sanhadjiens avaient laissé dans leurs palais n'échappa à l'avidité de ces brigands tout ce qu'il y avait dans la ville fut emporté ou détruit; les habitants se dispersèrent au loin, et ainsi fut consommée cette grande catastrophe.

Les Arabes marchèrent ensuite contre El-Mehdïa et réduisirent cette ville à la dernière extrêmité en lui coupant les communications et les vivres.

Après avoir renversé le pouvoir des Sanhadja, les envahisseurs tournèrent leurs armes contre les Zenata et leur enlevèrent tout le pays ouvert. La guerre entre ces deux peuples ne se termina pas de si tôt, et un descendant de Mohammed-Ibn-Khazer, qui régnait à Tlemcen, plaça un corps de troupes sous les ordres de son vizir Abou-Soda-Khalifa-el-Ifréni, et l'envoya combattre les Arabes. Il s'ensuivit une longue série d'hostilités; mais, dans une dernière bataille, l'armée d'Abou-Soda fut mise en déroute et lui-même y perdit la vie.

Tous ces évènements ébranlèrent profondément la prospérité de l'Ifrîkïa; la dévastation s'étendit partout, et une foule de brigands interceptaient les routes et dépouillaient les voyageurs.

A cette époque, le commandement des Zenata et des Berbères nomades était partagé entre quatre grandes familles, les Ifren, les Maghraoua, les Ouémannou et les Ilouman. Après avoir vaincu les Sanhadja et enlevé aux Zenata les pays ouverts de l'Ifrîkïa, les Arabes conquirent encore la province du Zab; et ayant subjugué tous les Berbères de cette région, ils les accablèrent d'impôts et de contributions.

Lors de leur entrée en Ifrîkïa, les Arabes avaient à leur tête plusieurs chefs de grand renom. De ces personnages, les plus célèbres furent Hacen-Ibn-Serhan, son frère, Bedr-Ibn-Serhan et Fadl-Ibn-Nahed (ces trois guerriers tiraient leur origine de Doreid, un descendant d'Athbedj); puis, Madi-Ibn-Mocreb de la

tribu de Corra, Selama-Ibn-Rizc, de la famille de Kethîr (branche de Kerfa, tribu qui forme une subdivision de la grande tribu des Athbedj), Chebana-Ibn-Ohaïmer, son frère Solaïcel (que l'on dit appartenir aux Beni-Atïa, branche des Kerfa), Dîab-IbnGhanem de la tribu de Thaur, et Mounès-Ibn-Yahya, que l'on fait descendre de Mirdas; c'est-à-dire, Mirdas de la tribu de Riah, personnage qu'il ne faut pas confondre avec Mirdas de la tribu de Soleim. En effet, il appartenait aux Sinber, famille de la tribu de Mirdas le rîahide. Les autres chefs marquants étaient Zeid-Ibn-Zîdan, de la tribu de Dahhak, Tholeïdjan-Ibn-Abes de celle de Himyer, Zeid-el-Addjadj-Ibn-Fadel, que l'on dit être mort avant l'arrivée de sa tribu [en Ifrîkïa], Farès-IbnAbi-'l-Ghaïth, son frère Abed, et El-Fadl-Ibn-Abi-Ali, chefs que leurs historiens font descendre de Mirdas (c'est-à-dire, Mirdas le rîahide).

Tous les personnages que nous venons de nommer sont mentionnés dans les poèmes de ces Arabes. Le Dìab-Ibn-Ghanem de cette liste leur servit d'éclaireur lors de l'invasion de l'Ifrikïa, et pour cette raison ils lui avaient donné le surnom d'Abou-Mokheiber (l'homme aux renseignements).

A cette époque, les Arabes envahisseurs formaient quatre grandes tribus, toutes issues de Hilal-Ibn-Amer; savoir, Zoghba, Rîah, El-Athbedj et Corra. Quelquefois on désigne la tribu d'Adi comme ayant été avec elles, mais nous n'avons rien pu découvrir de son histoire, et on ne connaît actuellement aucune peuplade qui tire son origine de cette famille. On peut donc supposer qu'elle s'est éteinte, ou, qu'étant numériquement fort réduite, elle s'est dispersée dans les autres tribus. On cite aussi parmi elles la tribu de Rebià, mais nous ne connaissons à présent aucune peuplade de ce nom, à moins que ce soit celle qu'on appelle les Makil, ainsi que le lecteur verra plus tard.

Avec la tribu de Hilal, il entra en Ifrikïa une foule mélangée,, composée d'Arabes appartenant aux tribus des Fezara et d'Achedja (branches de celle de Ghatafan), de Djochem-Ibn-Moaouïa-IbnBekr-Ibn-Houazen, de Seloul-Ibn-Morra-Ibn-Sâsâ-Ibn-Moaouïa, d'El-Makil, branche de la grande famille des Arabes yémenites,

d'Anéza-Ibn-Aced-Ibn-Rebiâ-Ibn-Nizar, de Thaur-Ibn-MoaouïaIbn-Abbada-Ibn-Rebiât-el-Bekka-Ibn - Amer-Ibn-Såså, d'Adouan-Ibn-Omar-Ibn-Caïs-Ibn-Ghaïlan, et de Matroud, famille de la tribu de Fehm-Ibn-Caïs 1.

