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Et quand on a quelqu'un qu'on hait ou qui déplaît, 80. Lui doit-on déclarer la chose comme elle est?

ALCESTE

Oui.

PHILINTE

Quoi? vous iriez dire à la vieille Émilie
Qu'à son âge il sied mal de faire la jolie,
Et que le blanc qu'elle a scandalise chacun?

Sans doute.

ALCESTE

PHILINTE

A Dorilas, qu'il est trop importun,

85. Et qu'il n'est, à la cour, oreille qu'il ne lasse A conter sa bravoure et l'éclat de sa race?

Fort bien.

ALCESTE

PHILINTE

Vous vous moquez.

ALCESTE

Je ne me moque point,

Et je vais n'épargner personne sur ce point. Mes yeux sont trop blessés, et la cour et la ville 90. Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffer la bile; J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond, Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils fo Je ne trouve partout que lâche flatterie,

Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie;

95. Je n'y puis plus tenir, j'enrage, et mon dessein Est de rompre en visière à tout le genre humain.

PHILINTE

Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage,
Je ris des noirs accès où je vous envisage,

Et crois voir en nous deux, sous mêmes soins nourris, 100. Ces deux frères que peint l'École des maris,

Dont...

ALCESTE

Mon Dieu! laissons là vos comparaisons fades.

PHILINTE

Non : tout de bon, quittez toutes ces incartades.
Le monde par vos soins ne se changera pas;
Et puisque la franchise a pour vous tant d'appas,

105. Je vous dirai tout franc que cette maladie, Partout où vous allez, donne la comédie,

Et qu'un si grand courroux contre les mœurs du temps
Vous tourne en ridicule auprès de bien des gens.

ALCESTE

Tant mieux, morbleu! tant mieux, c'est ce que je demande; 110. Ce m'est un fort bon signe, et ma joie en est grande : Tous les hommes me sont à tel point odieux, Que je serois fâché d'être sage à leurs yeux.

PHILINTE

Vous voulez un grand mal à la nature humaine!

ALCESTE

Oui, j'ai conçu pour elle une effroyable haine.

PHILINTE

115. Tous les pauvres mortels, sans nulle exception, Seront enveloppés dans cette aversion?

Encore en est-il bien, dans le siècle où nous sommes...

ALCESTE

Non : elle est générale, et je hais tous les hommes:

Les uns, parce qu'ils sont méchants et malfaisants, 120. Et les autres pour être aux méchants complaisants,

Et n'avoir pas pour eux ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.
De cette complaisance on voit l'injuste excès
Pour le franc scélérat avec qui j'ai procès :
125. Au travers de son masque on voit à plein le traître;
Partout il est connu pour tout ce qu'il peut être;
Et ses roulements d'yeux et son ton radouci
N'imposent qu'à des gens qui ne sont point d'ici.
On sait que ce pied plat, digne qu'on le confonde,
130. Par de sales emplois s'est poussé dans le monde,
Et
que par eux son sort de splendeur revêtu

Fait gronder le mérite et rougir la vertu.

Quelques titres honteux qu'en tous lieux on lui donne, Son misérable honneur ne voit pour lui personne; 135. Nommez-le fourbe, infâme et scélérat maudit, Tout le monde en convient, et nul n'y contredit. Cependant sa grimace est partout bienvenue: On l'accueille, on lui rit, partout il s'insinue; Et s'il est, par la brigue, un rang à disputer, 140. Sur le plus honnête homme, on le voit l'emporter. Têtebleu! ce me sont de mortelles blessures, De voir qu'avec le vice on garde des mesures; Et parfois il me prend des mouvements soudains De fuir dans un désert l'approche des humains.

PHILINTE

145. Mon Dieu, des mœurs du temps mettons-nous moins en pe
Et faisons un peu grâce à la nature humaine;
Ne l'examinons point dans la grande rigueur,
Et voyons ses défauts avec quelque douceur.

Il faut, parmi le monde, une vertu traitable; 150. A force de sagesse, on peut être blåmable;

La parfaite raison fuit toute extrémité,
Et veut que l'on soit sage avec sobriété.

Cette grande roideur des vertus des vieux âges Heurte trop notre siècle et les communs usages; 155. Elle veut aux mortels trop de perfection : Il faut fléchir au temps sans obstination; Et c'est une folie à nulle autre seconde De vouloir se mêler de corriger le monde. J'observe, comme vous, cent choses tous les jours, 160. Qui pourroient mieux aller, prenant un autre cours; Mais quoi qu'à chaque pas je puisse voir paroître, En courroux, comme vous, on ne me voit point être; Je prends tout doucement les hommes comme ils sont, J'accoutume mon âme à souffrir ce qu'ils font, 165. Et je crois qu'à la cour, de même qu'à la ville, Mon flegme est philosophe autant que votre bile.

ALCESTE

Mais ce flegme, Monsieur, qui raisonne si bien,
Ge flegme pourra-t-il ne s'échauffer de rien?

Et, s'il faut, par hasard, qu'un ami vous trahisse, 170. Que, pour avoir vos biens, on dresse un artifice,

Ou qu'on tâche à semer de méchants bruits de vous,
Verrez-vous tout cela sans vous mettre en courroux?

PHILINTE

Oui, je vois ces défauts dont votre âme murmure
Comme vices unis à l'humaine nature;

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