Mais toutes ces fractions de tribu étaient, pour ainsi dire, englobées dans la tribu de Hilal et surtout dans la tribu-branche d'El-Athbedj, parce que cette famille exerçait le commandement sur toutes les autres lors de leur entrée en Ifrikïa.

Quant à la tribu de Corra, autre branche de celle de Hilal, ce ne fut ni sous l'administration d'El-Yazouri ni sous celle d'ElDjerdjeraï qu'elle passa le Nil pour se rendre en Ifrîkïa; vu qu'elle était déjà à Barca, lors du règne d'El-Hakem le fatemide. L'on sait que le souvenir de ses démêlés avec la dynastie fatemide-égyptienne et avec celle des Sanhadja subsiste encore. Elle fait remonter son origine à Abd-Menaf-Ibn-Hilal, comme on le voit par les vers suivants d'un poète appartenant à la race des Arabes nomades:

Nous trouvámes en eux cette indulgence que nous avions sollicitée; et certes, des Arabes aussi doux que braves n'ont aucun défaut.

Mais Corra, [descendue] de Menaf, et toute sa race se voient ́maintenant repoussées loin de là : ainsi nous sûmes obtenir ce que leurs ruses n'avaient pas pu atteindre..

Trois mille d'entre les Corra perdirent la vie; véritable consolation pour le cœur de nos blessés 2.

Et un autre de leurs poètes a dit :

Seigneur ! protége tes créatures contre chaque malheur qui les menace; mais ne protége point la tribu qui garde [ ces terres contre nous ].

1 Voy. pour l'histoire de ces tribus, l'Essai de M. C. de Perceval.

2 Ces vers ainsi que les suivants sont remplis de fautes de toute nature; les auteurs y ont violé d'une manière vraiment barbare les règles de la grammaire, de la prosodie et de l'orthographe; et malgré toutes ces licences, ils n'ont pas pu exprimer leur pensée d'une manière claire.

Distingue par ta faveur Corra [descendue] de Menaf, et toute sa race! que cette tribu, guidée par les conseils, soit toujours disposée à fournir de l'eau aux peuplades nomades.

On voit que ces poètes représentent les Corra comme descendants de Menaf, et cependant, il n'y a aucun Menaf dans la généalogie de la tribu de Hilal. Il y a bien un Abd-Menaf, et c'est sans doute lui qu'ils ont voulu désigner.

Lors du règne d'El-Hakem, la tribu de Corra eut pour chef Mokhtar-Ibn-el-Cacem. Quand El-Hakem envoya Yahya-IbnAli-el-Andaloci à Tripoli pour secourir Felfoul-Ibn-Saîd-IbnKhazroun contre les Sanhadja (événement dont nous parlerons dans l'histoire des Beni-Khazroun), il transmit aux Corra l'ordre d'accompagner ce général. Ils se rendirent donc à Tripoli, mais plus tard, ils rentrèrent à Barca après avoir contribué à la défaite de Yahya-Ibn-Ali en l'abandonnant à l'heure du combat. El-Hakem somma alors leurs chefs de comparaître devant lui, et sur leur refus, il leur expédia des lettres de grâce. Par ce moyen il les attira à Alexandrie, où il les fit tous mettre à mort. Ceci se passa en 394 (1003-4).

Il se trouvait alors dans cette tribu un homme qui enseignait le Coran et qui tirait son origine d'El-Moghaïra-Ibn-Abd-er-Rahman l'oméïade. Cet individu, qui se nommait El-Ouélîd-IbnHicham [Abou-Racoua] prétendait savoir par inspiration qu'il remonterait sur le trône de ses ancêtres. Les tribus berbères de Mezata, Zenata et Louata ajoutèrent foi à ses paroles, et l'on s'entretint beaucoup à son sujet. Enfin, en l'an 395, les Beni-Corra le proclamèrent khalife et s'emparèrent de la ville de Barca. A cette nouvelle, El-Hakem envoya des troupes contre la tribu révoltée, mais El-Ouélid-Ibn-Hicham les mit en déroute et tua leur commandant qui était turc de nation. S'étant ensuite dirigé contre l'Égypte, le vainqueur y essuya une défaite et dut chercher un refuge chez les Bédja, dans le pays des Noirs. Trahi par ceux dont il avait espéré la protection, il se vit emmener prison

1 Le pays habité par les Bédja est situé dans la Haute-Égypte, sur la frontière de l'Abyssinic. - (Voyez les Mémoires sur l'Egypte, par M. Quatremère, tome 11, Mémoire sur les Blemmyes.)

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